Le soin écolo fait éco le - L'Infirmière Libérale Magazine n° 250 du 01/07/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 250 du 01/07/2009

 

Virage vert

Dossier

Personne ne peut y échapper : le développement durable s'est imposé dans notre quotidien. Ancrée au coeur du principe d'Hippocrate, la notion de soin « durable et respectueux » du patient et de l'environnement devient même un atout pour les professionnelles qui prennent le temps de s'en préoccuper. Bien plus qu'un art de vivre...

Pansements, injections, pose de dispositifs variés... Le travail de l'infirmière libérale au domicile des patients ou au cabinet génère de nombreux déchets. Une étude menée en Île-de-France estime en effet que si un médecin produit 35 grammes de déchets à risques par semaine, chez l'infirmière, ce chiffre grimpe à 500 grammes ! Au niveau national, si la quantité de déchets produite par les établissements de santé peut facilement être évaluée, celle issue de l'activité libérale est quand même plus difficile à déterminer. « On estime à 170 000 tonnes les déchets d'activité de soins à risque infectieux (Dasri) produits par les établissements de santé et entre 9 000 et 13 000 tonnes le gisement produit par l'activité libérale et les laboratoires », résume Adeline Pillet, ingénieur « déchets diffus spécifiques » à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).

DES DÉCHETS ENCADRÉS

Et encore, c'est sans compter les emballages qui entourent les piquants, coupants ou tranchants (PCT) que la professionnelle utilise au cours de sa journée : ils finissent généralement dans les déchets ménagers courants du patient et n'entrent donc pas dans le calcul.

Si le problème des Dasri PCT fut pendant longtemps géré de manière presque sauvage - chaque professionnelle faisant au mieux pour les collecter -, aujourd'hui, la loi encadre mieux le processus : « Tout producteur de Dasri est tenu de les éliminer en respectant les dispositions relatives à l'entreposage, au transport, à l'incinération et à la traçabilité des mouvements de déchets », indique le décret n° 97-1048. Il incombe donc aux infirmières de s'assurer que tout est en ordre côté collecte et traitement.

Dans les faits, elles sont nombreuses à emporter les seringues et aiguilles une fois les injections faites au domicile du patient : « Nous disposons de containers de 0,3 litre dans notre mallette, pour aller de domicile en domicile, et d'un autre plus gros, au cabinet, afin de tout rassembler. Puis nous confions ces déchets un peu spéciaux à un prestataire de services qui les traite », détaille Céline, infirmière libérale.

L'ÉCO-ATTITUDE DES INFIRMIÈRES

Une éco-attitude confirmée par les patients qui reçoivent la visite d'une infirmière : « J'ai une injection quotidienne, explique Ève, atteinte de sclérose en plaques, et l'infirmière qui vient me la faire repart avec la seringue et l'aiguille usagée, qu'elle met dans une petite boîte conçue pour cet usage. » Philippe Perrin, éco-infirmier (voir notre interview en page 23), confirme : « Il s'agit effectivement d'une démarche bien ancrée dans l'exercice professionnel. » En aval, certaines communes ou laboratoires mettent à la disposition des infirmières (et des patients en autotraitement) des filières de récupération des déchets de soins, qui doivent être collectés au préalable dans les containers jaunes. Selon l'Association française des diabétiques, il reste un problème : de telles filières existeraient sur la moitié du territoire seulement, et seraient plus ou moins efficaces. Les infirmières font donc de plus en plus souvent appel à des prestataires privés, qui facturent la prestation ou travaillent en partenariat avec les établissements de santé couvrant leur secteur, pour se débarrasser de ces rebuts bien particuliers.

Le surcoût engendré par l'élimination de ces déchets peut ensuite être répercuté sur les visites à domicile. C'est le cas en Pays de la Loire, dans un réseau d'infirmières libérales autour de Saint-Nazaire où une enquête menée fin 2007 a permis d'évaluer le surcoût lié au traitement des déchets pour les professionnelles travaillant auprès de patients en chimiothérapie à domicile. Le forfait de la visite pour la mise en place au domicile du patient a pu être revalorisé en conséquence. Mais ce n'est pas le cas dans toutes les régions et, parfois, les infirmières doivent absorber le coût (environ 260 euros pour un container de déchets de 300 litres chez certains prestataires de service).

ÉDUQUER LE PATIENT

Reste, malgré ces bonnes pratiques, un point épineux, celui des déchets « mous », mais néanmoins issus d'activités de soins, tels que les pansements, compresses et cotons. En effet, si quelques infirmières récupèrent tout ce qui est souillé dans des sacs jaunes spécialement prévus pour les Dasri, nombreuses sont celles qui les laissent au domicile du patient, sauf dans le cas de malades atteints de pathologies infectieuses potentiellement dangereuses pour autrui (par exemple le sida). Et le patient, lui, est en général peu sensibilisé au sort réservé à ces déchets d'un type particulier : ces derniers finissent donc dans les ordures ménagères.

Pourtant, si l'éducation du patient était réalisée correctement, les pansements et compresses souillés pourraient être eux aussi collectés et traités par la bonne filière. Les choses pourraient évoluer en ce sens, le Sénat ayant voté un amendement au projet de loi de finances 2009 pour la collecte et le traitement des Dasri. Le texte reconnaît l'existence de dispositifs de collecte spécifiques mais propose, là où il n'y en a pas, la création d'une filière différente engageant la responsabilité des producteurs - infirmiers et patients - et des distributeurs : rien de bon pourtant pour les associations de patients (diabétiques notamment), qui voient d'un mauvais oeil ce changement pouvant mettre à mal toute une filière de tri aux fondements désormais bien établis.

L'éducation thérapeutique est un véritable défi en matière de développement durable, comme le confie la cofondatrice du Comité pour le développement durable en santé (C2DS, cf. encadré en page 21), Véronique Molières : « Il faut retrouver le bon sens que l'on a perdu de vue en matière de santé et sensibiliser le patient au fait qu'il faut être acteur de sa santé. Les infirmières libérales sont en première ligne pour ce type de communication. Si l'on prend l'exemple des tubulures en PVC, que des infirmières posent chez certains patients, il faut qu'elles sachent que celles-ci peuvent être toxiques : elles contiennent des phtalates, destinés à assouplir les plastiques, et elles présentent des dangers pour la santé. Si le but n'est pas de crier au loup, il faut faire ce travail de sensibilisation », insiste Véronique Molières. Un avis partagé par Philippe Perrin, sensibilisé aux enjeux environnementaux : « L'efficacité de l'éducation environnementale délivrée par les infirmières libérales est aussi importante en termes de santé publique que les campagnes de communication institutionnelles », assure-t-il.

ET LA FORMATION ?

C'est dès la formation que le message peut être délivré. Mais il reste pour l'instant absent des programmes officiels. La réforme qui touche actuellement la formation infirmière, avec son intégration au sein du dispositif LMD (licence-master-doctorat), pourrait changer la donne. Même si les textes sont encore soumis à la réflexion des organisations professionnelles, Philippe Perrin se montre confiant : « Après avoir milité pour que la notion de santé environnementale soit inscrite dans le programme des étudiants infirmiers, il semblerait que l'on ait été entendus et qu'une unité d'enseignement lui sera consacrée. » Les futurs élèves infirmiers auront-ils l'opportunité de suivre des cours sur les liens entre santé et environnement ?

Pour Philippe Perrin, cet aspect de la formation est fondamental : « Il ne faut pas réduire la prévention au dépistage ou à l'éducation thérapeutique, mais au contraire insister sur la prévention primaire, en traitant des dangers du tabac et de l'alcool. » Pour lui, il est essentiel de parler de la pollution urbaine, de la contamination de notre alimentation par les pesticides ou les dioxines, d'aborder également des thématiques très modernes, comme l'impact des ondes sur la santé, les nanotechnologies ou encore les organismes génétiquement modifiés (OGM).

UNE PÉTITION SUR INTERNET

« Jusqu'où la population acceptera-t-elle que des personnes qui se prétendent professionnels de santé ne soient que des professionnels de maladies ? », s'interroge Philippe Perrin, qui a mis en ligne une pétition pour appeler les professionnels de santé à réclamer la prise en compte de la santé environnementale dans le plan de formation des futurs infirmiers.

Si, du point de vue de la population, la réponse risque d'être difficile à obtenir, il semble que la demande ait été entendue par les instances gouvernementales et que les choses évoluent. Des organismes de recrutement paramédical ont déjà mis en place des formations d'éco-infirmier : c'est le cas de l'Appel médical, qui a proposé en novembre 2008 une formation de trois jours en Rhône-Alpes à quinze étudiants. Cette expérience pourrait être renouvelée en 2009 si le questionnaire de satisfaction sur la formation se révèle positif. L'organisme étudie la possibilité de diffuser une newsletter sur les bonnes pratiques à domicile et les gestes écocitoyens que les infirmières pourraient réaliser.

ANALYSE C2DS

Un comité pour le développement durable

Le Comité pour le développement durable en santé (C2DS) (1) est né fin mai 2006, sous le haut patronage des ministères de la Santé et du Développement durable. Se définissant comme une « communauté d'idées et de travail », il fédère plusieurs centaines de professionnels de santé (salariés et libéraux) et l'ensemble des parties prenantes du monde hospitalier (fournisseurs, chercheurs, associations, etc.). Avec comme devise primum non nocere, deinde curare (2), ce comité souhaite « aborder le champ du soin sous l'approche durable et solidaire et donner un élan nouveau aux problématiques santé-environnement », comme l'explique Véronique Molières, cofondatrice de ce comité. Sa conviction ? Le développement durable doit devenir l'axe majeur de la politique de santé en France, voire en Europe ! Pour y arriver, le C2DS travaille de manière indépendante afin de bâtir des propositions et de mettre à disposition des outils pour progresser : dernièrement (cf. ILM n°249), le comité a publié un Guide des pratiques vertueuses plein de conseils et de bon sens. Même s'il s'adresse en priorité aux hôpitaux et cliniques, tout professionnel de santé peut y trouver des informations utiles. Le C2DS prépare aussi des projections régionales du film qu'il vient de produire, Vers un monde de santé, des idées aux pratiques vertueuses.

(1) Plus d'informations sur le site du C2DS : .

(2) Traduction : d'abord ne pas nuire, ensuite soigner.

Associatif

La petite dernière

Le Grenelle de l'environnement aura contribué à faire émerger de nouvelles associations spécialisées dans la prise en compte du risque environnemental et de la santé, parmi lesquelles la Société française de santé et environnement (SFSE). Créée début décembre 2008, elle vise à « rendre accessibles les connaissances en santé et environnement et à débattre autour de cette question », indique son président, le Pr Alain Grimfeld. Son premier colloque se tiendra le 14 décembre 2009. Toutes les infos sur le site .

Interview Philippe Perrin, premier « éco-infirmier »

Prévention primaire et éducation à la santé

Pouvez-vous nous expliquer votre spécificité ? J'ai à la fois une formation d'infirmier et un parcours universitaire, avec un titre en santé publique. Il n'y a pas vraiment de formation spécifique d'éco-infirmier. Je sensibilise les futures recrues à l'importance des relations santé-environnement. J'anime aussi un groupe au sein du C2DS.

Quel regard portez-vous sur les pratiques environnementales des infirmières libérales ? Les infirmières libérales sont très respectueuses de la réglementation. Je souhaiterais plutôt insister sur l'énorme potentiel dont elles disposent, en termes d'éducation environnementale : au domicile des patients, elles sont en première ligne pour leur délivrer ces informations.

Comment voyez-vous l'avenir de votre discipline ? Je souhaite que le statut se développe. La problématique actuelle est celle de la tarification. Si une infirmière choisit ce champ d'exercice, il n'y a pas de rémunération spécifique associée, sauf si l'on considère qu'il s'agit d'éducation thérapeutique. Mais le rôle de l'éco-infirmier va bien au-delà, il englobe toute la prévention primaire et l'éducation à la santé au sens large.

ANALYSE FORMATION

Dans les textes...

Le projet de loi relatif à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, dans son article 48, indique que « les formations initiales et continues des membres des professions de santé et des professionnels de l'aménagement de l'espace comprendront des enseignements, adaptés aux métiers qu'ils concernent, relatifs aux enjeux de santé liés à l'environnement, à compter de la rentrée 2009 ». Le calendrier sera-t-il respecté ? L'engagement n° 209 du Grenelle prévoit en outre de « développer une action volontariste en matière de formation initiale et continue pour les professions de santé ». Un thème déjà présent dans le plan santé-environnement 2004-2008, qui insistait sur la nécessité d'intégrer la dimension santé-environnement dans les formations initiales (article n° 41) et continues (article n° 42) de l'ensemble des professions de santé. Le pari sera-t-il tenu ?

EN SAVOIR +

→ Le site de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) propose un guide complet sur les Dasri :

Infections liées aux soins en dehors des établissements de santé, guide de prévention de la Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins, janvier 2006, téléchargeable sur dossiers/infect_soins/guide.pdf.

→ Les caractéristiques des emballages destinés à recueillir les Dasri : .

→ Voir également les sites Web de l'Ademe, du C2DS et de la SFSE et du Grenelle de l'environnement (, , et ).