Les diabétiques se jettent à l'eau - L'Infirmière Libérale Magazine n° 253 du 01/11/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 253 du 01/11/2009

 

ALPES-MARITIMES

Initiatives

Libérale exerçant à Antibes, Élisabeth Juan est une passionnée de la grande bleue. Elle n'hésite pas à tomber la veste pour encadrer des baptêmes de plongée sous-marine destinés aux enfants diabétiques trop longtemps maintenus à distance de cette pratique sportive.

Ce jour-là, comme chaque jour, Élisabeth Juan, 50 ans, l'une des trois infirmières libérales d'un cabinet d'Antibes, est au volant de sa 4x4 Fiat grise Sedici. Un soleil de plomb tombe à pic sur les immeubles ocre, rouges et orangés dispersés entre les pins parasol des environs immédiats de la vieille ville d'Antibes. La mer, très bleue, se laisse entrevoir à certains virages de la route.

À 11h30, c'est la douzième visite de la matinée. « Bonjour mamy ! (cette familiarité m'est demandée par la patiente, glisse Élisabeth) 0,81 g/l ? Mais, vous avez une excellente glycémie ce matin. Bravo, vous avez bien pédalé sur votre vélo d'appartement. Pas de problème pour manger vos restes de dimanche ! » Ladite «mamy», madame S., diabétique, s'exclame : « Voyez comme elle me martyrise trois fois par jour ! » Les diabétiques comme madame S. représentent environ un quart des clients d'Élisabeth, en grande majorité âgés de plus de 75 ans. « Je me suis intéressée au diabète lorsque j'ai constaté dans ma clientèle la fréquence de cette pathologie croissante. Je sentais bien qu'il fallait que j'approfondisse mes connaissances sur le sujet », raconte l'infirmière.

Lors de la visite suivante, Élisabeth entre dans l'appartement cossu et clair de madame G., 89 ans. « Comment allez-vous aujourd'hui ? » Un léger hochement de tête avec un regard dans le vide lui apporte un semblant de réponse. « Cette dame a un moral très bas, explique Élisabeth. Depuis le décès de son mari, elle est dépressive et complètement dépendante. Dans ce métier, on se sent parfois impuissant vis-à-vis de la maladie et de la souffrance. »

La mer, une passion venue de l'enfance

Pour faire face au stress de son métier, l'infirmière dispose heureusement d'une échappatoire : la plongée. « J'ai attrapé le virus assez tôt. Depuis ma naissance, j'ai toujours vécu avec la mer. J'ai commencé par naviguer et, un jour, j'ai voulu savoir ce qu'il y avait sous la surface ! » L'enthousiasme a tout de suite été au rendez-vous avec la découverte d'un « monde fascinant et merveilleux ». Un monde et une passion qu'elle aime partager avec sa clientèle. « Mes patients me demandent toujours : «Alors, vous avez plongé ?» Je leur montre des photos d'Indonésie, du détroit de Lembeh [ndlr : au nord de l'île Sulawesi en Indonésie], des requins baleines aux Maldives ou même de la Méditerranée, mon terrain de jeux favori. Cela leur permet de rêver un peu... et les incite à jeter un simple coup d'oeil par leur fenêtre... » Une des clientes d'Élisabeth a même mis à sa disposition des jumelles pour qu'« elle puisse surveiller ce qui se passe en mer et lui faire un rapport ».

L'été, à Antibes, Élisabeth plonge plusieurs fois par semaine, y compris de nuit : « Quand je travaille, je ne peux pas plonger entre les tournées ; aussi, j'y vais la nuit pour découvrir la faune sous-marine nocturne. » L'infirmière intervient également une fois par semaine comme monitrice bénévole dans un club nautique de Nice.

« Le diabète n'est pas un frein »

Cette activité bénévole et sa qualité d'infirmière référent en diabète au sein du réseau Resdiab 06, dont le but est d'aider les patients à vivre autonome avec le diabète tout au long de leur vie, l'ont rapprochée de façon naturelle de l'association Diab06 et de son président, François Delporte. L'association Diab06, une antenne dans le département des Alpes-Maritimes de l'Association des jeunes diabétiques (AJD), a été créée en 2000 pour permettre aux parents d'enfants diabétiques de se réunir et de se soutenir.

Elle compte aujourd'hui 120 familles avec des enfants âgés de 2 à 16 ans ; sept familles la fréquentent régulièrement. « C'est l'association de proximité qui manquait pour les Alpes-Maritimes. François, ancien infirmier libéral, diabétique, membre actif et délégué sur Antibes de Diab06, souhaitait permettre aux jeunes diabétiques de faire leur baptême de plongée. Il voulait montrer à ces enfants que le diabète n'était pas un frein à leur vie. » Élisabeth a le profil idéal pour accompagner une telle expérience.

Une ouverture qui, à l'époque, n'a rien d'une évidence : la Fédération française d'études et de sports sous-marins (FFESSM) a établi seulement en octobre 2004 un protocole pour les diabétiques qui désirent plonger (avant cette date, la plongée était interdite aux diabétiques). « Un précédent avait eu lieu trois ans auparavant par le professeur Lormeaux avec des jeunes adultes diabétiques au Golfe Plongée Club de Golfe-Juan. Mais, pour des enfants, c'était vraiment une première nationale ! »

Élisabeth se souvient de cette journée très particulière du 8 juin 2008. « La journée - c'était un samedi - était splendide mais la mer encore froide. Les dix-neuf enfants âgés de 7 à 15 ans et atteints de diabète de type 1, les six parents accompagnateurs et les quatre moniteurs de plongée plus moi-même étions au rendez-vous. Nous avons été accueillis par le Golfe Plongée Club d'Antibes. Tout ce petit monde a embarqué sur un bateau, qui a mis le cap sur l'ile Sainte-Marguerite. Pendant la traversée, j'ai briefé chaque moniteur : explication rapide du diabète, signes de reconnaissance des signes d'hypoglycémie, réactions à adopter dans tel ou tel cas... Dans les gilets stabilisateurs des moniteurs, j'avais glissé les sachets de glucose nécessaires pour pallier une hypoglycémie qui aurait pu être accentuée par le stress, le froid. Chaque enfant devait rester vigilant sur le niveau de sa glycémie et surtout à ce qu'elle ne suive pas une pente descendante... François Delporte a expliqué à tous le protocole à suivre dans l'heure précédant la plongée : maintenir une glycémie supérieure ou égale à 1,60 g notamment. Au cours de cette dernière heure, les enfants étaient autorisés à enlever leur pompe à insuline. Certains avaient oublié de le faire, mais les erreurs ont pu être réparées à temps. Les dix-neuf baptêmes de plongée se sont donc déroulés de 14 à 18 heures au large de Sainte-Marguerite. Cela a été un grand bonheur pour tous : les enfants sont restés chacun dans l'eau pendant 30 minutes. »

Un an après, François Delporte se dit très satisfait : « L'expérience a bien montré que le diabète n'est pas un frein à la vie de ces enfants. » Victoria, 11 ans, diabétique depuis l'âge de 7 ans, est encore sous le charme : « Le moniteur m'a fait toucher une étoile de mer. On voyait très bien les fonds marins. » Ou encore Nassima, 11 ans également : « Cela a été un des plus beaux événements de notre vie. Même pour nos parents, ce jour a été extraordinaire. On ne s'est pas vraiment rendu compte sur le coup que cette expérience allait changer autant de choses. »

Oublier la maladie

Cette expérience en tout cas n'a fait que conforter Élisabeth dans son idée que des patients bien «éduqués» peuvent mieux vivre avec leur maladie, voire oublier qu'ils sont malades. C'est ainsi qu'avec vingt infirmiers des Alpes-Maritimes, l'association GICE 06 (Groupement d'infirmiers en consultation thérapeutique) est née. Elle a pour objectif d'aider les gens à vivre au quotidien avec leur maladie et les amener vers l'autonomie pour un confort quotidien... Une démarche très novatrice en dehors de l'hôpital. Élisabeth passe par ailleurs actuellement son certificat d'éducation thérapeutique avec deux spécialisations : le diabète et les anticoagulants (anti-vitamine K).

Les effets sur sa pratique quotidienne ? « J'ai pu expérimenter dans ma clientèle le bienfait d'une éducation thérapeutique du patient de l'année écoulée : beaucoup moins d'angoisse face à la maladie et à ses contraintes. J'ai vu des patients dépendants devenir progressivement autonomes, jusqu'à ne plus avoir besoin d'aide dans la gestion de leur pathologie : cela a augmenté de façon considérable leur confort de vie et a permis à certains de renouer avec une vie sociale ou familiale. » Preuve de son dynamisme et de son enthousiasme, Élisabeth a aussi été retenue pour participer au programme Sudd (Suivi des diabétiques en difficultés). Doté d'une enveloppe du ministère de la Santé, il a comme objectif de remettre dans le circuit de la santé des diabétiques en situation difficile, le plus souvent en grande précarité. « Le diabète ne représente qu'une infime pathologie comparé à tous les autres problèmes de santé de ces patients. Mais ce travail va, là encore, me permettre de mettre en pratique ce que j'ai appris au cours de ma formation d'éducation thérapeutique. »