Entre soin et gestion, son coeur balance - L'Infirmière Libérale Magazine n° 253 du 01/11/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 253 du 01/11/2009

 

Florence Berbudeau, directrice d'Ehpad à Piriac-sur-Mer (Loire-Atlantique)

La vie des autres

Confrontée à des personnes de plus en dépendantes, dont les deux tiers présentent des troubles cognitifs, la résidence Louis-Cubaynes à Piriac-sur-Mer jongle au quotidien avec un budget trop limité. Et sa directrice, Florence Berbudeau, est devenue «acrobate».

Parmi les badauds qui arpentent en cette mi-septembre les petites rues de Piriac-sur-Mer, ravissante station balnéaire de Loire-Atlantique, un groupe de pensionnaires de la résidence Louis-Cubaynes hume l'air du large et s'enthousiasme à l'idée de déguster une gaufre, une crêpe ou une glace. Un rendez-vous offert à la belle saison par l'établissement et qui symbolise sa volonté d'intégration sociale. « Notre situation au coeur du village, très proche du port et des plages que nous rejoignons en empruntant un petit chemin, est une chance réelle pour nous, souligne Florence Berbudeau, directrice de l'Ehpad*. Elle facilite grandement notre insertion dans la population. Les enfants ont aussi plus de plaisir à venir voir leurs proches. Nous faisons tout notre possible pour favoriser les liens avec les familles. » Embauchée il y a neuf ans par l'association propriétaire (cet Ehpad est à but non-lucratif), Florence Berbudeau débute en tant que directrice - elle n'a que 26 ans - et sa mission est ambitieuse : mener le développement de ce qui est alors un foyer-logement de 45 lits tout en étant particulièrement attentive aux valeurs humaines qui animent les administrateurs de l'association. La « marmite hospitalière » dans laquelle elle a grandi et qu'elle nomme elle-même ainsi, avec des parents infirmiers, la prédispose certainement pour ce métier. En prise directe avec les réalités du quotidien d'un établissement qui héberge désormais 87 résidents, notamment dans deux cantous (centres d'animation naturel tirés d'occupations utiles), ces unités où transitent notamment des personnes atteintes d'Alzheimer, la fonction de Florence Berbudeau se trouve à la croisée du soin et de la gestion. « Le bien-être de nos résidents est toujours au coeur de notre préoccupation mais nous sommes aussi une PME, avec des particularités propres, explique cette dernière. Le fait par exemple que nous soyons ouverts tout le temps, sept jours sur sept, crée une démultiplication des contraintes de fonctionnement qui fait que mon quotidien est très fluctuant. »

Mais c'est surtout le contexte social et économique qui soumet l'Ehpad à un « dilemme permanent », selon Florence Berbudeau, entre qualité des prestations et équilibre financier. « Pour doubler notre capacité d'hébergement et devenir un établissement médicalisé, nous avons dû engager trois années de chantier et d'investissement. Notre tarif moyen est de 60 euros par jour, ce qui peut paraître relativement cher, mais, pour les environs, c'est très accessible. Malgré tout, depuis quatre ans, de plus en plus de personnes ont des difficultés pour régler leur facture. Notre challenge est donc d'améliorer les prestations et de limiter les tarifs. » Mais cette attention ne suffit pas. À ce jour, quatorze résidents dépendent de l'aide sociale, qui est bien inférieure au tarif. Conséquence : la différence est répercutée sur les tarifs des autres personnes âgées hébergées. Et, par ricochet, les familles sont sollicitées pour compléter ce que ne peut plus payer le parent. « Nous constatons que cette situation a changé le rapport qu'entretiennent certaines familles avec le personnel, souligne Florence Berbudeau. Il existe désormais une exigence qui est parfois injustifiée au regard du service déjà proposé. »

Contraint par un mode de financement public rigide, calculé à partir d'indicateurs de la dépendance, la directrice doit effectuer, selon ses propres termes, « des acrobaties budgétaires » pour parvenir à faire fonctionner l'établissement et, parfois, aller jusqu'à se rendre dans une grande surface de Nantes pour gagner quelques euros sur le prix des balayettes des WC ou chez un discounter pour acheter les gâteaux ! Malgré ces «acrobaties», avec 0,47 salarié par résident, on est loin du rapport d'1 pour 1 préconisé par le Plan Solidarité Grand âge en 2007. La renégociation prochaine de la convention tripartite, avec la Ddass, la CPAM et le Conseil général, fait espérer quelques améliorations. Notamment en recrutant une infirmière coordinatrice inexistante jusque-là. « Depuis cinq ans et la signature de la convention actuelle, les moyens humains ont été mis sur l'urgent et comme une infirmière coordinatrice n'effectue pas de toilettes, nous n'avons pas pu en recruter une », regrette Florence Berbudeau. À peine deux équivalents temps plein infirmier (dont une ancienne infirmière libérale) pour 87 résidents, juste ce qu'il faut pour assurer une présence infirmière sept jours sur sept, « c'est dramatiquement insuffisant », estime la directrice. Alors, tant pis pour le travail nécessaire de coordination, pour les réunions de synthèse, pour le projet de soin qui ne peut être peaufiné... Il faut parer au plus urgent. Attentive à la vie des résidents, Florence Berbudeau regrette - et c'est son seul regret - le peu de temps qu'elle peut leur octroyer.

*Ehpad : établissement d'hébergement pour personnes âgées.

Elle dit de vous !

« Si je m'étais orientée vers le métier d'infirmière, ce qui n'était pas impossible avec des parents infirmiers, j'aurais exercé en tant que libérale. J'ai besoin en effet de cette notion d'entrepreneur. Et puis, je connais bien les infirmières libérales : elles aussi ont plusieurs casquettes. À domicile, elle est l'un des piliers du maintien à domicile. Dans cette optique, l'évaluation de l'habitat est importante, au-delà de son travail de soins pur. Il y a également une notion de coordination des soins avec les autres professionnels. Mais, c'est vrai, aujourd'hui, la présence de services de soins à domicile a bien amélioré les choses. Je me souviens que dans les années 90, nous avons aussi été confrontés à une dérive avec des infirmières devenues des super aides-soignantes et qui avaient un tel rythme que le travail n'était pas fait. La Ddass a fini par nous verser un forfait soins pour embaucher nous-mêmes des aides-soignantes. »

UN PASSÉ CONGRÉGANISTE

Devenir directeur d'Ehpad, un sacerdoce ?

Une partie des maisons de retraite relève du secteur associatif (comme celui de Piriac), qui, selon Florence Berbudeau, renvoie souvent à son passé congréganiste. « Il existe toujours un poids réel de ce passé avec une notion d'engagement du personnel », remarque la directrice. Mais, professionnalisme oblige, ce sont de véritables gestionnaires et chefs d'entreprise qui sont désormais recherchés. Florence Berbudeau a obtenu un diplôme de niveau bac + 2 dans le domaine des banques et assurances, une maîtrise d'administration économique et sociale (AES) puis un Dess Management des entreprises du secteur de la santé à l'Institut d'administration des entreprises de Lille. Même si le niveau de cette directrice n'est pas obligatoire pour gérer de petits Ehpad, le métier est bien un métier de gestionnaire, investi dans sa mission et non plus «engagé».