Le prix de la liberté - L'Infirmière Libérale Magazine n° 253 du 01/11/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 253 du 01/11/2009

 

Responsabilité

Dossier

Les libérales ne doivent pas répondre que de leurs soins : leur responsabilité concerne également leurs liens avec l'Assurance maladie et leurs consoeurs. Si les mises en cause peuvent revêtir de nombreuses formes, les procédures restent cependant peu fréquentes. La responsabilité, signe d'autonomie, est souvent moins une menace qu'une chance.

RESPONDERE. Telle est l'étymologie latine d'une obligation touchant tout citoyen, dans certains cas au regard de la loi : la responsabilité, qui consiste à répondre de ses actes et de leurs éventuels effets. De la même manière que le corps humain dans les textes de loi, elle occupe dans le domaine sanitaire une position privilégiée. Le faux pas d'un praticien peut être lourd de conséquences physiques, psychiques et pécuniaires.

Logiquement, l'exercice de la responsabilité peut effrayer. Surtout en libéral, où l'infirmière, quand elle engage sa responsabilité, n'a pas de collègue à portée de main pour demander conseil. Cet isolement fait partie de son identité. Invitées par la Drees(1) à décrire leur exercice, les libérales parlent d'autonomie et de responsabilité, se présentant en contraste avec leurs consoeurs de l'hôpital...

SUR SES GARDES

La responsabilité renvoie à des compétences, tels les actes infirmiers listés dans les décrets des 11 février 2002 et 29 juillet 2004, traduits dans les articles R. 4311-1 à 15 du Code de la Santé publique (CSP). Problème : entre le soin idéal et la réalité, il se glisse parfois un petit rien... « On est loin d'avoir toujours une ordonnance dans les règles, témoigne Marie-Claude Daydé, libérale en Haute-Garonne. Et il arrive qu'on doive la prendre par téléphone. Or il faut une preuve écrite... » À ce titre, le dossier de soins, exigé pour certains actes, peut s'avérer utile. En particulier à propos de l'information du patient : au praticien de prouver qu'il a bien rempli cette mission (article L. 1111-2 du CSP).

« La responsabilité incite à se poser davantage de questions, en particulier pour un traitement méconnu ou plus compliqué, poursuit Marie-Claude Daydé. Il faut redoubler de vigilance. » Et notamment auprès de personnes vulnérables ou pendant la surveillance d'un patient après administration d'un allergène.

L'enjeu, c'est de rester sur ses gardes et de surmonter les risques du métier... sans être «pétrifié». D'autant que les procédures de responsabilité pour des actes de soins ratés sont, rapportées au nombre de professionnels, très peu fréquentes. Et notamment dans le pénal, domaine le plus redouté et le plus déstabilisant.

La responsabilité pénale, qui s'assume personnellement, est mise en cause en cas de dommage causé par une infraction définie dans le Code pénal, comme un homicide, des coups et blessures involontaires, un exercice illégal de la profession ou une violation non-autorisée du secret professionnel. La peine est prononcée par le tribunal au nom de la société. « La peine d'amende excède rarement un mois de salaire et, quand une peine de prison est prononcée, elle est limitée à quelques mois et assortie du sursis, de telle sorte qu'elle ne remet pas en cause la capacité à exercer la profession », relativise l'avocat Gilles Devers.

NOUVELLE DISCIPLINE

Récemment, un libéral a toutefois été lourdement condamné (dix-huit mois d'interdiction d'exercice), en l'absence de séquelle, pour « mise en danger de la vie d'autrui » : à un patient équipé d'un port-à-cath® (cathéter à chambre implantable), il avait injecté, à chaque perfusion, trois flacons d'un anti-infectieux au lieu d'un demi. L'expert a évoqué une grave imprudence du fait d'incompétences professionnelles avérées. Selon la société médicale d'assurance et de défense professionnelle le Sou médical-Groupe MACSF, « le délit était [...] constitué par le non-respect des règles de l'art » et le tribunal « a certainement voulu sanctionner le comportement [...] particulièrement dangereux et anti-déontologique qui aurait pu passer inaperçu ».

La «responsabilité-punition» peut s'exercer ailleurs qu'au pénal, et justement, quelles que soient les conséquences de la faute, au disciplinaire. La sanction (tel un avertissement) se rapporte alors à la capacité à exercer la profession. Aucune procédure n'existe aujourd'hui pour un libéral soupçonné d'un écart à la discipline dans sa pratique soignante. Les instances décrites dans les lois du 12 juillet 1980 et du 4 mars 2002 n'ont jamais été mises en place.

L'Ordre infirmier devrait combler ce manque, en établissant un code de déontologie - à la place des articles R. 4312 du CSP - et en veillant à l'éthique et à la compétence de ses membres quel que soit leur mode d'exercice. Il comprendra, au niveau départemental, une commission de conciliation pour les litiges entre un infirmier et un usager ou entre des professionnels. En cas d'échec, des chambres disciplinaires seront saisies à l'échelon régional et, en appel, au national. Sanction la plus sévère, la radiation du tableau de l'Ordre. Ces juridictions ont pour objectif la qualité des soins. On peut aussi imaginer qu'elles protègeront un professionnel injustement accusé. Ou que, à la suite d'une procédure, elles empêcheront l'installation en libéral d'un agent licencié d'un hôpital pour une grave faute professionnelle(2).

Les responsabilités de type «punition» (pénal et/ou disciplinaire) se distinguent, même si elles peuvent s'y ajouter, de la «responsabilité-réparation». Celle-ci vise à réparer un dommage, au tribunal administratif (pour les agents du public) ou au civil, au tribunal de grande instance. L'indemnisation du patient se fait en dommages et intérêts, dont se charge généralement l'assureur du praticien - les libérales sont obligées de s'assurer en responsabilité civile professionnelle depuis 2002. Plus largement, le législateur a privilégié l'indemnisation plutôt que la punition. Et, en corrigeant les effets d'éventuelles fautes, en prenant en charge tous les soins sans distinction de leur origine, la Sécurité sociale évite sans doute des procès...

RÈGLES SPÉCIFIQUES

La responsabilité des infirmières à domicile ne se limite pas aux seuls soins, au respect du droit des patients (gravé dans la loi du 4 mars 2002) et aux relations avec leurs familles. Elles répondent aussi de règles spécifiques sur leur cabinet, la publicité ou encore le remplacement (articles R. 4312-33 à 48 du CSP). Puisqu'il s'agit de règles professionnelles, l'Ordre infirmier devrait être compétent pour examiner d'éventuels litiges sur ces questions(3).

Les libérales doivent aussi respecter les règles, collectivement fixées, de la convention nationale avec l'Assurance maladie (AM). Pour un non-respect, telle « l'application, de façon répétée, de tarifs supérieurs aux tarifs opposables », la commission paritaire départementale peut être amenée à donner un avis, et la caisse à prononcer une sanction.

Enfin, les infirmiers doivent appliquer la Nomenclature générale des actes professionnels (NGAP). Même s'il reste statistiquement exceptionnel(4), le contentieux à ce sujet - comme une surcotation d'actes ou une falsification d'ordonnances - semble actif et plus visible que les non-respects de convention. D'autant que l'AM a renforcé ses recherches et sa lutte contre les fraudes, les fautes et les abus. Et affiche son volontarisme. Les procédures diffèrent selon la nature des faits, leur gravité, le type de responsabilité engagée.

Le pénal fait trembler, là encore. Mais, là aussi, il est peu fréquent. Escroquerie, travail en bande organisée, faux et usage de faux... L'AM recourt au pénal « en cas de forte suspiscion de fraude (quand il y a un élément intentionnel) pour des faits graves et un préjudice important », explique Pierre Fender, directeur de la lutte contre les fraudes à l'AM.

« Si le reproche se limite, par exemple, à la seule modalité de facturation entre le jour et la nuit ou à un problème informatique, que l'infirmier reconnaît son erreur et paie l'indu, ça s'arrête là », indique le docteur Fender. S'il y a désaccord et échec de la voie amiable, le tribunal des affaires de sécurité sociale, juridiction civile(5), est saisi. « C'est la majorité des cas. En cas de récidive, il y a remboursement de l'indu plus une pénalité financière. » Une pénalité que le directeur de la Caisse peut aussi prononcer si « un facteur intentionnel » est suspecté. Les libérales peuvent enfin répondre de leurs actes devant la Section des assurances sociales (SAS) de l'Ordre des médecins, sollicitée « s'il faut discuter de l'état médical du patient, des médicaments, ou si l'infirmier exagère dans la multiplication des soins. On fait aussi un signalement ou une plainte à l'Ordre [ndr. des médecinsl lorsqu'on va au pénal, afin qu'il se positionne sur la déontologie du professionnel », explique Pierre Fender. La SAS est rattachée au conseil régional de l'Ordre... des médecins. Un infirmier y remplace l'un des médecins.

Comme pour la responsabilité associée aux soins, la création de l'Ordre infirmier doit donc changer la donne : la SAS va devenir une section de sa chambre disciplinaire(6). Elle se composera, au niveau régional, d'un magistrat du tribunal administratif et d'autant d'assesseurs de l'Ordre que de représentants des organismes de Sécurité sociale. Les infirmiers seront donc davantage jugés par leurs pairs. Sanction maximale : l'interdiction définitive du droit de dispenser des soins aux assurés sociaux. Mais il est aussi possible qu'une infirmière doive reverser un trop-remboursé sans même être avertie. L'appel est alors possible au national.

HYDRE DOMESTIQUÉE

Selon des acteurs du monde infirmier, le niveau de responsabilité est difficile à jauger quand la loi est diversement interprétée et la nomenclature accusée de ne pas coller à la réalité. De quoi exonérer les infirmières d'une partie de leur responsabilité ? En tout cas, cela permet, peut-être, de mieux comprendre certaines situations. « Dans l'ensemble, dans certaines limites, il paraît [d'ailleurs] y avoir une tolérance » des caisses sur des façons dont les infirmières « s'arrangent pour que ça passe », constatait la Drees en 2006. Par exemple pour se faire rémunérer la pose de bas de contention ou l'instillation de collyre. « Il est fort possible que ces soins, absents de la NGAP et dont on parle beaucoup, cachent d'autres pratiques, marginales, mais plus discutables. De cela, rien ne transparaît, sauf quand des procédures disciplinaires sont enclenchées. » Et celles-ci pourraient se multiplier avec la stratégie d'actions de l'AM...

Vis-à-vis des patients, des caisses ou encore des consoeurs, la responsabilité peut être mise en cause pour plusieurs motifs et par de nombreux moyens. Mais cette notion aux multipes visages ne doit pas être vue comme une hydre terrifiante. En réalité, les procédures sont peu fréquentes. Avec le droit pour guide, la responsabilité peut s'exercer sereinement. Surtout, elle est le révélateur et la contrepartie des compétences, de l'autonomie et - singulièrement en libéral - de la liberté.

Son champ pourrait croître parallèlement à l'autonomie infirmière, susceptible de s'étendre avec la baisse annoncée de la densité médicale, le vieillissement de la population, une plus grande coopération avec les autres professionnels, l'essor de l'hospitalisation à domicile ou de la télémédecine, un éventuel transfert de compétences, la création de l'Ordre, etc. La responsabilité peut représenter une chance, à condition que ses limites soient claires et connues, la formation reconnue et la rémunération adéquate.

(1) Drees : Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques.

(2) L'Ordre jouera par ailleurs un rôle dans des suspensions temporaires d'exercices rendus dangereux par une infirmité ou un état pathologique.

(3) Aujourd'hui, il en arrive au civil.

(4) Voir nos articles parus dans L'Infirmière libérale magazine n°247 d'avril et n°252 d'octobre sur la lutte anti-fraude.

(5) Appel possible.

(6) Si la chambre disciplinaire et la Section des assurances sociales se prononcent sur les mêmes faits, la plus lourde sanction sera retenue.

Témoignage

« Souvent une simple erreur »

François Verney, infirmier à la Section des assurances sociales du conseil breton de l'Ordre des médecins, se penche sur «deux ou trois cas» de contentieux technique par an

« Nous examinons essentiellement des cas de non-respect de la nomenclature, tels des actes fictifs. L'interdiction d'exercer, prononcée dès qu'il y a facturation fictive, est temporaire dans 99 % des cas. La volonté de trafiquer de certains est évidente. Mais d'autres ne savent pas qu'ils franchissaient la ligne jaune. Le caractère nombreux et répété des actes rend les dossiers complexes. De même que la réglementation. Ainsi ces litiges sur la distribution de médicaments pour des troubles cognitifs comme Alzheimer, puisque distribution et surveillance d'une thérapeutique orale à domicile sont désormais réservées, dans la nomenclature, à des patients atteints de troubles psychiatriques... Il y a aussi les demandes d'ententes préalables de soins dont la Caisse dit ne pas trouver trace. Si l'infirmier dit l'avoir envoyée [et donc reçu un accord implicite], qui croire ? »

ANALYSE RESPONSABILITÉ

Partager n'est pas déléguer

Hors des dispositions prévues par la loi, une compétence ne se délègue pas. Mais si la responsabilité ne se délègue pas, elle peut se partager. Comme entre ce médecin, ce pharmacien et cette infirmière, conjointement condamnés. Le premier avait prescrit un corticoïde avec l'indication « 15 jours » ; le second délivré 15 ampoules ; la troisième injecté une ampoule par jour, quinze jours d'affilée. En fait, une ampoule devait être administrée tous les quinze jours. Résultat : des troubles graves chez le patient. Le tribunal a reconnu le médecin responsable à 20 %, pour le manque de clarté de son ordonnance ; le pharmacien à 70 %, pour la quantité de produits incompatible avec la posologie ; l'infirmière à 10 %, pour négligence : censée connaître la posologie et la notice, elle a administré une dose trop forte sans confirmation de la prescription par le médecin. Selon le Code de la Santé publique, l'infirmier doit exiger du médecin « un complément d'information chaque fois qu'il le juge utile ».

Repères

La loi reconnaît le droit à l'erreur, humaine. « La responsabilité commence avec la faute [rarement volontaire], que le Code pénal retient à partir du seuil de l'imprudence, de la négligence ou de l'inattention », détaille l'avocat Gilles Devers. Ainsi, une erreur de diagnostic est possible ; c'est une faute si le médecin n'a pas fait tous les examens nécessaires ou s'il a tardé à se prononcer. À ne pas confondre avec l'aléa, « conséquence non-maîtrisée d'un acte de soin irréprochable ». On parle aussi de « responsabilité sans faute », en cas d'infection nosocomiale notamment.

Interview Aude Dauphin, juriste à la Fédération nationale des infirmiers (FNI)

« Plus de risques de mise en cause »

Faut-il craindre une condamnation pénale pour un soin raté ? Oui, mais cela reste rare. La responsabilité contractuelle à propos des relations de travail, entre associés d'un même cabinet notamment, est bien plus souvent mise en cause, avec, au civil, des dommages et intérêts à verser ainsi qu'une rupture de contrat. Les remplacements ou la collaboration sont également sources de contentieux. De même, les risques de contentieux avec l'Assurance maladie sont plus importants... Voyez la vague de contrôles pouvant conduire à une procédure de répétition de l'indu, le contentieux relatif au calcul des indemnités de kilométrage ou aux interventions en foyer-logements.

Quelles responsabilités pour la libérale ? Sa grande différence avec le salarié, c'est qu'elle est, en quelque sorte, «un chef d'entreprise». Avec une pluralité de tâches : des soins, mais aussi de l'administratif, de l'informatique, de la comptabilité, de la sécurité, du fiscal... Elle est donc exposée à un plus grand nombre de risques de mise en cause de sa responsabilité. Malgré tout, en général, la responsabilité est peu engagée.

EN SAVOIR +

→ Étude de la Drees d'avril 2006 disponible sur

→ Citations de Gilles Devers tirées de ou de Lettre d'un avocat à une amie infirmière (Lamarre, 2003)

Regard sur la profession d'infirmière libérale, Marie-Claude Daydé (Lamarre, 2007)

La responsabilité juridique de l'infirmière, Claude Rambaud et Georges Holleaux (Lamarre, 2008)

→ La législation sur

→ Des indications sur la responsabilité ou les procédures sur les sites de syndicats infirmiers