Surveiller l'état cutané - L'Infirmière Libérale Magazine n° 248 du 01/05/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 248 du 01/05/2009

 

Cahier de formation

Savoir faire

Monsieur P., 75 ans, grabataire suite à un AVC, vit avec sa femme. Le couple bénéficie des services d'une auxiliaire de vie (AVS) deux heures par jour. Vous êtes en charge de la toilette du matin. L'AVS vous appelle vers 19 heures car elle a constaté une rougeur au talon.

Le matin, après avoir mis le talon en décharge, vous commencez la toilette par le haut du corps. Après avoir changé l'eau, vous regardez si la rougeur a disparu. Ce n'est pas le cas. Vous arrêtez les massages-effleurages de cette zone, mettez le talon en décharge en expliquant comment faire à sa femme pour le changer régulièrement de position. Vous collez un film transparent sur la rougeur et consignez votre démarche dans le cahier de liaison en indiquant de surveiller davantage l'alimentation.

LE RISQUE D'ESCARRE

Le décubitus ou la position au fauteuil est fréquente chez les patients à mobilité réduite (personne âgée pathologique, fractures...).

En plus du maintien ou de la restauration de l'autonomie physique et psychique, l'objectif des soins d'hygiène est de prévenir les plaies de pression.

L'escarre

L'escarre est une lésion cutanée ischémique par compression des tissus mous entre un plan dur et les saillies osseuses. Selon la profondeur de l'atteinte tissulaire, on décrit quatre stades :

stade 1 : érythème (rougeur) persistant après 45 minutes de décharge complète ;

stade 2 : désepidermisation (phlyctène), atteinte du derme superficiel ;

stade 3 : perte de substance pouvant atteindre le derme profond et l'hypoderme (nécrose ou fibrine) ;

stade 4 : perte totale des couches de la peau avec atteinte du muscle, du plan osseux, des tendons.

Évaluer les patients à risque

La prévention des plaies de pression passe par un dépistage précoce des personnes susceptibles de développer une plaie. Évaluer le risque se fait grâce au choix d'une échelle et au jugement clinique.

Identifier les facteurs de risque

Facteurs extrinsèques (mécaniques) : pression, friction (frottement quand on tire le drap sous le patient déjà alité), cisaillement (quand le patient en position demi-assise glisse vers le bas...), macération cutanée.

Facteurs intrinsèques (cliniques) : immobilité, mauvais état nutritionnel, incontinence, diminution du débit circulatoire, troubles de la sensibilité, état psychologique, âge, fièvre.

Utiliser une échelle

Dans la DSI, l'échelle préconisée est celle de Norton. Plus particulièrement adaptée au plus de 65 ans, elle détaille cinq domaines de risque : condition physique, état psychique, activité, mobilité et incontinence. Elle est donnée avec un lexique permettant de «scorer» le risque. Et de choisir un support adapté.

On refait une échelle de Norton en cas de dégradation de l'état du patient. Sinon, une fois tous les six mois suffit.

LES MESURES DE PRÉVENTION

L'évaluation du risque permet de développer des stratégies de prévention et des protocoles de soins adaptés.

Diminuer la pression

Pour diminuer la pression, on doit augmenter la surface de contact (car P = F/S), d'où l'utilisation de support de prévention d'escarre (SPE) et les changements de position.

Les supports (cf. tableau)

Le choix du support est fonction du poids du patient, de ses capacités de mobilisation, de sa pathologie, des ressources disponibles (humaines et matérielles) et du support lui-même (hauteur...). Dans tous les cas, le choix n'est pas définitif car le patient et les facteurs de risque doivent être réévalués régulièrement.

Les différents supports :

→ les supports statiques : mousses (gaufrier, Cliniplot®...), à mémoire de forme, à air, surmatelas et matelas à fibres siliconées ;

→ les supports dynamiques : surmatelas mousse-air, matelas à air.

Les changements de position

La posture du patient est essentielle. Les mobilisations seront adaptées. Planifier et transmettre des informations aux aidants et au patient est indispensable.

Changer de position :

→ toutes les trois heures (deux si haut risque),

→ alterner : décubitus dorsal ; décubitus latéral droit (15 à 30°) ; décubitus latéral gauche (15 à 30°) ; position assise.

Lever dès que possible.

Au fauteuil, des soulèvements de dix secondes toutes les quinze à trente minutes sont préconisés. La pression sur les ischions est majorée par rapport au lit. Mieux vaut rester assis trois fois deux heures que six heures d'affilée. Avec une escarre fessière, il est préférable de rester au lit.

État cutané

Surveillance

Observer la peau au moment des soins d'hygiène et des changements de position, notamment au niveau des saillies osseuses : talon, genoux, sacrum, coudes...

Hygiène

→ Maintenir une hygiène rigoureuse : bien savonner, rincer et sécher, notamment au niveau des plis et des appuis pour éviter les macérations. Utiliser un savon doux. Proscrire les produits alcoolisés.

→ Observer et palper la peau à chaque fois.

→ On peut masser par effleurage avec de l'huile d'amande douce les points d'appui. Le faire avec les doigts à plat et la paume de la main jusqu'à pénétration de l'huile ou d'une crème hydratante. Exemple : huile d'amande douce, crème dermocosmétique (Lipiderm, Ictyane, etc.), Sanyrène...

À proscrire : sèche-cheveux, glaçons, pétrissage.

Réfection du lit

Maintenir un lit propre, avec des draps sans plis et sans objet. En cas de fièvre ou de «fuites», changer les draps tous les jours pour éviter la macération. Si un support est en place, ne pas gêner son efficacité en multipliant les épaisseurs (alèze, drap, alèze jetable...).

Alimentation

Lutter contre la dénutrition

Assurer des apports protéiques et caloriques suffisants : entre 1 et 1,5 g/kg/jour de protéines et 30 à 40 Kcal/kg/jour. Enrichir les aliments avec de la crème, du fromage et des oeufs.

En cas de perte de poids, réclamer une albuminémie au médecin (dénutrition chez la personne de 70 ans et plus si albuminémie < 35 g/l ou si la perte de poids est égale ou supérieure à 5 kg en trois mois ou si l'Indice de masse corporelle, IMC [= poids/taille2] < 21).

Hydratation

Boire 1 à 1,5 litre par jour.

EN PRATIQUE

Avant la rougeur

→ Appliquer toutes les mesures de prévention adaptée au risque.

→ Après la toilette :

- réfection du lit en veillant à l'absence de pli sur le drap du dessous ;

- au fauteuil, veiller à une assise correcte, avec les pieds à plat, sur le sol ou les cale-pieds d'un fauteuil roulant (éviter les pieds dans le vide) ;

→ Informer et éduquer patient et aidants, y compris les auxiliaires de vie sociale :

- expliquer et motiver les mesures ciblées selon les risques ;

- demander au patient de se soulever régulièrement avec une potence.

Au stade de la rougeur

→ Protéger la peau avec un film ou un hydrocolloïde extramince transparent afin de diminuer les forces de frottement. Le laisser en place jusqu'au décollement. Les mousses hydrocellulaires ne diminuent en rien la pression !

→ Arrêter les massages effleurages. On peut continuer à hydrater le reste du corps.

→ Mettre en décharge la zone et alterner les positions toutes les deux à trois heures (ainsi que les accessoires comme les coussins de décharge, talonnière...).

→ Continuer la prévention.

Point de vue...

« Déterminer une échelle de risque devrait entraîner des attitudes préventives »

Évelyne Ribal, infirmière libérale, du réseau Plaies & Cicatrisations de Montpellier (34)

« Le passage de l'escarre stade 1 (rougeur) au stade 4 n'est pas obligatoire ! Avec la pose d'un film transparent ou d'un hydrocolloïde mince et la suspension des appuis, sans oublier les autres mesures préventives (alimentation, hydratation...), l'escarre peut régresser. L'éducation du patient et de l'entourage est primordiale. Avant son apparition, la détermination du risque avec l'échelle de Norton et le jugement clinique devrait entraîner des attitudes préventives, ce qui n'est pas toujours le cas. De même, toute dégradation de l'état du patient avec un score de risque élevé devrait par exemple entraîner une modification du support. C'est à ça que sert la détermination du risque. »