Le pari de quitter Paris pour le Sud - L'Infirmière Libérale Magazine n° 249 du 01/06/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 249 du 01/06/2009

 

ARDÈCHE

Initiatives

Lorsque Marie-Geneviève Lambert, la parisienne, découvre en remplacement les petites routes d'Ardèche, ses paysages et ses habitants, elle est littéralement transportée. Comme sa manie, c'est de prendre des notes, elle édite en 2008 son journal de bord façon «voyage en contrées exotiques». Baba cool qui s'assume, cette infirmière de 50 ans a trouvé son port d'attache.

Il y a quinze ans, Marie-Geneviève Lambert était paysagiste, diplômée de l'école de Versailles. Croquis, notes éparses, elle engrangeait ses documents et travaillait pour un grand cabinet en région parisienne mais se trouvait trop éloignée des valeurs qui l'avaient poussée vers ce métier : le lien avec la nature, l'action concrète pour embellir l'existence. À 36 ans, elle passe le concours d'entrée en Ifsi, qu'elle réussit après deux années d'études en sciences naturelles et la lecture assidue des pages médicales dans la presse. Ayant obtenu les fonds de reclassement nécessaires, elle commence sa reconversion et reprend sa manie des petits carnets : « Je voulais tout fixer, retenir, comprendre. Je posais beaucoup de questions, peut-être un peu trop... Je crois qu'à la fin, j'énervais pas mal de monde... »

La hiérarchie pesante de l'hôpital

Au cours de son premier stage en psychiatrie, Marie-Geneviève est sur le point de décrocher. Elle a le sentiment que l'institution n'apporte pas la bonne réponse à la souffrance des patients. La musique lui vient en aide. Diplômée en chant lyrique, elle collabore régulièrement aux choeurs de Radio France : « Un jour, en rentrant de l'hôpital, j'ai eu le sentiment de ne plus pouvoir continuer. Je me suis rendue à mes répétitions, nous étions en train de travailler La Messe en ut de Mozart. En une journée, je suis passée de l'enfer au paradis. » C'est dans cet équilibre subtil entre musique et soins que Marie-Geneviève franchit les obstacles. Rapidement, l'infirmière, indépendante d'esprit, s'aperçoit qu'elle s'accommodera mal de la hiérarchie, parfois pesante, de l'hôpital. Elle sera donc intérimaire. Elle ne lâche pas ses carnets de notes et se forge sa philosophie du métier. Un épisode l'a marquée, datant de l'époque où elle assurait une mission aux urgences psychiatriques de Sainte-Anne : « Un jour, nous avons pris en charge un monsieur qui allait très mal. Il était très angoissé, ses mains tremblaient. Il m'a raconté qu'il avait travaillé comme cuisinier dans un grand restaurant. Moi, je rêvais d'être initiée à la magie de la pâte à choux. Nous nous sommes assis ensemble, sur un banc, et, lentement, il m'a révélé toutes les subtilités de cette recette. Je notais soigneusement ses indications. Ce n'était plus le même. Pour moi, c'est ça, le soin. »

Après six ans d'intérim dans la région parisienne, Marie-Geneviève commence ses remplacements en Ardèche. Elle veut se retrouver près de la nature, cette nature dont elle s'est toujours sentie très proche. « Je voulais descendre dans le Sud, mais avant la frontière méridionale «piscine-pastis», s'amuse-t-elle. Et j'ai décidé de commencer en hiver pour éviter d'être trop facilement séduite. » Les débuts sont d'autant plus éprouvants que l'hiver est très rude sur la montagne ardéchoise : la burle, un vent violent, déplace la neige et peut transformer une brebis égarée en congère en quelques minutes. Le baptême du feu se présente sous des auspices peu cléments : Marie-Geneviève doit remplacer une infirmière décédée dans un accident de voiture.

Le sens des relations simples

La veille de sa rentrée ardéchoise, Marie-Geneviève passe une nuit blanche. L'excitation, la peur... Parviendra-t-elle à contrôler sa voiture sur les routes sinueuses et à ne pas se perdre ? Trouvera-t-elle les gestes indispensables à sa nouvelle pratique d'infirmière polyvalente ? Arrivera-t-elle à nouer un bon contact avec ses patients montagnards ?

Une fois la voiture déneigée, la première tournée commence et se passe sans anicroche. L'infirmière tombe sous le charme de l'Ardèche et de ses habitants. Des gens solides, ancrés dans leur terroir. Des personnes âgées qui refusent toute idée de dépendance et qui, même si elles habitent un hameau haut perché, ne lui semblent pas subir de plein fouet la solitude. « En Ardèche, je trouve que les gens sont plus vivants qu'à Paris, explique Marie-Geneviève. Sans cesse, la vie frappe à leur porte. À Paris, les gens, livrés à eux-mêmes, dans un environnement sans sensations, sont dans un état d'extrême solitude et de grande détresse. C'est un défi trop lourd à relever par une seule visite infirmière. »

La force de caractère, l'humour des Ardéchois séduisent l'infirmière, qui se reconnaît vite en eux. Ils ont en commun un grand recul vis-à-vis de l'existence, un sens de la débrouillardise, une grande affectivité cachée derrière une apparente réserve. Marie-Geneviève sent qu'elle peut prodiguer ses soins comme elle l'entend : « Le contact physique avec les patients est primordial à mes yeux. Par exemple, j'aime procéder à des bains de pieds, sans gants. Cette intimité est possible en Ardèche, où les gens ont le sens des relations simples. Les messieurs se permettent parfois quelques plaisanteries grivoises, parce qu'ils savent que leur femme est dans la chambre d'à côté et qu'elle entend tout, c'est un jeu. »

Le contact avec ses partenaires de soins s'avère tout aussi stimulant. À Antraigues, l'une des communes où elle effectue ses remplacements, le cabinet des trois infirmières est attenant à celui du médecin : « Nous échangeons beaucoup. Chacun a sa propre approche des patients. »

La force de caractère des patients, la difficulté à les atteindre, la qualité des soins, la longueur des trajets et la beauté saisissante des paysages galvanisent l'infirmière parisienne. Dans sa voiture, accompagnée de Mozart ou Bach, elle gagne les sommets et s'imagine ne plus jamais redescendre. En rentrant de ses tournées, elle remplit ses carnets de notes, d'impressions.

L'urgence de fixer par écrit

De retour à Paris, Marie-Geneviève donne à lire quelques bonnes feuilles à ses amis : l'enthousiasme est général. Elle poursuit son travail d'écriture lors de chaque nouveau remplacement ardéchois. Elle note ce qu'elle voit, ce qu'elle ressent et les réflexions sur le métier que lui inspirent ses visites. Elle a le sentiment de vivre un moment exceptionnel, elle est dans l'urgence de fixer par écrit ce qu'elle vit : les tournées épuisantes avec des kilomètres de solitude et de routes en lacets qui donnent le tournis. Elle décrit ses rencontres, intenses, avec ses patients, comme avec cette femme de 85 ans qui vient de faire une chute d'une échelle sur laquelle elle s'était perchée pour vérifier l'état du toit. Peu impressionnée par le plâtre qui lui maintient la jambe, elle tire à sa façon la leçon de cette mésaventure : la prochaine fois, il lui faudra se tenir des deux mains à son échelle.

Le Journal d'une infirmière en Ardèche est publié en 2008. Pendant l'écriture de son livre, MarieGeneviève a acheté une maison en Ardèche. Les artisans à qui elle en a confié la rénovation ont terminé leur travail. Elle compte s'installer prochainement dans sa nouvelle demeure et effectuer des remplacements en Ardèche à l'année. Elle pourra suivre les saisons sans interruption et continuer d'autres expérimentations. L'infirmière s'enthousiasme : « Une patiente m'a montré dans la montagne les fleurs d'arnica. Nous avons fait une macération alcoolique et avons pu obtenir de la teinture-mère. On peut l'utiliser diluée, sur une compresse. » Un de ses projets à venir : approfondir sa connaissance des plantes, en menant une approche plus scientifique, basée sur les rincipes actifs. Avec, peut-être, la perspective d'une nouvelle vie...

EN SAVOIR +

→ M.-G. Lambert,Le Journal d'une infirmière en Ardèche, éd. La Fontaine de Siloë, 2008. Infos vente : lafontainedesiloe@wanadoo.fr.

→ Les professionnels de santé s'engagent peu dans l'aventure du témoignage personnel destiné à l'édition : le poids du secret professionnel joue sûrement un rôle dans cette autocensure littéraire.

→ Martin Wincler (La Vacation, La Maladie de Sachs, édition POL) a relaté les états d'âmes d'un médecin de campagne, mais sous la forme romanesque.

→ L'infirmière de santé publique suisse Françoise Bardet a fait publier en 2005 Infirmière à domicile, une aventure au quotidien (édition Ouverture). Dans cet épais recueil, riche en descriptions et en analyses, elle relate les cas d'école auxquels elle a été confrontée, sans pour autant se livrer dans l'intimité de ses sentiments.