Graves soupçons sur une maison d'accueil - L'Infirmière Libérale Magazine n° 253 du 01/11/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 253 du 01/11/2009

 

PERSONNES ÂGÉES

Actualité

BAYONNE > Sur dénonciation d'une infirmière libérale, la directrice d'un établissement privé qui accueillait 15 personnes âgées est mise en examen pour violence sur personnes vulnérables.

La loi du silence semble avoir été la règle dans l'institution privée Les Colombes. En tout cas, jusqu'à la plainte d'une infirmière libérale, déposée le 22 septembre, y faisant état de mauvais traitements, d'hygiène dégradée et de conditions d'hébergement peu satisfaisantes.

Les enquêteurs mandatés par le parquet de Bayonne le 5 octobre au matin ont constaté que si l'établissement ne présentait pas d'apparents problèmes d'entretien, l'hygiène corporelle des résidents laissait à désirer : les pensionnaires étaient étendus dans des draps souillés d'urine et d'excréments. Deux d'entre eux étaient attachés à leur lit. Côté cuisine : des dates de péremption dépassées (d'un ou deux jours) et des frigos dont les températures étaient trop élevées. D'autre part, la quantité de nourriture livrée à la structure ne correspondait pas au nombre de pensionnaires.

Deux jours plus tard, la maison familiale d'accueil était évacuée de ses quinze résidents. Des retraités, âgés de 80 à 96 ans, qui ont été placés en urgence dans des établissements adaptés à leur état de santé. La plupart souffraient de désorientation.

Aucune autre plainte

Le 6 octobre au cours d'un point presse, le procureur de la République de Bayonne, Anne Kayanakis, expliquait que les vérifications menées depuis le dépôt de la plainte avaient conduit à la mise en examen de la directrice, Juliette Moreau, 70 ans, pour violences sur personnes vulnérables. « Il y a eu de la brutalité, de l'alimentation forcée et des soins très peu satisfaisants. Les médecins légistes qui participaient à la perquisition n'ont pas relevé de traces de coups directs. Il n'y avait pas non plus de signes de malnutrition. » Un témoignage, recueilli en dehors de l'enquête policière auprès d'une employée, fait toutefois état de scènes de violence difficilement acceptables, notamment lors des repas.

Juliette Moreau a été placée sous contrôle judiciaire à l'issue de deux jours de garde à vue. Libérée et bénéficiant de la présomption d'innocence, elle a pour interdiction de rencontrer les familles, le personnel et les résidentes. L'instruction judiciaire ouverte doit permettre de compléter les premières constatations, notamment sur le plan financier (cf. ci-contre). « Pour l'instant, il est prématuré de qualifier cet aspect. Elle n'est pas mise en examen pour abus de biens sociaux », notait Anne Kayanakis, précisant qu'aucune plainte n'avait été enregistrée de la part des familles.

« À l'ancienne »

Une enquête administrative avait déjà été diligentée début 2009, notamment sur les gardes de nuits, simplement assurées par la directrice, Juliette Moreau. Un second contrôle, inopiné celui-là, avait noté quelques améliorations au mois d'avril, mais aussi relevé des défauts d'hygiène et d'organisation.

Cet établissement privé créé en 1990 s'apparente davantage à un lieu de vie familial qu'à une maison de retraite. Non médicalisé, il ne reçoit pas d'aide de l'État et fonctionnerait, comme l'a dit la directrice durant sa garde à vue, « à l'ancienne », ce qui peut se traduire en langage judiciaire par un manque de professionnalisation des employés et de la structure.

Présidente départementale du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil 64), Véronique Cauhapé, qui s'est déjà trouvée confrontée à pareille situation, se déclare solidaire de l'infirmière qui a eu le courage de signaler les faits : « Paradoxalement, le signalement est finalement très mal vécu. La personne se retrouve très seule. Nous ne savons pas qui c'est, mais nous aimerions l'aider dans ces moments probablement durs à assumer. »

3 questions à

Christophe Fernandez, président de l'Association française de protection et d'assistance aux personnes âgées ()

Pourquoi les faits reprochés n'ont-ils pas été mis au jour plus tôt ? C'est un tout petit établissement de 15 lits, renfermé sur lui-même. Nous avons identifié ce type d'établissements comme pouvant être potentiellement des lieux de maltraitance, avec des dysfonctionnements souvent causés par le manque de moyens.

Pourquoi les familles n'ont-elles rien dit ? Les familles sont déjà soulagées d'avoir trouvé une solution d'accueil, satisfaisante en termes de coûts. Les visites se font souvent dans des moments où tout va bien, le week-end. Les familles ne veulent pas créer de conflit avec la direction et se demandent si ce ne serait pas pire ailleurs.

Le personnel non plus n'a pas dénoncé... Les salariés ont peur pour leur emploi. Bien des gens qui travaillent dans ces structures sont eux-mêmes en détresse sociale. Ils ne sont pas payés cher et sans qualification. De plus, on va leur déléguer des tâches qu'ils n'ont pas à effectuer. Ils sont victimes du système. Ce qui nous étonne, c'est qu'il y a bien eu des médecins libéraux qui sont venus prodiguer des soins. Mais dans la majorité des cas, ils se taisent eux aussi.

La directrice nie en bloc

Interviewée par le quotidien Sud Ouest* le 8 octobre en présence de son avocat, Me François Froget, la directrice de la maison de retraite affirmait n'avoir rien à se reprocher. « Il serait extraordinaire d'entrer à 7 heures dans la chambre de personnes grabataires sans y trouver de souillures. Mais chaque matin, on les levait, on leur faisait la toilette et on les nourrissait décemment. » Concernant la contention de certains résidents, sans prescription médicale, Juliette Moreau ne souhaite pas « que l'on parle de liens. J'ai appliqué des poignées de maintien à une résidente parce qu'elle était tombée deux fois et qu'elle s'était luxé la hanche ». Et quant à l'accusation de « gavage » des récalcitrantes à table ? « Je veillais simplement à ce qu'elles s'alimentent comme il faut. Il faut bien se dire que beaucoup ne savent plus manger, qu'elles se laisseraient mourir de faim sans aide. Il s'agit juste d'une aide. » Interrogée sur les témoignages de ses employés qui l'accablent : « Ça me fait de la peine, je vous dis. Parce que c'est faux. Avec mes résidents, comme avec mes employées, je gérais Les Colombes de façon familiale. »

*Intégralité de l'interview sur

CHIFFRES

1 591 euros, c'est en moyenne le coût mensuel d'hébergement à la charge des pensionnaires des maisons de retraite de province.

→ Ce coût s'élève à 2 780 euros à Paris. Avec un coût de 1 965 euros pour l'hébergement seul, Les Colombes se place dans la fourchette haute, qui peut grimper à 2 500 euros une fois les charges de fonctionnement répercutées.