Une goutte d'eau dans l'humanitaire - L'Infirmière Libérale Magazine n° 252 du 01/10/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 252 du 01/10/2009

 

FINISTÈRE

Initiatives

Un concours de circonstances a conduit Anne Berthevas-Crenn et Corinne Pennec dans l'aide internationale bénévole. Amies et infirmières au même cabinet, elles sont parties au Mali et en Mauritanie. L'humanitaire, elles en louent les vertus. Elles en soulignent aussi les limites.

L'entrée d'un dispensaire, l'intérieur d'une tente berbère, une marche dans le désert, des tables d'accouchement... Les photos se succèdent, souvenirs du dernier voyage humanitaire de Corinne Pennec. « Une infirmière a toujours l'humanitaire dans un coin de la tête, confie cette libérale remplaçante de 50 ans, installée dans le Finistère. Cela permet de se sentir utile d'une autre façon. » Anne Berthevas-Crenn, sa benjamine de dix ans, consoeur du même cabinet, opine : « Ça fait un peu partie de la conception de notre rôle. »

À l'origine, Anne Berthevas-Crenn est sollicitée par un voisin qui préside une association de solidarité internationale. C'était en 2003. Vaccinée contre la fièvre jaune et armée contre le paludisme, elle s'envole pour Bamako avec le troisième membre de son cabinet infirmier. Ils accompagnent un chirurgien breton retraité qui apprend la coelioscopie à des médecins maliens. Ils distribuent aussi compresses et seringues.

Paludisme, maladies infantiles, tuberculose, sida, hypertension... Pour lutter contre ces fléaux, le Mali ne compte que six infirmiers pour mille habitants : treize fois moins qu'en France. Et certaines pratiques font froid dans le dos. « Des infirmières ou aides-infirmières savent piquer, mais n'ont aucune notion d'hygiène », se souvient Anne Berthevas-Crenn. Absence de récupérateurs d'aiguilles, réutilisation d'aiguilles usagées, chariots sales... « Les conditions sont déplorables. » À l'hôpital, le matériel manque. Il fait d'autant plus défaut que certains soignants s'en servent à l'extérieur pour obtenir un revenu supplémentaire...

Gare à l'éparpillement

Ce périple d'observation visant à lister ce qui est possible de faire au Mali du point de vue sanitaire, seul l'apport de matériel semble envisageable. Le bilan est donc mitigé. Mais il sera définitivement décevant lors d'une seconde mission, à laquelle cette fois Corinne Pennec participe aussi, introduite par Anne dans l'association. « On n'a pas eu l'impression d'avoir servi à grand-chose : trois gouttes dans les yeux en passant, un pansement par-ci par-là, un petit diagnostic du médecin », soupire la Bretonne, satisfaite seulement par... les balades dans la région.

Ce raté, les deux infirmières l'imputent avant tout à l'organisation de leur association, qui poursuit de trop nombreux objectifs en voulant à la fois apporter des médicaments, aider une école, forer des puits... Un conseil, donc : « Il ne faut pas se lancer seul dans l'humanitaire, ni avec une association qui part tous azimuts. Il y a de l'efficacité quand c'est structuré. Sinon, sur place, sans contact, on ne sait pas trop à qui on a affaire. Et on se sent mal. »

Anne et Corinne se sentent mieux à l'association Vivre à Toujounine, du nom d'une ville mauritanienne. Fondée en 2003 par Patrick Dubeau, un médecin généraliste avec lequel Anne est en contact pour ses tournées, cette organisation oeuvre sur un unique terrain : le médical. Elle achemine en Afrique du matériel à usage unique tels des pansements, des compresses, des seringues, des aiguilles, des pansements, des désinfectants... Mais aussi des équipements durables : stérilisateurs Poupinel, stéthoscopes, brassards à tension, dopplers... Des produits achetés en France ou récupérés auprès de cabinets infirmiers ou vétérinaires.

La pénurie de matériel

À Nouakchott, la capitale mauritanienne, l'association peut expédier jusqu'à cinq colis de huit kilos tous les quinze jours. Aviation sans frontières se charge du transport pour 60 euros les 240 kilos : quand les adhérents se rendent eux-mêmes dans l'ancienne colonie française, ils bénéficient d'un surcroît de bagages pour le matériel humanitaire. Dûment répertorié, celui-ci est stocké dans un endroit sûr : leur hôtel, l'Escale des sables. Puis redispatché par leurs soins dans sept centres de santé publics du pays.

« La présence des infirmières dans l'association est précieuse, note le docteur Dubeau. Notamment pour une raison culturelle : en Mauritanie, pays musulman, les femmes sont beaucoup mieux acceptées que les hommes dans les maternités. » Ce qui est indispensable pour faire une démonstration du matériel. « Souvent, les personnes savent utiliser le matériel que nous amenons, précise Corinne Pennec. Les soignants bénéficient d'une formation plus globale que la nôtre. Pour certains actes, ils peuvent même faire des ordonnances. Dans un quartier pauvre que nous avons visité, le médecin est consulté uniquement si le cas est compliqué. Il y a tellement de population à soigner... » Les sages-femmes, elles, ont un savoir « très complet ». Et que dire de cet homme rencontré en plein désert, infirmier, mais aussi médecin, urgentiste, sage-femme... Le tout « avec une boîte de pinces même pas complète et trois fois rien ».

En Mauritanie, le problème n'est donc pas la formation, plutôt la pénurie de matériel. S'y ajoutent le manque d'hygiène et d'entretien des locaux, ainsi que l'omniprésence du sable, dont une fine pellicule se dépose jusque sur les tables d'examen... Mais il y a des progrès : dès son deuxième voyage, Corinne Pennec a noté ici ou là la mise en place de boîtes pour recueillir les aiguilles usagées ou l'apparition d'une armoire à pharmacie.

L'argent, nerf de la guerre

L'engagement de l'association en Mauritanie porte ses fruits, selon les deux infirmières. Qui nuancent toutefois : « Il ne faut pas y aller en pensant tout résoudre, dit Corinne, mais en se disant : si on peut faire ça, ce sera déjà bien. Nous apportons une goutte d'eau. » Tandis que le rôle de robinet doit être assuré par le gouvernement mauritanien. « Ce n'est pas parce que c'est un pays pauvre qu'il doit renoncer à ses responsabilités. Il ne faut pas se substituer à l'État. Même dans un pays pauvre, il y a de l'argent. »

L'amusement le dispute à la consternation quand Corinne Pennec raconte la réception de l'association par les autorités. « Elles nous félicitent pour notre action. Nous faisons part de nos besoins au ministère, par exemple sur le manque d'électricité dans tel dispensaire. Ce sera fait, ponctuellement... Mais il n'y a pas de stabilité. Une fois revenus chez nous, nous apprenons que le ministre et tous ses sous-fifres ont changé. Il n'y a plus qu'à tout recommencer à zéro. En fait, c'est plutôt au niveau local, plus soumis à la pression de la population, que les choses avancent. » Autre souci, selon les deux infirmières : « Pour eux, rien n'est urgent. Alors que nous, en dix jours, nous voulons faire plein de choses. »

Car l'association ne fait pas que distribuer du matériel. Elle encourage aussi l'enregistrement de statistiques à la maternité. Le pays déplore 125 morts pour mille enfants de moins de cinq ans (contre cinq pour mille en France). L'association, épaulée sur place par les Mauritaniens Yahya et Tetta, veut aussi lancer, contre les maladies, un projet d'amélioration de la qualité de l'eau. Et elle a demandé un financement à l'Unesco pour rouvrir deux centres destinés à remettre sur pied des enfants dénutris et à prodiguer des conseils nutritionnels à leurs mères. En espérant qu'elles aient assez d'argent pour les suivre...

L'association Vivre à Toujounine bénéficie de plusieurs aides, dont celle d'un laboratoire pharmaceutique pour lequel travaille un membre de l'association, visiteur médical. Les frais engagés par les adhérents pour leurs séjours en Mauritanie (comme l'avion) sont aussi déductibles fiscalement à 66 %.

Argent, temps, énergie : les volontaires de l'humanitaire dépensent beaucoup. Il leur arrive même, dans certaines régions du monde, de courir un danger. Mais s'ils donnent, ils reçoivent aussi. Ils s'enrichissent personnellement. « Aller voir ce qui se passe ailleurs permet de se remettre au clair avec soi-même, estime Anne. Cela permet de relativiser. Ici, il y a tant de gaspillage... » « C'est un biais pour rencontrer des gens au plus près, pour partager des choses », ajoute Corinne.

Comme la cérémonie d'accueil des trois thés : le premier, amer comme la vie, le deuxième, suave comme l'amour, le troisième, doux comme la mort. Ou comme cet autre rituel, la décoration des mains au henné. De retour en France, les souvenirs de Mauritanie alimentent des conversations avec les patients. Un pays dans lequel Anne et Corinne comptent repartir. Déjà riche d'une grande expérience associative (comme parent d'élèves notamment), Corinne envisage même de poursuivre l'aventure humanitaire à l'issue de sa carrière d'infirmière, éventuellement sur des périodes plus longues pour « mieux comprendre un pays » et dans de plus grosses structures. Avec un atout : les infirmières libérales, au même titre que les urgentistes, sont relativement bien préparées, de par leurs pratiques quotidiennes, à l'engagement humanitaire. « Polyvalentes, nous avons l'habitude de tout voir, à domicile. Du château aux masures épouvantables, nous nous adaptons sans arrêt à l'environnement et nous soignons le nourrisson comme la personne âgée. »

EN SAVOIR +

Basée à Plouédern (Finistère), l'association Vivre à Toujounine revendique une soixantaine d'adhérents. Tél. : 02 98 20 45 76 Email : dubeau.roussel@wanadoo.fr

Le site d'Aviation sans frontières :

Les statistiques sanitaires données dans cet article sont extraites du site de l'Organisation mondiale de la santé :

Formalités, sécurité, santé... dans tous les pays du monde sur le site Internet du ministère des Affaires étrangères :