Savoir - L'Infirmière Libérale Magazine n° 250 du 01/07/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 250 du 01/07/2009

 

Cahier de formation

Savoir

Les troubles bipolaires se caractérisent par des variations cycliques de l'humeur avec alternance, voire coexistence, de phases dépressives et de phases d'exaltation, séparées ou non de périodes sans troubles. Le traitement associe des médicaments régulateurs de l'humeur, une psychoéducation et la mise en place d'un mode de vie régulier qui peut contribuer à atténuer les variations de l'humeur.

LES TROUBLES BIPOLAIRES

La bipolarité

Les troubles bipolaires sont des troubles de l'humeur ou dysthymies. Ils se caractérisent par la survenue répétée et cyclique d'épisodes dépressifs, maniaques, hypomanes ou mixtes. Entre ces accès, les malades sont indemnes de troubles.

Relativement fréquente dans la population, cette affection est souvent difficile à dépister lorsque le patient est en phase dépressive. Hormis l'accès maniaque caractéristique, l'hypomanie n'est pas souvent prise en compte, l'individu atteint étant bien souvent considéré comme un boute-en-train ou un hyperactif.

Les dysthymies

Un trouble de l'humeur ou dysthymie est la perte plus ou moins momentanée du contrôle des affects. Ces dysthymies varient par leur qualité et leur intensité, allant de la dépression mélancolique la plus profonde à l'accès maniaque, en passant par tous les états intermédiaires. Il existe aussi des états mixtes où l'état dépressif cohabite avec l'hypomanie. Entre ces troubles, l'humeur est normale (euthymie).

La manie

La symptomatologie maniaque est très polymorphe dans son expression.

→ La manie, ou épisode maniaque, est caractérisée par une hyperexcitation psychique avec tachypsychie (accélération anormale du rythme de la pensée : mille idées à la minute) et fuite des idées (aucune n'aboutit).

→ Le patient manque de concentration, il est dans une tonalité mégalomaniaque (idées de grandeur, se sent investi d'une mission...).

→ Il y a aussi une excitation motrice (il dort peu, il multiplie les activités).

→ À cela s'ajoute la libération des instincts (notamment sexuels) : achats inconsidérés, agression physique, désirs multipliés, outrage, tapage nocturne... L'humeur est versatile (on dit qu'elle est labile), avec un optimisme entrecoupé de colère, d'angoisse ou d'agressivité.

On peut classer les principaux symptômes cliniques en quatre catégories :

symptômes thymiques : irritabilité, euphorie, dépression, labilité, expansivité ;

symptômes cognitifs : idées mégalomaniaques, fuite des idées, distractibilité, troubles de la concentration, confusion ;

symptômes psychotiques : idées délirantes, idées délirantes de grandeur, idées de persécution, syndrome d'influence, hallucinations ;

comportement et activités : hyperactivité, réduction du sommeil, violence/agression, logorrhée, nudité/ exhibitionnisme sexuel, hypersexualité, extravagance, préoccupations religieuses.

Certains psychiatres évoquent la «causticité» de l'état maniaque : le patient devient injurieux et sait comment blesser en paroles son interlocuteur.

L'hypomanie

L'hypomanie est un état d'excitation rappelant de façon atténuée les grands traits de l'excitation ou exaltation maniaque (manie moins prononcée). Les symptômes sont moins nombreux, moins intenses et moins invalidants. Le diagnostic peut être posé lorsque les symptômes persistent au moins quatre jours.

La dépression

La dépression franche bipolaire est de type mélancolique avec humeur triste, douleur morale intense, inhibition psychomotrice, perturbations neurovégétatives (troubles du sommeil, anorexie) et parfois idées délirantes (sentiment d'indignité, prostration). Les idées de suicide sont très présentes, elles peuvent s'accompagner de passages à l'acte.

Les conséquences

Le risque majeur de la phase dépressive est le suicide. Le suicide peut être individuel ou «altruiste», c'est-à-dire que le malade, pensant que tout est perdu, estime préférable d'entraîner des proches dans la mort. La manie comporte plutôt un danger social. Lorsqu'on s'estime le maître du monde, la prise de risque peut être inconsidérée : vitesse au volant, dépenses somptuaires, désinhibition comportementale... Dans les états mixtes, le risque suicidaire est permanent, car le patient a l'énergie nécessaire pour passer à l'acte tout en pensant à la mort alors que la mélancolie s'accompagne plutôt d'une inhibition.

Les formes de la maladie

Les différents types de troubles bipolaires

Les troubles bipolaires sont décrits selon l'expression des états et la durée des épisodes. On distingue :

le type I : alternance d'accès maniaques et dépressifs entrecoupés d'intervalles libres ;

le type II : existence de phases hypomaniaques et d'épisodes dépressifs majeurs entrecoupés d'intervalles libres ;

le type III : forme dont les états maniaques ont été induits par des traitements antidépresseurs. On parle de «virage maniaque» : le patient jusqu'alors dépressif entre en phase maniaque provoquée par l'antidépresseur ;

le type IV ou mixte : épisodes dépressifs majeurs associés à un tempérament hypomaniaque en même temps. C'est le plus grave car le patient a l'énergie pour passer à l'acte (le risque suicidaire est donc important).

→ De plus, on distingue les cycles lents des cycles rapides ou sujets rapid-cyclers pour lesquels les phases s'enchaînent de manière rapprochée : présence d'au moins quatre épisodes thymiques au cours des douze derniers mois ou bien, par exemple, quinze jours maniaques, puis quinze jours euthymiques et quinze jours dépressifs...

Les comorbidités

Dans environ 20 % des cas, le trouble bipolaire s'associe à un état anxieux ; près de 60 % des patients ont des conduites addictives (alcool, etc.). Des troubles de la personnalité peuvent également exister (sujet borderline...).

Physiopathologie

Les troubles bipolaires résulteraient d'un dysfonctionnement dans le contrôle sérotoninergique des stimuli noradrénergiques centraux, intriquant des facteurs de vulnérabilité génétiques et environnementaux.

Il existe une vulnérabilité génétique vis-à-vis du trouble bipolaire : si l'un des parents de premier degré est atteint de troubles bipolaires, le risque d'en présenter un est de 10 % par rapport à une prévalence de 1 à 2 % dans la population générale.

Diagnostic

Il est «clinicien-dépendant». Beaucoup de patients sont diagnostiqués tardivement : il peut s'écouler entre six et dix ans entre le début des troubles et le diagnostic. Si la symptomatologie thymique est typique et évocatrice d'une bipolarité (accès maniaque, dépression mélancolique...), le diagnostic et la prise en charge sont facilités. Mais, souvent, les premières manifestations cliniques du trouble bipolaire passent inaperçues : un patient dépressif sera étiquetté «dépressif» et sera pris en charge par des antidépresseurs, retardant le diagnostic et une prise en charge adéquate.

Cependant, l'anamnèse, une bonne évaluation clinique et la recherche d'antécédents familiaux de certains troubles (thymiques, addictifs, suicidaires...) permettent de trouver des indices en faveur d'une bipolarité.

Évolution

La durée d'un épisode varie entre quatre et treize mois, celle d'un épisode maniaque étant en général plus courte que celle d'un épisode dépressif. 82 % des patients subissent en moyenne un épisode de manie ou de dépression tous les quatorze mois. L'évolution de la maladie est irrégulière, les épisodes peuvent se rapprocher, s'aggraver ou s'atténuer. Ainsi, pour les femmes, on constate statistiquement une amélioration de la maladie à la ménopause (il semble qu'il y ait un lien - indirect et inexpliqué - entre hormones et bipolarité).

Pronostic

Une personne bipolaire non traitée a une espérance de vie inférieure à celle de la population générale (conduites à risque, comorbidités, mauvaise hygiène de vie...). Mais le risque majeur de cette maladie est le risque suicidaire : 20 % des bipolaires décèdent par suicide !

LES OBJECTIFS THÉRAPEUTIQUES

Le principe

Le traitement des troubles bipolaires repose sur la prise en charge des accès aigus - manie et dépression - et sur la prévention des rechutes. Lorsqu'il n'y a pas d'accès aigus, la décision de traiter est fonction du contexte.

Le traitement associe médicaments et aide psychologique pour le patient et son entourage, et pour les dépressions résistantes, parfois l'électroconvulsivothérapie ou la stimulation transcrânienne.

Les stratégies thérapeutiques

Traitement des accès aigus

Lors des épisodes aigus (manie et dépression), il peut être nécessaire d'hospitaliser le patient pour le protéger, sans son consentement.

On prescrit un antidépresseur auquel on ajoute un thymorégulateur pour éviter le virage maniaque et prévenir une rechute. Si la dépression est très résistante, on utilise l'électroconvulsothérapie.

On utilise un ou plusieurs neuroleptiques pour «tasser» la manie, auquel on rajoute un normothymique. Certains neuroleptiques de nouvelle génération appelés «antipsychotiques» atteignent les deux objectifs. À la fois antimaniaques et régulateurs de l'humeur, ils sont utilisés dans le traitement et la prophylaxie des accès maniaques.

Prévention des rechutes

On fait appel aux thymorégulateurs, seuls ou en association entre eux. La bithérapie et la trithérapie sont fréquentes afin de trouver la bonne combinaison thérapeutique pour prévenir les rechutes. Les thymorégulateurs sont parfois couplés à des benzodiazépines ou des neuroleptiques pour leurs effets sédatifs. Le traitement est quasiment à vie, selon la tolérance.

Les mesures pharmacologiques

Les régulateurs de l'humeur

Les régulateurs de l'humeur ou thymorégulateurs regroupent des médicaments comme les sels de lithium, traitement de référence, mais aussi certains anti-épileptiques, reconnus pour avoir de surcroît une action régulatrice sur l'humeur, et des neuroleptiques de nouvelle génération ou «antipsychotiques». Leur action thymorégulatrice s'expliquerait par leur action sur les neurotransmetteurs et la prévention de «l'embrasement» du système limbique. Cet embrasement serait le fait de stress répété induisant des modifications de la synthèse protéique dans certaines structures cérébrales, d'où une fragilisation et une vulnérabilité accrue à l'égard des troubles thymiques.

Les antiépileptiques

Tous les antiépileptiques sont potentiellement utilisables dans les troubles bipolaires en raison de leurs propriétés antimaniaques. Seuls quelques-uns ont l'autorisation de mise sur le marché (AMM) dans cette indication. Mais d'autres sont également largement utilisés hors AMM (topiramate, gabapentine, oxcarbamazépine).

Les «antipsychotiques»

Certains neuroleptiques de nouvelle génération appelés «antipsychotiques» sont utilisés dans les troubles bipolaires.

Les antidépresseurs

Tous les antidépresseurs peuvent être utilisés pour traiter l'épisode dépressif, mais la grande majorité d'entre eux sont les inhibiteurs sélectifs de la recapture de sérotonine (citalopram, fluoxétine, fluvoxamine, paroxétine, sertraline), les inhibiteurs de la recapture de sérotonine et de la noradrénaline (milnacipran, venlafaxine, mirtazapine). On doit se méfier du virage maniaque, faisant passer brusquement le patient de la dépression à la manie. Il semble que ce virage soit moins fréquent avec ces antidépresseurs qu'avec les tricycliques ou les IMAO (inhibiteurs de la monoamine oxydase), encore utilisés dans cette maladie. Les antidépresseurs sont relativement bien tolérés (effets indésirables de type digestif, hypersudation, troubles libidinaux).

Les autres neuroleptiques

Tous les neuroleptiques, anciens et de nouvelle génération, peuvent être utilisés dans les accès maniaques ou hypomaniaques. Sont utilisés la loxapine (Loxapac®), le zuclopenthixol (Clopixol®) dans les accès avec agitation, agressivité ou illusions sensorielles, mais aussi la cyamémazine (Tercian®) ou le lévomépromazine (Nozinan®) pour leurs effets sédatifs.

Les mesures non pharmacologiques

La psychoéducation consiste à éduquer ou former le malade afin de lui donner les moyens de gérer de façon autonome sa maladie et ses conséquences sociales. Cette psychoéducation comprend trois dimensions :

pédagogique : des informations sur la maladie et ses traitements sont données ;

psychologique : soutien émotionnel face aux difficultés pour vivre et accepter la maladie ;

comportementale : donner des outils pour adopter les comportements adéquats et personnalisés pour gérer les problèmes.

Différentes formes éducatives sont utilisées, dont la psychoéducation personnelle et familiale, les thérapies comportementales et cognitives ou la thérapie interpersonnelle et les rythmes sociaux. La psychanalyse - même si elle n'a pas prouvé son efficacité sur ces troubles - présente un intérêt chez certains patients souhaitant améliorer des traits névrotiques précis.

Les autres traitements

L'électroconvulsivothérapie (ou «électrochocs»)

Elle est utilisée dans les accès dépressifs, notamment dans la phase mélancolique résistante (dépression sévère).

La stimulation magnétique transcrânienne

Il s'agit pour l'instant d'une méthode expérimentale, destinée à traiter la dépression nerveuse ou la schizophrénie. Elle consiste à déplacer à la surface du crâne une sonde qui génère des micro-impulsions magnétiques de forte intensité.

Troubles bipolaires et infirmière libérale

L'infirmière libérale peut être sollicitée pour assurer le suivi d'un patient bipolaire ambulatoire en complément d'un centre médico-psychologique afin d'administrer et de surveiller le traitement et/ou d'assurer l'adoption d'une hygiène de vie adaptée.

Point de vue...

« Les patients en période de crise peuvent être suivis en ambulatoire »

Docteur Bourgeois, psychiatre, responsable du Pôle Avignon Est, Comité d'hygiène et de sécurité (CHS), de Montfavet, Vaucluse

« Les infirmières libérales sont sollicitées pour le suivi des patients bipolaires, car elles sont disponibles en dehors des heures d'ouverture des centres médico-psychologiques. Elles peuvent s'assurer de la prise des médicaments en cas de problème d'observance en phase dépressive ou maniaque. De plus en plus de patients bipolaires refusent d'être hospitalisés pour des raisons financières. D'autres sont suivis en ambulatoire, faute de place à l'hôpital. On a également besoin des libérales pour des «extras» chez les patients stabilisés. C'est le cas par exemple d'un patient très «mal» le vendredi soir et pour lequel nous redoutons une tentative de suicide. Il refuse d'être hospitalisé et n'a pas de famille prête à faire une hospitalisation à la demande d'un tiers. Le projet est alors de lui faire passer le week-end. Pour cela, l'infirmière passera matin et soir : on peut alors donner un traitement «fort» au patient en surveillant qu'il n'y aura pas de surdosage. L'infirmière vérifiera l'absence de conduite à risque et pourra, si nécessaire, convaincre le patient d'une hospitalisation libre. C'est une sécurité.

Questions de patients

Pourquoi n'appelle-t-on plus cette maladie «psychose maniaco-dépressive» ou PMD ? On pensait que les patients n'étaient pas dans la réalité. Or, souvent bien insérés socialement et intelligents, ils n'ont pas de comportement psychotique à type de délire ou d'hallucination. Entre les crises, le patient est «normal», d'où l'abandon du terme PMD.

Qu'est-ce que le trouble unipolaire ? Il s'agit d'un état dépressif appartenant aux troubles bipolaires, mais dont la cyclicité ne s'exprime cliniquement que dans le versant «dépressif». On pense que de nombreuses dépressions résistantes sont des troubles unipolaires nécessitant un traitement normothymique.

Je cote à la nomenclature

Ce rôle est indiqué dans la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) dans le chapitre I, titre 10 :

Art. 10. Surveillance et observation d'un patient à domicile

« Administration et surveillance d'une thérapeutique orale au domicile des patients présentant des troubles psychiatriques avec établissement d'une fiche de surveillance. »

→ Par passage, AMI 1.

Art. 11. Soins infirmiers à domicile pour un patient, quel que soit son âge, en situation de dépendance temporaire ou permanente

L'accompagnement et l'éducation du patient peuvent faire l'objet d'une DSI.

→ Cotation AIS.

En chiffres

- Prévalence des troubles bipolaires (TB) : 0,8 % (entre 0,4 et 1,6 % de la population générale : 200 à 700 000 patients).

- Le type I se répartit également entre les deux sexes alors que le type II est plus fréquent chez la femme.

- 390 000 personnes souffrent de TB de type I avec environ 0,68 épisode maniaque par an.

- 63 % des crises maniaques donnent lieu à une hospitalisation (nombre de crises maniaques annuelles estimé à 265 000).

- Seulement 30 % de la population des bipolaires sont traités (trouble non identifié, traitement irrégulier, observance médiocre).

Sur 100 personnes bipolaires : - 40 n'auraient pas recours au système de soins, - 10 ne seraient pas identifiées comme telles, - 20 n'auraient pas un traitement adéquat, - 30 au mieux recevraient un traitement thymorégulateur.(1)

- 10,6 % des hommes et 23,9 % des femmes pris en charge à temps complet ont pour diagnostic principal des troubles de l'humeur. La majorité de ces troubles sont dépressifs. Parmi ces personnes, 37,8 % sont des hommes et 62,2 % des femmes.(2)

(1) Source des chiffres : Rapport sur la prise en charge psychiatrique en France de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé, 2009. (2) Source : Drees 2003.