Douleur à domicile en fin de vie - L'Infirmière Libérale Magazine n° 253 du 01/11/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 253 du 01/11/2009

 

Une prise en charge

Cahier de formation

Le point sur

Face à la prise en charge de la douleur en fin de vie à domicile, le temps de l'exercice solitaire est révolu. Parce qu'il ne n'agit plus seulement de soulager mais d'améliorer la qualité de la fin de vie. Tel est en substance le message qui ressort de la session infirmière des Entretiens de Bichat, organisée cette année sur le thème central de la douleur.

Pour les soignants, la fin de vie dans le contexte du domicile prend une dimension particulière du fait des spécificités propres au domicile : le soignant pénètre dans l'intimité du patient, s'immisce dans son histoire et celle de sa famille et doit «apprivoiser» ce lieu de soins préalablement à toute prise en charge. Autant dire que lorsque la douleur s'en mêle, la tâche des soignants se complique car l'expression de la douleur à domicile est souvent faussée par la crainte du patient de déclencher l'angoisse de ses proches, de mettre le médecin en difficulté, voire d'être réhospitalisé.

Or, à domicile, une douleur non ou mal soulagée peut avoir des conséquences délétères : inconfort, troubles de l'adaptation et du comportement, agressivité, repli sur soi, rupture de la communication et du dialogue avec l'entourage, perte d'espoir, épuisement du patient et de la famille... « N'oublions pas que la douleur non prise en charge est une des principales causes de demande d'euthanasie », indique le Dr Godefroy Hirsch, médecin du réseau régional de soins palliatifs en région Centre.

Des exigences liées au contexte

À domicile, chaque situation, chaque cas est particulier car le contexte diffère d'un patient à l'autre. Il appartient donc à l'infirmier de :

→ tenir compte des personnes ressources mobilisables pour donner les médicaments et prévenir le médecin en cas d'aggravation ;

→ s'assurer de l'adhésion des aidants à la prescription, ce qui impose d'informer et d'expliquer le pourquoi et le comment des traitements pour lever les réticences suscitées par certains médicaments (morphiniques par exemple) et obtenir une bonne observance des thérapeutiques ;

→ veiller à ce que les différents intervenants qui gravitent plus ou moins fréquemment autour du patient communiquent entre eux, voire effectuent ensemble des visites à domicile. Il est en effet indispensable de sortir de la vision hiérarchique traditionnelle du soin où le médecin prescrit, l'infirmière exécute, l'aide-soignant fait la toilette et l'aide à domicile s'occupe des tâches ménagères ;

→ exiger l'utilisation de techniques de soins performantes pour le soulager, si cela est nécessaire : perfusion sous-cutanée, dispositif d'administration en continu type infuseur ou pousse-seringue, pompe PCA selon des modalités adaptées au domicile (mode d'utilisation bolus par exemple) ;

→ connaître la complexité et la multiplicité des douleurs en fin de vie et notamment la très grande prévalence des douleurs mixtes (douleurs par excès de nociception et neuropathiques) et la fréquence des douleurs viscérales et des douleurs secondaires à l'immobilisation afin d'optimiser la prescription de traitements spécifiques (anticonvulsivants, antidépresseurs) et la mobilisation au décours des soins.

Évaluer la douleur

Par des outils d'évaluation

Ces postulats posés, le soignant a pour mission de dépister la douleur, de l'évaluer et de mettre en oeuvre les moyens de la soulager. Il doit être particulièrement vigilant face à certaines populations (enfants, sujets âgés, personnes handicapées ou isolées), dont la douleur est souvent sous-évaluée et sous-traitée. L'expression du visage, la perte de sommeil, l'agressivité envers l'entourage, le lâcher prise et le repli sur soi constituent des signes d'alerte qui imposent de se poser la question de la douleur. « En fait, précise le Dr Hirsch, la douleur, même si on y pense toujours devant une situation de déséquilibre, on n'y pense jamais assez. » Autrement dit, on passe souvent à côté de la douleur faute d'une bonne évaluation. Celle-ci peut faire appel aux outils d'évaluation tels que les échelles d'autoévaluation numériques ou verbales simplifiées(2).

Par l'observation clinique

« Toutefois, poursuit le médecin, si ces outils sont précieux pour évaluer la douleur, les soignants ont à leur disposition des outils naturels tout aussi performants : leurs mains, leurs yeux, leurs oreilles, leur toucher et leur odorat... » Savoir si le malade s'alimente normalement, boude son repas ou recommence à manger après la mise en place d'un traitement antidouleur représente un précieux enseignement pour le soignant. Recueillir la plainte au moment de la toilette et des soins est indispensable car la douleur, c'est d'abord la clinique.

Choisir les mots justes

De même, il faut poser les questions importantes (est-ce que ça brûle, est-ce que ça fourmille, est-ce que ça picote, est-ce que ça lance, est-ce que la douleur survient dans des circonstances particulières...) et s'échanger les informations en temps réel. Face à la complexité de l'expression douloureuse, cette dynamique collaborative, d'échange et de partage d'observations et d'informations est indispensable pour parvenir à discerner la nature et l'intensité de la douleur à domicile. À ce titre, il peut être intéressant d'utiliser des termes assez neutres et de demander « comment vous sentez-vous ? », « est-ce qu'il y a quelque chose qui vous gène ? » plutôt que « vous n'avez pas mal ce matin ? ». Il faut aller à la recherche des informations à travers les propres mots du patient et éviter de lui suggérer une réponse de convenance (« ça va ») qui n'est pas forcément la bonne et qui risque de fausser la prise en charge.

Traiter la douleur à domicile

En matière de traitement également, il convient de se poser les bonnes questions et en premier lieu : « Qu'est-ce qui va être utile, adapté et le plus efficace dans la situation présente ? » Il ne suffit pas d'utiliser un morphinique mais plutôt de se demander : devant ce patient, dans cet environnement, face à ce type de douleur, quel est le morphinique qui va être le mieux observé, le plus utile, le plus simple et le plus efficace ? Autrement dit, quel est celui qui correspond le mieux au profil de la douleur ? Combien de patients à domicile reçoivent de la morphine LP per os matin et soir et n'ont jamais fait l'objet d'une évaluation de la douleur induite par les soins parce que le soignant pense que la couverture du traitement de morphine prescrit est suffisante ? « Force est d'admettre que le domicile n'est pas encore au point sur la douleur induite par les soins et l'utilisation des interdoses de morphine », commente le Dr Hirsch.

Il est également très important d'anticiper la prise en charge pour éviter de laisser le patient et ses proches dans une situation de douleur non contrôlée et sans possibilité de réponse rapide et adaptée.

Enfin, il convient de veiller à informer les patients des effets secondaires des traitements et d'être vigilant sur ceux qui, comme les troubles du transit (constipation) liés à l'usage de la morphine, altèrent véritablement la qualité de vie du patient.

Investir ce qui reste à vivre

Car, en tout état de cause, cette approche pluridisciplinaire n'a qu'un but : donner du sens au projet de soin en améliorant la coordination des acteurs afin de mieux soulager le patient mais aussi de lui permettre d'investir le temps qui lui reste à vivre. La douleur ne peut qu'annihiler les ultimes ressources du patient, entraver ses désirs et le priver de toute possibilité d'être encore acteur de sa vie. Or un patient en fin de vie est vivant jusqu'à son dernier souffle. « Un patient douloureux, c'est un sujet qui déshabite son histoire, qui déshabite les liens avec les autres, qui se met en dehors », explique le Dr Hirsch.

(1)

(2) À domicile, les échelles d'hétéroévaluation (Doloplus, ECPA) sont encore rarement employées car pas suffisamment souples d'utilisation.