Retrouver en douceur le chemin des mots - L'Infirmière Libérale Magazine n° 252 du 01/10/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 252 du 01/10/2009

 

Estelle Vaiva, orthophoniste à Lille (59)

La vie des autres

On ne l'aurait pas imaginée la voix voilée ou la parole hésitante : Estelle Vaiva parle en effet d'une voix douce et ses mots jaillissent, limpides et clairs. Elle est orthophoniste depuis 23 ans et exerce dans un cabinet libéral qu'elle a monté à Lille avec deux consoeurs.

«Il y a des gens qui sont là pour aider les autres », estime Estelle Vaiva en évoquant les raisons qui l'ont conduite à choisir le métier d'orthophoniste. Dans sa famille, on est médecin généraliste, pharmacien, psychologue, psychiatre et on défend le respect de la personne humaine avant tout... Alors quand cette amoureuse des mots rencontre une orthophoniste de renom, Annie Cornu, sa décision est prise : elle embrassera cette voie. Sa perception de « l'incroyable décalage entre la souffrance des gens et le manque de mots pour le dire » l'encourage. « J'avais envie d'apprendre aux gens qui souffrent à dire et à rétablir la communication. Être privé de communication, c'est quelque chose d'épouvantable. »

Rétablir la communication

Dès quelle obtient son diplôme, en 1989, elle s'installe en libéral. Ce choix du mode d'exercice « faisait partie, aussi, des raisons qui m'ont fait choisir ce métier, explique Estelle Vaiva. J'ai un tempérament assez indépendant et, dans ma famille, on m'a inculqué l'idée de ne pas être soumis à quoi que ce soit... En libéral, je peux soigner les patients comme je l'entends ». Elle souhaite aussi y passer le temps qu'il faut, entourée de consoeurs appréciées. Cela ne l'empêche pas d'effectuer pendant cinq ans des vacations dans un service de neuropédiatrie : « J'y ai rencontré des femmes remarquables, des «superwomen» », confie-t-elle en évoquant les médecins et infirmières qu'elle y a croisées. Autre motivation : dans son cabinet libéral, l'orthophoniste prend en charge des patients de 18 mois à 85 ans, même si les enfants constituent 60 % de sa patientèle. Toutes les pathologies qui atteignent la communication, le langage, l'articulation, la parole ou même le langage écrit sont de son ressort. « Mais en fonction des pathologies, on ne fait pas tout à fait le même métier », ajoute Estelle Vaiva, qui apprécie cette variété. Dyslexie, dysorthographie, bégaiement, dysphasie développementale, troubles de la déglutition, etc., les pathologies justifiant de l'intervention de l'orthophoniste sont nombreuses. Estelle Vaiva peut aussi aider à «démutiser» des personnes sourdes ou encore - et c'est son «dada» - aider certains patients à retrouver leur voix après une maladie, une opération... « Comme nous sommes trois dans le cabinet, nous pouvons nous permettre de fouiller des problématiques spécifiques et de nous former », observe Estelle Vaiva, qui aimerait se pencher sur les séquelles des maladies neurologiques des adultes.

Apprendre avec plaisir

Les prises en charge démarrent toujours par un bilan orthophonique d'une heure et quart à une heure et demie, prescrit par un médecin, qui permet à Estelle Vaiva de poser un diagnostic. « Je dois de plus en plus rappeler aux gens que je ne prends en charge que des enfants souffrant d'une pathologie, pas d'un retard scolaire », souligne-t-elle. Même si les résultats scolaires d'un enfant s'améliorent avec la prise en charge, le travail d'Estelle ne consiste absolument pas en un quelconque soutien scolaire. En revanche, elle travaille en lien étroit avec les parents - de plus en plus investis - comme avec les enseignants de ses jeunes patients. Cela constitue même pour elle une des clés du succès de la prise en charge ! Une fois le diagnostic posé, la rééducation peut commencer, à raison de séances de rééducation d'une demi-heure. Estelle Vaiva utilise aussi bien le support écrit que l'informatique, la parole bien sûr, ou le jeu, l'essentiel étant de varier les supports afin de maintenir l'attention des patients et de rester dans le plaisir de l'apprentissage. Au-delà des techniques, la façon d'aborder les personnes qu'elle accompagne dans la rééducation, avec empathie, compte particulièrement. « Beaucoup de choses passent par la relation. Si vous êtes généreux avec un enfant, il sera généreux avec vous et adhèrera complètement au travail », constate-t-elle. Parfois, elle passe le relais à un autre professionnel lorsqu'une aide psychologique est nécessaire.

Depuis qu'elle exerce, l'orthophoniste a constaté une forte évolution. Les jeunes patients qu'elle suit « sont de plus en plus intelligents, intéressés, intéressants, profonds. Mais j'ai toujours un petit arrière-goût de tristesse car ils ont conscience de plus en plus précocement de la gravité de la vie. Que reste-t-il de leur enfance ? ».

Lire ? C'est héroïque !

Pour certains, entre l'école, la télé et les jeux vidéo, il ne reste plus de place pour l'écrit et le langage. « Prendre un livre et le lire, c'est héroïque pour un enfant de nos jours », remarque Estelle Vaiva, très touchée par la détresse de quelques-uns. « Certains vivent très seuls, je me demande à qui ils parlent chez eux, déplore-t-elle. Tout le monde rentre tard, est fatigué... Et puis ils sont bombardés d'informations, ils ont de sacrées vies... » Pour ces raisons ou pour d'autres, Estelle Vaiva constate depuis quelques années un fort appauvrissement lexical chez les enfants qu'elle prend en charge, une tendance qui, selon elle, s'accélère. Or cet appauvrissement langagier constitue pour elle, l'une des origines de la violence. Comment dire ses maux lorsqu'on manque de mots ?

Elle dit de vous !

« Je croise parfois des infirmières libérales quand j'interviens à domicile, auprès de personnes qui ne peuvent pas se déplacer : je suis toujours autant sidérée par le courage de ces professionnelles. C'est un métier très difficile, qui exige une très grande disponibilité et qui n'est pas facile à concilier avec la vie de famille. Nous échangeons quelquefois à propos des patients mais je dois bien avouer que je suis davantage en contact avec les kinésithérapeutes. »

ORTHOPHONISTE

Une discipline jeune

Les premiers centres de formation ont ouvert en 1955 et le statut d'auxiliaire médical n'a été reconnu aux orthophonistes qu'en 1964. Seize écoles accessibles sur concours sont aujourd'hui autorisées à préparer les étudiants au certificat de capacité d'orthophoniste, en quatre ans. L'accès à la profession est soumis à un numerus clausus fixé, pour l'année 2009-2010, à 790 personnes. Un décret d'actes de 2002 élargit leurs compétences à l'organisation d'actions d'éducation sanitaire ou de dépistage, à la formation et à la recherche, en écho au plan gouvernemental de lutte contre les troubles spécifiques du langage. Au 1er janvier 2005, 16 288 orthophonistes exerçaient en France, la grande majorité d'entre eux (environ 80 %) en libéral, en cabinet de groupe ou individuel. Les orthophonistes conventionnés appliquent les tarifs des bilans et consultations fixés par une convention passée avec l'Assurance maladie, qui date de 1997.