Le mésusage - L'Infirmière Libérale Magazine n° 252 du 01/10/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 252 du 01/10/2009

 

Cahier de formation

Savoir faire

Nicole, 35 ans, a un abcès à l'avant-bras. Vous savez qu'elle s'injecte de la BHD. Elle n'ose pas en parler à son médecin généraliste. Il lui arrive, en outre, d'acheter du Subutex® supplémentaire au marché noir.

Encouragez-la à en parler à son médecin qui, soumis au secret médical, ne la dénoncera pas. Les doses prescrites de BHD sont peut-être insuffisantes. Si elle n'ose vraiment pas en parler, orientez-la vers un CSAPA. Si elle continue les injections, rappelez-lui les règles de base d'hygiène : elle peut se procurer des kits propres auprès de certaines associations ou pharmacies.

LES DIFFÉRENTS TYPES DE MÉSUSAGE

Le mésusage concerne essentiellement la BHD, la méthadone étant très rarement concernée (moins de 1 % des mésusages).

On appelle mésusages tous les usages non conformes à l'utilisation thérapeutique prévue. Ils s'abordent soit sous l'angle médical - ce qui se passe dans le cadre des prescriptions médicales - soit selon le point de vue des usagers, en s'intéressant à l'ensemble des consommations de BHD, «sous» et «hors» protocole médical.

L'auto-substitution

C'est un usage de type «thérapeutique» : la BHD vient se substituer pour tout ou en partie à une consommation antérieure d'héroïne dans le but d'en arrêter ou d'en réduire la consommation, mais en dehors d'un protocole médical.

L'usage toxicomaniaque

La BHD est utilisée comme une drogue parmi d'autres, à défaut d'héroïne. Cet usage non substitutif de BHD se rencontre :

→ soit chez des personnes préalablement dépendantes à un opiacé (d'après l'Association d'auto-support des usagers de drogues, Asud, c'est un mauvais produit de «défonce», peu aimé des usagers de produits opiacés) ;

→ soit chez des personnes pour lesquelles la BHD est le premier opiacé consommé ou le premier à l'origine d'une dépendance.

Mésusage de voie d'administration

Il s'agit du recours à une voie d'administration autre que la voie sublinguale (injection, sniff, fumette), «dans» ou «hors» protocole médical.

L'injection - d'héroïne, de BHD - « se trouve inscrite dans un système où le contexte d'usage (réseaux de sociabilité, styles de vie) ainsi que le rapport au corps (les sensations, les rituels, les émotions) jouent un rôle majeur » (source : Sous le signe du «matos», contextes, trajectoires, risques et sensations liés à l'injection de produits psychoactifs, rapport OFDT, 2002). Le recours à l'injection, à ce «rituel» n'est pas simple à prendre en charge. Pour tenter de comprendre ce qui se joue, vous pouvez lire le très intéressant rapport cité ci-dessus.

Certains pensent retrouver le «flash» en s'injectant de la BHD. Mais les effets de la BHD ne s'apparentent pas à l'héroïne chez les dépendants aux opiacés.

Mésusage de doses appropriées

Ce type de mésusage soulève l'hypothèse d'une inefficience ou d'une insatisfaction de la BHD. En outre, certains patients souffrent de troubles psychiatriques nécessitant une prise en charge particulière, l'addiction pouvant percuter une psychose.

Le trafic

→ La disponibilité et l'accessibilité de la buprénorphine haut dosage sous la forme Subutex® demeurent importantes sur le marché parallèle des centres urbains en dépit des mesures d'encadrement strictes de sa délivrance.

→ Son usage détourné touche le plus souvent des usagers très marginalisés fréquentant les structures dites de première ligne («boutiques»...). Mais depuis 2007 apparaissent de nouveaux «consommateurs» : populations plus insérées consommant du Subutex® dans le cadre de régulation de la prise de stimulant pour gérer la «descente» ou à des fins de «détente».

→ Le prix d'un comprimé de 8 mg de Subutex® au marché noir se situe entre 3 et 6 euros.

→ À nuancer : le trafic concerne très peu de personnes. 2 à 3 % des «patients» (5 000 environ) «trafiqueraient». Mais 20 à 22 % des quantités remboursées alimenteraient le marché parallèle.

LIMITES DU MÉSUSAGE

Délimiter l'usage auto-substitutif et l'usage toxicomaniaque est quasi impossible, les deux pouvant être alternativement en jeu.

Une enquête a été faite en 2006 auprès des usagers encore dans un parcours de toxicomanie fréquentant des structures de première ligne (CAARUD) : elle a montré que parmi les 41 % des personnes qui ont consommé du Subutex® au cours du mois écoulé, 13 % l'ont fait exclusivement pour se droguer, 34 % ont mêlé usage thérapeutique et usage toxicomaniaque.

DANGERS DU MÉSUSAGE

Le mésusage peut induire des risques à la fois sanitaires et sociaux (risques pour la santé, incarcération en cas de délit de possession de produits achetés au marché noir...).

Des risques sanitaires

Ils sont liés aux risques liés à l'injection intraveineuse en général et au produit inadapté à la voie parentérale.

Risques infectieux

Infections virales (hépatites B et C, infections à virus d'Epstein Barr - EBV -, à cytomégalovirus - CMV -, à mononucléose infectieuse - MNI -, HIV...) ; infections fongiques (candidoses liées au jus de citron utilisé pour dissoudre l'héroïne, avec septicémie, endocardites, endophtalmites, ostéites et arthrites ; aspergilloses...) ; infections bactériennes (furoncles, abcès cutanés, cellulite, myosite, fasciite, lymphangite, phlébites et paraphlébites, septicémie à staphylocoque, streptocoques, entérobactéries, pseudomonas aeruginosa contenue dans l'eau du robinet, tétanos, botulisme...).

Risques non infectieux

Phlébite, paraphlébites ; sclérose veineuse gagnant peu à peu tous les territoires, objectivée par des oedèmes des membres et pouvant conduire à des injections jugulaires ; nécrose cutanée ; talcose avec fièvre, tests respiratoires pulmonaires anormaux, infiltrats diffus ou rétinopathie (liée à l'injection de poudres coupées avec du talc ou de comprimés pilés puis dissous)...

Le risque d'overdose

Absent avec la BHD, le risque d'overdose est certain avec la méthadone qui est un agoniste pur, notamment chez les sujets naïfs aux opiacés.

Des risques judiciaires

Acheter ou revendre un produit de substitution est passible de peines de prison et d'amendes.

QUE FAIRE EN CAS DE MÉSUSAGES ?

→ Éviter le jugement.

→ S'assurer du bon usage du traitement prescrit. Si la personne se plaint de signes de manque (réveil matinal précoce, crampes, rhinorrhée...), contrôler que la prise de la BHD est bien sublinguale. Vérifier aussi si aucun médicament associé n'a pu interférer avec le métabolisme de la BHD ou de la méthadone.

→ Inciter la personne à parler à son médecin. Son traitement doit éventuellement être réévalué, voire modifié. Certains médecins préfèrent recourir à la méthadone lorsque les patients s'injectent la BHD.

→ Informer sur les risques de l'injection de BHD : main de «Popeye» (abcès et oedèmes des mains et des avant-bras), endocardites, abcès...

→ Informer le médecin et le pharmacien pour éventuellement passer à une délivrance journalière du traitement, mais toujours en accord avec le patient.

Mesure du détournement d'usage

D'après l'Assurance maladie, les bénéficiaires ayant des posologies supérieures à 32 mg/jour sont un indicateur de suivi permettant de mesurer le détournement d'usage. Ils représentent 1,6 % en 2008 (2,3 % en 2004).

Trois régions sont particulièrement concernées et regroupent les 2/3 des bénéficiaires suspects de détournement :

→ Île-de-France : 6,1 % du total des bénéficiaires ;

→ Alsace : 2,8 % des bénéficiaires ;

→ Paca : 2,9 % des bénéficiaires.

Un plan de contrôle de l'Assurance maladie relatif aux consommations de MSO suspectes de mésusage a été mis en place dès 2004.

Point de vue...

« Nous devons accepter que les médicaments de substitution ne soient pas l'idéal »

Jean-Pierre Couteron, psychologue clinicien, président de l'Association nationale des intervenants en toxicomanie et addictologie (Anitea)

« Nous devons accepter de démarrer les médicaments de la substitution dans des conditions qui ne sont pas celles souhaitées en acceptant qu'ils ne soient pas «l'idéal». Nous avons à travailler la contradiction suivante : veiller à ce que le médicament soit bien utilisé comme un médicament et, en même temps, construire un minimum d'alliance avec l'usager tel qu'il est. Et donc admettre parfois que son médicament ne soit pas utilisé comme un médicament ! Cette contradiction, source de tension, est parfois pesante pour les soignants. C'est le travail sur la réduction des risques qui nous a permis d'apprendre cela. Nous avons à proposer et à donner envie aux usagers de faire un pas supplémentaire... »

Question de patient

Que faire en cas de surdosage d'héroïne ou overdose ?

Il s'agit d'une urgence ! On doit maintenir la personne éveillée en la faisant marcher, en lui parlant. Si elle est inconsciente, dégager les voies respiratoires, la placer en position latérale de sécurité et appeler le samu ou un médecin afin d'administrer le plus rapidement possible un antagoniste opiacé par intra-veineuse, la naloxone (Narcan®) pour lever la dépression respiratoire.