Les soins ambulatoires des plaies - L'Infirmière Libérale Magazine n° 253 du 01/11/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 253 du 01/11/2009

 

Cahier de formation

Savoir faire

À l'occasion de son injection d'insuline, monsieur P., 64 ans, vous raconte qu'il y a dix jours, il a beaucoup marché. Résultat : une ampoule au talon, rien de grave, il a bien nettoyé et mis un pansement «seconde peau». Mais elle ne cicatrise pas.

Toute plaie du pied, même minime, qui ne cicatrise pas au bout de huit jours chez un diabétique impose la recherche d'une artériopathie. Le patient ignore son état artériel. Appelez son médecin pour envisager bilan et prise en charge. En attendant, évaluez l'aspect de la jambe, la plaie (lit, couleur, bord), les autres points d'appui, la sensibilité, les pouls périphériques, nettoyez au sérum physiologique, mettez une interface et le talon en décharge. N'oubliez pas d'expliquer pourquoi au patient !

LES LIMITES DE LA PRISE EN CHARGE

Variabilité des cas

Il est difficile d'établir une stratégie codifiée dans la prise en charge d'une plaie de pied diabétique en raison de :

→ composantes multiples du traitement (et des équipes !) : soins locaux, débridement, décharge, antibiothérapie, gestes vasculaires, équilibration du diabète...

→ la diversité des plaies : plus ou moins profondes, plus ou moins ischémiques et plus ou moins septiques.

Des plaies souvent mixtes

Si 90 % des patients ayant une plaie chronique ont une neuropathie, il s'agit de plaies neuropathiques dans 55 % de cas, neuro-ischémiques dans 35 % des cas et ischémiques pures dans 10 % des cas (source : l'ouvrage Le Pied diabétique du Dr Georges Ha Van).

Prise en charge ambulatoire limitée

Ne sont pas directement prises en charge en ville, les plaies :

→ infectées localement,

→ avec signe d'infection systémique,

→ avec contact osseux ou articulaires,

→ avec nécrose distale ou étendue,

→ dont la cicatrisation n'a pas démarré au but d'un mois,

→ de patient non observant.

« Toute plaie sur un pied diabétique à risque doit être vue dans un centre de référence du pied. L'infirmière seule ne peut apprécier son degré de gravité », nuance le Dr Ha Van.

Les contours des soins à domicile

Les libérales peuvent intervenir :

→ directement : seules les lésions fermées ou superficielles (n'atteignant pas l'aponévrose), non infectées et non ischémiques peuvent être traitées en première intention à domicile ;

→ en sortie d'hospitalisation plus ou moins conjointement avec une structure spécialisée (réseau de cicatrisation...) pour finir la cicatrisation, faire une momification ou un suivi d'amputation.

LES PRINCIPES DU TRAITEMENT

« On ne soigne pas une plaie, mais un patient », fait remarquer Denyse Vannereau, diabétologue et formatrice, spécialiste du pied diabétique dans le service des maladies de la nutrition et diabétologie au Centre médical du Grau-du-Roi du CHU de Nîmes (Gard).

La prise en charge d'une plaie du pied nécessite :

→ une exploration de l'état général, biologique (bilan rénal...), nutritionnel et social du patient (équilibre glycémique, complications associées...) ;

→ un typage (neuropathique, artéritique et mixte) et une évaluation précise de la plaie ;

→ la mise en décharge de la zone lésée ;

→ l'éducation du patient sur la maladie et sur la prévention secondaire ;

→ un suivi de la post-cicatrisation (au moins trois ans), incluant la surveillance de la zone lésée et des deux pieds.

CAS PRATIQUES

Le patient est «inconnu»

Les questions à poser

A-t-il eu un bilan général ?

Est-il gradé ?

A-t-il eu un bilan artériel ?

Quel est l'aspect du pied (neuropathique, artériel, mixte) ?

Existe-t-il des signes infectieux ?

L'évaluation de toute plaie comprend les points suivants :

→ aspect des Berges (hyperkératosique, invaginée, abrupte, en pente douce) ;

Ancienneté ;

→ phase de Cicatrisation (détersion, granulation, épithélisation) ;

→ échelle Colorimétrique (noire, jaune rouge) ;

Odeur ;

Localisation ;

→ état de la peau Périlésionnelle (saine, macérée, érythémateuse, fragile, eczéma, oedème, trouble trophique) ;

→ signes d'Infection (rougeur, chaleur) ;

Saignement ;

Type de plaie ;

→ quantité d'Exsudats.

Un moyen mnémotechnique pour s'en souvenir : BAC COL PISTE.

La question quelle est l'origine de la plaie ? permet de mettre en place les conseils éducatifs avant de suggérer une prise en charge par un pédicure-podologue si besoin.

Orienter la prise en charge.

Le pied est artéritique, aucun bilan artériel n'a été fait, la plaie est ulcéreuse : appeler le médecin et expliquer. Une exploration vasculaire est indispensable, ainsi qu'une consultation en service spécialisé.

Le pied plutôt neuropathique est exempt de plaie, mais il est rouge, gonflé, comme une entorse. On doit penser à un Charcot aigu. Il s'agit d'une urgence. Mettre en décharge avec les moyens du bord et appeler le médecin en disant : « J'ai entendu parler du pied de Charcot, est-ce que vous ne pensez pas que ce pourrait être ça ? » Certes, cela peut être une simple entorse, une phlébite ou une crise de goutte, mais, dans le doute...

→ La plaie présente des signes d'infection. Il s'agit aussi d'une urgence.

→ La plaie est petite sur un pied neuropathique avec une zone d'hyperkératose : c'est faisable.

Exemple d'une petite plaie avec hyperkératose

→ Laver le pied à l'eau du robinet et au savon de Marseille, rincer et sécher en tamponnant, y compris entre les orteils.

→ Rincer la plaie au sérum physiologique puis la tamponner. Jamais d'antiseptique !

→ Ôter l'hyperkératose autour et sur la plaie avec une lame de 10 ou de 15. On ne doit pas avoir peur d'enlever l'hyperkératose comme on pèle un oignon.

→ Explorer avec un stylet, une sonde cannelée pour voir ce qu'il y a en dessous. Tout contact osseux est une ostéite à preuve du contraire. Appeler le médecin pour une exploration en service spécialisé (IRM, antibiothérapie).

→ Pour traiter le décollement, soit on arrive à mécher directement la cavité, soit il faut juste élargir l'ouverture pour prendre en charge le fond de la plaie. En l'absence de douleur et de risque hémorragique majeur, on peut le faire si on s'en sent capable. Sinon, le laisser faire au médecin.

→ Une fois ouvert, débarrasser l'intérieur de la plaie du maximum de la fibrine et des tissus morts qui retardent l'apparition d'un bourgeon de bonne qualité. Outre la curette, une compresse non tissée est très pratique pour ôter la fibrine. Laver au sérum physiologique et appliquer le pansement ou mécher avec alginate, voire hydrofibre ou hydrocellulaire.

→ Rythme de pansement : tous les jours sur une plaie à risque ou infectée et si ça coule avec hydrofibre. C'est 1 jour sur 2 pour un alginate (en l'absence d'infection) et 1 jour sur 3 pour un hydrocellulaire. Au bout de 8 jours, si c'est propre, on peut espacer : 1 jour sur 2 ou sur 3 si c'est un hydrocellulaire. Toujours enlever l'hyperkératose autour de la plaie.

Impératif : chaque pas avec les forces de cisaillement et la pression retarde la cicatrisation de quelques jours ! Expliquer l'intérêt au patient et appeler le médecin pour la prescription de matériel et un éventuel arrêt de travail. Le type de décharge est fonction de la localisation de la plaie (voir partie Décharge p.40). La mise au fauteuil, des coussins sous la cheville permettent d'attendre.

On doit voir une amélioration au bout de trois semaines en l'absence de contexte artériel à la condition d'une détersion complète, d'une décharge observée et d'une infection jugulée. Son absence ou l'apparition de signes infectieux imposent une consultation spécialisée.

Le patient sort de l'hôpital

Après une amputation

Si l'amputation est correctement effectuée, la plaie sera une plaie post-opératoire simple.

La momification

On tente de transformer une nécrose humide en une nécrose sèche par l'application d'un produit asséchant (fluorésceine aqueuse à 1 % ou polyvidone iodée, la «jaune») ou d'un alginate pur pour aboutir à un phénomène de momification et d'auto-amputation d'un ou plusieurs orteils ou d'une zone.

Utilisée dans le cadre des artériopathies distales, elle peut être précédée ou non d'une revascularisation :

→ si la revascularisation est impossible, la cicatrisation l'est aussi : on momifie la zone de nécrose jusqu'à ce qu'elle «saute» seule (ou avec geste chirurgical). « On espère que «dessous», ça bourgeonne », explique le Dr Trial ;

→ après revascularisation, on doit continuer le procédé de momification durant trois semaines avant d'attaquer la cicatrisation dirigée en raison du syndrome de revascularisation.

→ Appliquer 1 fois par jour le produit asséchant sur une compresse et laisser la plaie à l'air. Si on utilise l'alginate, le recouvrir d'une bande préférentiellement pour ne pas léser la peau périphérique ou d'un pansement sec du type Mefix® ou bande. Si la nécrose est humide (infection), une antibiothérapie générale est prescrite.

→ Surveiller régulièrement la jonction «mort/vif» (risque infectieux).

→ Évaluer la décharge++++.

Plaies bourgeonnantes

On peut être conduit à finir la cicatrisation d'une plaie prise en charge dans un service spécialisée.

→ Exiger des instructions écrites et claires sur la réalisation du pansement, accompagnées d'une ordonnance de soins à domicile, précisant qu'il s'agit d'un pansement complexe chez un diabétique.

→ Poursuivre le même type de pansement pendant un minimum de quinze jours pour avoir une idée précise de son efficacité, sauf problème d'urgence, d'allergie, de signes locaux, loco-régionaux ou généraux d'infection.

→ Passé ce délai et en cas d'échec, un nouveau protocole peut être institué, soit par le service d'origine - si un suivi par ce service est mis en place -, soit par le médecin traitant.

→ Consigner sur le carnet, à chaque pansement, les observations : avancée de la plaie, des douleurs, une modification de couleur, d'odeur ou d'abondance des exsudats, des allergies, le port aléatoire de la décharge, un épisode fébrile, une hyper- ou une hypoglycémie.

→ Évaluer la décharge++++.

LES PRODUITS DE SOINS

Les pansements

Comme pour toute plaie, le choix du pansement dépend du stade de la cicatrisation et de la plaie. En règle générale (hors momification) :

Sur une plaie sèche que l'on peut déterger : un hydrogel qui apportera l'eau nécessaire : il peut être recouvert d'un tulle, d'une interface, d'un pansement au charbon ou à l'argent. Si un décapage est souhaitable et possible, on utilisera en couverture un hydrocolloïde extra mince, notamment pour les plaies artérielles en surveillant attentivement.

Sur une plaie peu exsudative. Un alginate, un hydrogel.

Sur une plaie très exsudative. Un alginate, un hydrocellulaire, voire les deux, ou un hydrofibre.

Sur une plaie infectée. Alginate, hydrofibre, pansement au charbon ou à l'argent. Et pansement quotidien.

Au stade d'épithélialisation. Un tulle ou une interface, un hydrocellulaire.

On recouvrira le tulle ou l'interface avec un pansement secondaire à type de bande, voire d'un hydrocellulaire.

D'autres techniques (technique de pression négative, facteurs de croissance...) existent mais n'ont pas été abordées dans cette partie.

À proscrire

En dehors de cas très particuliers, bannir :

→ les antibiotiques locaux,

→ les pansements imprégnés d'antiseptiques ou d'antibiotique,

→ l'éosine,

→ les hydrocolloïdes et les hydrocellulaires sur les plaies ischémiques,

→ les adhésifs sur peaux fragilisées.

À retenir

→ Ne pas changer de type de pansement sous prétexte que la cicatrisation est lente : réévaluer d'abord la plaie, l'observance de la décharge et l'état du patient.

→ Donner des délais de cicatrisation au patient, quitte à faire des photos pour objectiver l'amélioration.

→ Toujours vérifier le pied contro-latéral.

→ Expliquer, encore et toujours expliquer le rôle de la décharge au patient et à l'entourage.

Point de vue...

« Faire respecter la décharge et pratiquer la détersion de l'hyperkératose »

Chloé Trial, médecin coordonnateur du réseau Plaie et Cicatrisation de Montpellier (Hérault)

« Dans le soins des plaies, le rôle fondamental des libérales est l'éducation du patient et le dépistage. Elles sont parfois les seules à regarder et à toucher les pieds du diabétique pour constater s'il est chaud, froid, enflé, présente des mycoses ou des zones d'hyperkératose. Elles peuvent expliquer que le diabète est la 1re cause d'amputation dans le monde et qu'on peut l'éviter. Ce serait déjà une grande avancée si les libérales arrivaient à faire respecter la décharge et faisaient la détersion de l'hyperkératose. Si elles ne décapent que l'hyperkératose, il n'y a aucun risque de faire saigner ! »

Point de vue...

« Il faut panser et penser l'autre »

Brigitte Lecointre, infirmière libérale (Nice) spécialisée dans le diabète et du réseau diabète Resdiab 06 (Alpes-Maritimes)

« Lorsqu'on panse, il faut penser la plaie et considérer l'individu dans sa globalité. Tout ce qu'on va mettre en place, les soins, la décharge, ne peut être fait que dans la négociation et l'écoute de l'autre avec sa peur et les perturbations de son image. J'avais une patiente pour laquelle les chaussures étaient le symbole de sa féminité or sa plaie nécessitait une Barouk. Elle avait compris l'importance de la décharge, mais n'aimait pas l'image qu'elle renvoyait avec cette chaussure. Elle ne pouvait se penser avec ces chaussures-là. On a donc décoré sa Barouk avec des fleurs montées sur des épingles à cheveux assorties à ses vêtements. Écoute active et sollicitude sont essentielles pour l'observance négociée. »

Point de vue...

« Que les infirmières viennent dans les services ! »

Chantal Crépieux, infirmière de la clinique du pied, service des maladies métaboliques du CHU de Montpellier (Hérault)

« Il est légitime d'avoir peur de décaper manuellement une plaie diabétique lorsque les compétences semblent manquer. Le pied diabétique nécessite une prise en charge multidisciplinaire, mais si davantage d'infirmières étaient formées, on pourrait faire sortir plus rapidement les patients dans un réseau de soignants avec juste une évaluation ponctuelle. Pour cela, il serait intéressant que les infirmières viennent dans les services voir comment nous procédons. Ainsi, elles seraient plus à l'aise face aux soins à domicile. »