Protection des malades et de la famille - L'Infirmière Libérale Magazine n° 250 du 01/07/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 250 du 01/07/2009

 

Cahier de formation

Savoir faire

En phase maniaque, Marc, 37 ans, est réhospitalisé à la demande de sa mère. Elle en a assez : Marc a encore dilapidé ses revenus et a acheté une grosse voiture. La maman de Marc est une patiente que vous suivez pour son diabète.

Vous l'écoutez et évoquez la sauvegarde de justice qui peut protéger le patrimoine de son fils et peut-être même résoudre cette histoire de voiture. Vous lui conseillez d'en parler au psychiatre de l'hôpital afin de demander cette mesure peu contraignante pour Marc,qui le protègera de ses excès en phase maniaque.

L'HOSPITALISATION SOUS CONTRAINTE

On peut recourir exceptionnellement à l'hospitalisation sous contrainte dès lors que, sur une courte durée, la conscience des troubles, et donc du besoin de soin, est altérée. La loi du 27 juin 1990 redéfinit les droits des malades mentaux et les modalités de l'hospitalisation sans consentement (HSC) avec deux régimes : l'hospitalisation à la demande d'un tiers (HDT) et l'hospitalisation d'office (HO).

Dans les troubles bipolaires, on recourt le plus souvent à l'HDT car les troubles à l'encontre de l'ordre public sont plus rares.

Hospitalisation à la demande d'un tiers (HDT) «classique»

L'HDT est prononcée par le directeur de l'hôpital au vu de deux certificats médicaux concordants et circonstanciés. Le premier certificat est rempli par un médecin n'exerçant pas dans l'établissement d'accueil. Doivent y être mentionnées la présence de troubles mentaux, l'impossibilité de consentir à l'hospitalisation, la nécessité de soins immédiats et d'une surveillance constante en milieu hospitalier. La demande est manuscrite et signée par le demandeur qui est un membre de la famille ou un tiers susceptible d'agir dans l'intérêt du patient, à l'exclusion des personnels soignants exerçant dans l'établissement.

L'HDT d'urgence

En cas de péril imminent, c'est-à-dire de « risque de dégradation grave de l'état de santé de la personne en l'absence d'hospitalisation », l'admission peut être prononcée au vu d'un seul certificat médical pouvant provenir d'un médecin exerçant dans l'établissement d'accueil.

Un formulaire type est en général disponible au bureau des entrées de l'hôpital psychiatrique. Il peut être faxé.

Contrôles des procédures

Pour s'assurer de l'absence de détention arbitraire, des contrôles médicaux et administratifs sont établis :

→ des certificats médicaux, dits «de 24 heures» et «de quinzaine», permettent de confirmer ou d'infirmer la nécessité de l'hospitalisation et d'en vérifier les conditions ;

→ les autorités administratives (préfet, maire) et judiciaires (juge d'instance, président du tribunal de grande instance, procureur de la République) et la commission administrative médico-judiciaire sont informées par l'envoi de tous les documents (certificats médicaux...) et peuvent intervenir à tout instant ;

→ le patient a le droit de contacter ces autorités : il est informé et peut choisir l'équipe médicale. Il est libre de recevoir des visites, de contacter un avocat et d'envoyer des courriers.

Les levées d'HDT

Elles peuvent se faire sur avis médical (le psychiatre « certifie que les conditions d'HDT ne sont plus réunies » au vu de l'amélioration clinique) ; par un tiers, par la commission départementale des hospitalisations psychiatriques (CHDP) ou sur ordre de préfet en cas de disparition des troubles ou en l'absence de certificats de suivi médical exigés.

Les sorties d'essai

Encore appelées «congés d'essai» HDT, les sorties d'essai sont une étape vers la sortie d'une HSC. Sur proposition du médecin hospitalier, le patient est alors suivi en soins ambulatoires, tout en restant sous le régime de la contrainte.

LA PROTECTION JURIDIQUE DES MAJEURS «INCAPABLES»

Il existe des démarches de protection «civile» permettant de protéger les biens des patients et/ou des familles lorsque les troubles en phase maniaque perturbent le raisonnement et aboutissent à des actes outranciers : achats inconsidérés, prodigalité... Environ 700 000 personnes en France sont sous tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice.

Le contexte

Suivant le degré d'incapacité du majeur, la loi prévoit un régime de protection juridique plus ou moins souple : sauvegarde de justice, curatelle, tutelle. Chacune de ces mesures possède des règles légales propres pouvant être assouplies ou renforcées.

Parmi ces trois mesures, la sauvegarde de justice est une mesure provisoire permettant de placer immédiatement la personne à protéger sous sauvegarde de justice. Quant aux mesures de curatelle et de tutelle, plus longues et complexes, elles sont mises en place grâce à l'expertise d'un juge et d'un psychiatre expert. Tutelle et curatelle se différencient par la notion médicale de «besoin» : si le majeur a besoin d'être représenté de manière continue dans les actes de la vie civile, la tutelle s'impose. S'il a simplement besoin d'être conseillé ou contrôlé sans être hors d'état d'agir lui-même, c'est la curatelle (source : ).

La sauvegarde de justice

Mesure temporaire, soit dans l'attente d'une mise sous tutelle ou curatelle, soit pour une période déterminée justifiée par l'état d'une personne nécessitant des soins médicaux, elle est destinée à protéger la personne majeure. Cette dernière conserve l'exercice de ses droits et peut accomplir tous les actes de la vie civile, y compris la vente de biens. Le contrôle des actes s'effectue a posteriori : le recours est possible durant cinq ans, à condition d'apporter la preuve que les actes ou des contrats ont été passés sous l'emprise d'un trouble mental (par exemple des achats abusifs en crise maniaque, un report de grosses factures payables durant la maladie...).

Durée : courte, elle ne peut excéder un an, renouvelable une fois.

La demande : elle peut être faite par toute personne portant un intérêt à la personne, les membres de la famille, des amis, le médecin, voire la personne elle-même.

Les procédures : il en existe deux. La demande peut être faite par le médecin traitant, confirmée par un spécialiste auprès du procureur de la République du lieu où la personne est traitée. Ou par le juge des tutelles du tribunal d'instance du lieu de résidence du patient lorsque le juge est saisi d'une demande de mise en tutelle ou curatelle nécessitant une mise immédiate sous sauvegarde de justice.

Dans les cas les plus graves, un mandataire peut être désigné pour contrôler les actes importants du majeur à protéger.

La curatelle

La curatelle permet de prendre en charge une incapacité partielle d'un majeur qui, sans être hors d'état d'agir lui-même, a besoin d'assistance dans les actes de la vie civile ou qui fait preuve d'oisiveté, d'intempérance ou de prodigalité, mettant en péril son patrimoine et/ou celui de sa famille.

Le majeur protégé garde le droit de vote, par exemple, et la possibilité de conclure un contrat de travail, mais la plupart des actes civils sont sous contrôle d'un tiers : le curateur.

La demande : elle peut être déposée par le majeur lui-même, le conjoint, les ascendants, descendants, frères ou soeurs, le ministère public, le juge des tutelles. La demande nécessite un certificat médical d'un psychiatre expert. Le juge dispose d'un an pour rendre sa décision après avoir auditionné le majeur, les proches et un ou des médecin(s).

Les procédures : il existe la curatelle simple, aménagée, renforcée ou aggravée d'une part, la curatelle d'État d'autre part. Selon la forme, les actes que le majeur protégé peut faire seul sont plus ou moins limités. Ainsi, dans la curatelle renforcée, le curateur perçoit seul les revenus et assure les dépenses. Dans tous les cas, le majeur sous curatelle consent lui-même à tout acte médical.

Durée : illimitée, la curatelle cesse par jugement («mainlevée») sur demande de l'intéressé lui-même, de la famille ou des proches.

La tutelle

Elle s'adresse à une personne qui a besoin d'être représentée de manière permanente dans les actes de la vie civile (mariage, divorce, achat...), en raison d'une altération «grave et habituelle» des facultés mentales ou corporelles. La personne perd l'usage du chéquier, du droit de vote... C'est un tuteur qui décide de tout, via le conseil de famille.

Il existe quatre formes : la tutelle avec conseil de famille, sans conseil de famille (la plus fréquente), en gérance et d'État.

Dans la tutelle sans conseil de famille ou «administration légale sous contrôle judiciaire», le juge des tutelles nomme un «administrateur légal», parent ou allié du majeur à protéger, qui va gérer le patrimoine et faire des actes conservatoires. Les autres actes sont soumis à l'accord du juge des tutelles.

Les procédures et la durée sont quasi identiques à celles de la curatelle.

Point de vue...

« Les familles ne doivent surtout pas culpabiliser »

Annie Labbé, présidente d'Argos 2001, association d'aide aux personnes atteintes de troubles bipolaires

« Face à un accès maniaque, de comportements à risque (suicide ou hétéro-agressivité), les proches doivent éviter le «Tu ne serais pas en train de virer ?». La famille, qui vit parfois un enfer, peut avoir peur et redouter la crise. Il vaut mieux prendre la fuite, éviter d'argumenter et attendre un jour ou deux avant d'aborder le patient et de lui dire : «Tu m'as fait vivre ça, c'est insupportable...» Évidemment, si cette attitude persiste au-delà de quarante-huit heures, on doit alerter le médecin. En outre, si le patient ou les proches sont en danger, il ne faut pas hésiter à demander une HDT (hospitalisation à la demande d'un tiers). Le plus simple est d'appeler les pompiers ou SOS médecins, et de signer un papier en sachant que cette hospitalisation peut être levée dès le matin. Je conseille aux proches de profiter de l'intervalle libre - hors crise - pour demander au patient d'écrire un mot dans lequel il signifie l'envie d'être pris en charge à l'hôpital en cas d'épisode maniaque... »

Question de patient

Est-ce que ma famille peut demander une sauvegarde de justice dès la première hospitalisation ?

Oui, certaines personnes - même des patients - le préconisent d'ailleurs car la personne en phase maniaque peut se mettre totalement en danger. Elle peut faire n'importe quoi : vendre sa maison, vider un compte en banque... Une fois la manie traitée, elle sera peut-être ravie d'avoir été protégée.

En chiffres

- En 2003, 76 856 hospitalisations sans consentement (HSC) ont été décidées sur la France entière, soit 12,7 % des hospitalisations en psychiatrie.

- 73,2 % sont hospitalisés librement (HL),

- 15,2 % le sont à la demande d'un tiers (HDT),

- 6,2 % sont hospitalisés d'office (HO), dont 81,8 % hommes (pas d'information pour les 5,4 % restant).

- Les troubles de l'humeur représentent 14 % des HSC (20 % en HL), dont 17 % des HDT et 8 % des HO.

Chiffres obtenus parmi les patients hospitalisés à temps plein dans les secteurs de psychiatrie générale un jour donné, source Drees, 2003.