Solidarité à Calais - L'Infirmière Libérale Magazine n° 250 du 01/07/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 250 du 01/07/2009

 

PROFESSION

Actualité

ENGAGEMENT > Il y a un peu plus d'un an (ILM 237, mai 2008), nous étions allés à la rencontre de Monique Delannoy, infirmière libérale engagée dans l'aide d'urgence aux migrants depuis la fermeture du camp de Sangatte, survenue fin 2002. Retour à Calais, pour faire le point.

À moins de 200 mètres de la mairie, sur un terrain vague, des centaines de migrants déjeunent à même le sol. La présidente de l'association La Belle Étoile (1), Monique Delannoy, sort de sa tournée dans la campagne d'Audruicq (62), où elle exerce en libéral depuis vingt-cinq ans. Du côté des changements, cette Two o'clock place, comme les migrants la surnomment, s'est délestée du préfabriqué qui s'y dressait. Désormais, les bénévoles sont contraints d'ouvrir les fait-tout dans la poussière, au mépris total des règles de l'hygiène. « C'est le bras de fer permanent avec la mairie », soupire l'un d'entre eux. Si le préfabriqué a disparu, une autre association, le Secours catholique, fait aussi les frais de cette vaine tentative de « normalisation » de la ville. Depuis quelques mois, leur local n'est plus habilité à offrir l'accès aux douches. Dans l'attente d'un permis de construire, la seule douche disponible, c'est celle de la permanence d'accès aux soins de santé (Pass), rattachée à l'hôpital de Calais. « Le problème, c'est qu'elle est d'usage thérapeutique. Il y a confusion des genres lorsque quarante-cinq personnes y défilent chaque jour pour se laver », regrette Monique Delannoy. La gale et les problèmes de peau sont monnaie courante.

Rotations pour les repas

Les migrants semblent moins nombreux. C'est que, depuis peu, ils effectuent des rotations à l'heure des repas, pendant que d'autres surveillent la « jungle ». La « jungle », c'est ce bidonville aux portes de la ville, un petit bois où s'érigent des abris de fortune. La tension est palpable. Il y a quelques semaines, le ministre de l'Immigration, Eric Besson, est venu à Calais annoncer qu'il allait « fermer la jungle avant la fin de l'année ». Depuis, c'est l'angoisse. Quand, comment ? « Ils ont été jetés hors du camp de Sangatte, mais maintenant qu'ils sont dehors, on ne peut quand même pas leur greffer des ailes », s'indigne Monique. Une option différente de celle du film Welcome(2), dans lequel Vincent Lindon joue le rôle d'un maître-nageur qui aide un jeune Kurde à rejoindre l'Angleterre à la nage. Cette fiction, Monique Delannoy a fini par la voir. Pas le soir de la première, en grande pompe. Non, cette soirée-là, Monique Delannoy l'a passée au commissariat pour soutenir un bénévole pris en flagrant délit de solidarité... Elle l'a vu un peu plus tard, à Béthune, au cours d'une projection suivie d'un débat. « Le plus difficile dans ces moments-là, c'est d'entendre les gens me dire que je suis extraordinaire. Je ne fais rien qu'un autre ne puisse faire à ma place. »

Depuis quelques jours, elle a accueilli avec soulagement l'implantation à Calais du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). « Les associations locales pourront se délester de l'accompagnement administratif, c'est un grand soulagement. Je veux y croire », lance-t-elle. Sous son gilet jaune estampillé Belle Etoile, Monique oriente les éventuels demandeurs d'asile vers Marie-Noëlle Thirode, la représentante du HCR. Et lorsque celle-ci l'informe de sa prochaine visite dans la « jungle », Monique lui propose de prévenir quelques migrants au préalable : par le bouche à oreille, l'information fera vite le tour du campement. Ce qui évitera un mauvais accueil.

Monique doit filer, ses patients l'attendent pour la tournée du soir. Elle ne sera pas de retour chez elle avant 20 heures. Dans sa maison de briques rouges, elle ne résiste pas à l'envie de montrer la photo de son petit-fils. C'est l'enfant de Dawoed, un des trois « fils » qu'elle a rencontrés sur le terrain. Il n'a finalement jamais repris sa route vers l'Angleterre et aujourd'hui, il écrit sa vie avec une jeune fille de la région. Il y aura quand même eu du positif cette année.

Le 5 novembre 2002, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, annonce la fermeture du camp de Sangatte. Du jour au lendemain, c'est la fin des soins dispensés par la Croix-Rouge depuis 1999. C'est aussi le baptême du feu pour Monique car il y a urgence : les plaies, les coupures causées par les barbelés ainsi que les fièvres doivent être soignés. Alors sept jours sur sept, Monique soigne seule, dans une camionnette, en toute illégalité. « Je risquais quatre à dix ans de prison et l'interdiction d'exercer mon métier. Mais je savais que ce que je faisais était juste. Il fallait donc tenir, tenir jusqu'à l'ouverture de cette permanence. » Quatre ans plus tard, en décembre 2006, la Pass ouvrait enfin. Et depuis, Monique ne sort plus sa mallette que pour « la clientèle du cabinet ».

(1) Vous pouvez soutenir l'association La Belle Etoile en envoyant vos chèques à Monique Delannoy, BP 34, 62370 Audruicq.

(2) Welcome, film réalisé à Calais par Philippe Lioret. Sorti en mars 2009.