Une double casquette pour faire le lien - L'Infirmière Libérale Magazine n° 248 du 01/05/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 248 du 01/05/2009

 

Gildas Gautier, chauffeur de taxi

La vie des autres

Autrefois chasse gardée des véhicules à l'étoile bleue, le transport des personnes en longue maladie est désormais souvent effectué par des taxis ordinaires. En Bretagne, l'un de ces chauffeurs à la double casquette n'est pas si ordinaire que cela. Attentif à ses passagers, Gildas Gautier se glisse dans un rôle qui lui va comme un gant : celui d'accompagnant.

Les incertitudes inhérentes à la fréquentation des petites routes de campagne ont beau rendre stressants les trajets, pour Gildas Gautier, artisan-taxi, le contact avec le client est plein d'attention. Le « bonjour, ça va ? » n'est pas que commercial... Et, quand il s'agit d'un client qui se rend chez un médecin spécialiste, à une séance de chimiothérapie ou dans un établissement de santé pour être hospitalisé, l'attention devient de la prévenance. « Quand je demande «ça va ?», je pose vraiment la question, reconnaît Gildas Gautier. Il ne s'agit pas de s'immiscer dans la vie privée des gens, il faut savoir retenir sa langue. Mais chaque professionnel a un rôle à jouer. Le mien est basé sur le relationnel. Et pour moi, écouter ronronner le moteur pendant deux heures pour faire un aller-retour à Rennes, ce n'est pas génial ! » Avec un système de santé développant le recours à l'ambulatoire, l'activité de «transport médical» a fortement augmenté pour les artisans-taxi ordinaires(1) comme Gildas Gautier. Après douze ans de salariat, il s'est installé à son compte voilà quatre ans à Rieux, à l'extrême-est du Morbihan. Désormais, la part «santé» de son activité représente à peu près la moitié de son chiffre d'affaires. C'est dire le nombre de trajets qu'il effectue pour transporter - sur prescription médicale des médecins libéraux et des praticiens hospitaliers - des malades aux séances de radiothérapie ou de chimiothérapie, des diabétiques pour des rendez-vous chez l'ophtalmologue ou encore des personnes souffrant de problèmes cardiaques, vers les cliniques et hôpitaux de Redon, Vannes, Nantes ou Rennes. Soit en moyenne, 2000 kilomètres par semaine ponctués d'échanges avec le client. « La grande majorité des clients ont envie de parler, souligne Gildas Gautier. Il arrive que l'on parle de la mort. Il faut dire que nous sommes une petite structure, les clients sont habitués à être conduit par le même chauffeur. Comme ça, ils n'ont pas à répéter leur histoire à chaque déplacement. Cela facilite le lien et, de trajet en trajet, on suit l'évolution de leur état de santé. Même sans poser de questions, je sens bien quand une personne va plutôt bien ou non. »

Cet après-midi, c'est Michel(2), accompagné de sa femme, que Gildas Gautier conduit dans une clinique rennaise : une consultation importante attend ce client. Pour avoir déjà effectué une trentaine de trajets ensemble, les deux hommes ont eu le temps de converser. De choses plus ou moins futiles, comme ce jour-là, la naissance d'un mouton, la plantation des pommes de terre, le travail de son gendre, mais aussi de l'appétit qui va ou du mal au dos qui s'installe... « Désolé, la clim' est en panne. Vous n'avez pas trop chaud ? », s'inquiète Gildas Gautier. Après avoir répondu, Michel souligne à l'adresse de son chauffeur : « Il est attentif ! » Lorsqu'ils arrivent à la clinique, le chauffeur de taxi accompagne Michel et sa femme vers les boxes de l'admission, s'y engage quand un bureau se libère puis montre la voie, en connaisseur des lieux, pour rejoindre la bonne salle d'attente. Normal, pour ce jeune entrepreneur. Il lui arrive même d'accompagner son client jusqu'à sa chambre. « Je considère que je fais ainsi mon travail jusqu'au bout : conduire, favoriser le relationnel et me rendre utile, souligne-t-il. La première chose que j'entends en général quand on entre dans un établissement, c'est : «Alors, où doit-on aller ?» Si ma présence et mon aide diminuent le stress et permettent de faire gagner du temps aux clients, tant mieux ! » Une heure et demie plus tard, Michel et sa femme sortent de la consultation : d'autres rendez-vous sont déjà pris. Il va donc falloir intégrer ces prochains déplacements dans le planning.

On peut facilement ne pas s'en apercevoir : la prise en charge d'une longue maladie exige beaucoup d'organisation pratique. L'implication de Gildas Gautier peut alléger cette charge. Et, parfois même, rendre d'importants services comme récemment, lorsqu'il a récupéré un fauteuil roulant inutilisé dans une maison de retraite et l'a amené à un client qui peinait à en acheter un. Maintenant, la personne peut se déplacer plus facilement et Gildas Gautier peut plus tranquillement l'installer sur le siège de la voiture. Cette prévenance et cette bonne volonté pour se rendre « utile », comme il le dit lui-même, peuvent déboucher quelquefois sur un réel attachement. Depuis quelques mois, une personne atteinte de la maladie de Charcot est ainsi transportée par les taxis Gautier quand, en théorie, elle devrait plutôt l'être par une ambulance, c'est-à-dire allongée. Mais, c'est son souhait. Tant pis si le prochain déplacement est particulièrement long : quelque 1 200 kilomètres durant lesquels Gildas Gautier sera aux petits soins, à n'en pas douter...

(1) Le moyen de transport sanitaire utilisé doit être celui qui est le mieux adapté à l'état de santé de la personne. À côté des véhicules sanitaires légers (VSL) et des ambulances, les taxis ordinaires assument donc une part de ce type de transport.

(2) Le prénom a été modifié pour respecter l'anonymat de la personne transportée.

Il dit de vous !

« Je croise les infirmières libérales quand je viens chercher leurs patients à domicile... Généralement, elles sont très bousculées et restent peu de temps : elles ont tellement de travail. Nous n'avons donc pas le temps d'échanger. Nos clients nous disent souvent qu'elles ne leur portent pas forcément l'attention qu'ils souhaiteraient. En ce qui me concerne, je n'ai pas de regret car nos deux domaines d'intervention sont tout à fait séparés. Mais on a toujours à apprendre des autres. Deux aides-soignantes, qui intervenaient au domicile d'une personne atteinte de la maladie de Charcot que l'on a souvent transportée à Paris, nous avaient accompagnés, cette personne et moi, pour rencontrer le médecin. Elles voulaient en savoir davantage sur cette pathologie et son évolution. Ce rendezvous a été très profitable : elles ont pu répercuter ce qu'elles ont entendu à leurs collègues infirmières. »

TARIFICATION

Des trajets sous surveillance

Pour effectuer des transports sanitaires, l'artisan-taxi doit signer une convention avec la Sécurité sociale. Ces trajets sont en effet réglés par les CPAM, après accord préalable dans le cas d'une série (pour un traitement) ou pour un trajet de plus de 150 km. Mais face à l'augmentation de ce type de transport, et notamment de celui des ambulances, les parlementaires et les caisses d'Assurance maladie ont restreint les enveloppes budgétaires. Les CPAM veillent. Dans certains départements, les prescriptions médicales peuvent même être remises en cause pour orienter les patients vers telle ville au lieu d'une autre. Tant pis si la distance est plus longue, priorité est donnée aux soins intradépartementaux. Gildas Gautier est payé par forfaits basés sur les tarifs définis par la préfecture (qui ne tiennent pas compte des aléas de circulation) et l'obligeant à retourner à Rieux si l'attente sur place est supérieure au temps nécessaire à l'aller-retour.