Au bonheur des orgues - L'Infirmière Libérale Magazine n° 254 du 01/12/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 254 du 01/12/2009

 

MAINE-ET-LOIRE

Initiatives

Devenu infirmier, Bruno Maurel n'aura pas mis fin à sa passion pour cet instrument si particulier, l'orgue à tuyaux, qui peuple les églises de sa région. À la tête d'une association de sauvegarde du patrimoine et d'un festival mêlant musique et danse, il compose sa vie comme il l'entend.

Pas le temps de savourer les disques de musique classique éparpillés dans la voiture : ils passeront la matinée ballottés sur la banquette arrière. Chaque chose en son temps. Infirmier libéral depuis 1981 dans le secteur cosmopolite de Belle-Beille et du Lac de Maine à Angers, Bruno Maurel a opté depuis quinze ans pour une « clientèle assumable à une seule personne ». De quoi laisser aux deux associés « le temps de faire autre chose » et puis, fini les tracas pour trouver un remplaçant : au besoin, celui qui a travaillé le matin peut aussi assurer le service du soir.

Le portable sonne. C'est un patient : « Il ne vous est rien arrivé ? Je m'inquiétais pour vous. » Sous-entendu : vous êtes en retard... Les accents paternalistes du message amusent Bruno. En quelques minutes, il quitte la ville et, au bout d'un chemin de terre, voit surgir une jolie bâtisse : la dépendance d'un château perdue en plein bois. Changement de pansement pour son propriétaire, qui s'est blessé sur son chantier de rénovation.

La patiente suivante, myopathe, l'attend de l'autre côté de la ville. « Avec les travaux du tram, cela devient très difficile d'y aller. J'ai essayé de le lui faire comprendre mais cela fait quinze ans qu'on la soigne. Elle restera ma patiente la plus excentrée, tant pis. » Avant de descendre, Bruno enclenche le gyrophare posé derrière le pare-brise. Gagné de haute lutte : pendant dix ans, notre infirmier a été président départemental de la Fédération nationale infirmière (FNI), et c'est à ce titre qu'il a obtenu en 1988 un aménagement pour le stationnement de la part de la mairie : « Médecins et laboratoires en profitent... »

Respecter le silence

Bref retour au cabinet pour les consultations où chacun a ses fournitures étiquetées à son nom, dans l'armoire. Concentré, notre infirmier parle peu : « Si je sens que la personne est angoissée sur sa chimio ou sa maladie, on en parle mais je ne meuble pas. On n'est pas chez le coiffeur. »

Pour autant, les patients connaissent-ils son autre facette, celle de musicien, directeur artistique de festival et sauveur du patrimoine angevin ? « Si vous étiez venue au moment du festival du Printemps des Orgues, quand les articles paraissent dans la presse locale, c'est très différent, ça discute ferme... » Après un premier concert organisé en 1983 pour « sauver en quasi urgence un orgue du XIXe siècle sur lequel j'avais l'habitude de jouer, dans l'église Saint-Joseph d'Angers, initialement promise à la démolition », sa ténacité a abouti en 1992 à la création de l'association pour la connaissance, la sauvegarde et la promotion des orgues en Maine-et-Loire (CSPO). Dans l'élan, l'association CSPO lance l'année suivante la première édition du Printemps des Orgues, devenu depuis une véritable institution dans le paysage culturel de la région avec pas moins de 12 000 spectateurs annuels et des pointes à 1 500 auditeurs pour certains concerts. « Mes patients me posent des questions sur le programme, les interprètes et parfois me demandent de leur réserver des places. ».

À 14 heures, après un dernier cycle de visites qui se termine chez Jean, un nonagénaire qui lui stocke les journaux de la semaine pour sa revue de presse, l'infirmier enfourne le matériel médical dans l'appareil à stérilisation du cabinet : « Je suis pour tout ce qui fait gagner du temps. » Il laisse un message de transmission sur répondeur pour Nathalie, sa collègue. Et moins de quinze minutes plus tard, le premier appel sur son portable a changé de teneur : le service culturel de la ville de Saumur lui demande son avis sur le diagnostic de réparation du plus vieil orgue du Maine-et-Loire, celui de l'église Notre-Dame-de-Nantilly. La seconde journée peut commencer !

Un choix difficile

Parallèlement à ses études et à son activité d'infirmier, Bruno Maurel a toujours pratiqué la musique. Le piano d'abord, dès l'âge de 6 ans. Le temps que les jambes grandissent pour toucher les pédales... « J'avais 5 ans lorsque mes parents m'ont emmené à la messe de minuit. Il y avait beaucoup de monde, nous sommes restés au fond de la cathédrale. Juste en dessous des grandes orgues... C'était à Angers et c'est un souvenir inoubliable. » En 1972, Bruno Maurel est admis dans la classe d'orgues d'André Isoir au Conservatoire national de région (CNR) d'Angers jusqu'à l'obtention de son diplôme de fin d'études en 1986 et, en 1991, il décroche le premier prix d'orgue au CNR de Nantes.

Musicien ou infirmier, on devine que le choix n'a pas été évident à faire. Dans les années 1980, les deux passions se sont même fortement imbriquées... « Pour réaliser mon mémoire de fin d'études d'infirmier, sur la mère et l'enfant en Afrique, j'ai passé l'été de l'année 1980 au Mali : plus de 5 000 km en taxi brousse et des nuits à la belle étoile. J'y ai fait des rencontres formidables. »

Un peu plus tard, il part à deux reprises sur les traces du Dr Albert Schweitzer, le médecin missionnaire réputé pour son hôpital bâti dans l'actuel Gabon... Pas en Afrique, mais à Gunsbach, en Alsace, pour suivre un stage d'orgue dans le village natal du maestro ! Le pasteur et prix Nobel de la paix était en effet un organiste de talent, réputé pour ses travaux sur Bach. « J'ai pu jouer sur le pédalier que Schweitzer utilisait pour s'entraîner. Ses concerts en France servaient à récupérer des fonds pour son hôpital de Lambaréné. J'ai discuté avec deux de ses dernières infirmières, dont Ali Silver qui m'a dédicacé en 1984 le livre de Schweitzer intitulé À l'orée de la forêt vierge. J'ai ensuite beaucoup lu ses écrits. »

Marqué par son expérience au Mali, Bruno avait déjà fondé dès avril 1981 l'association aide médicale aux indigents de l'hôpital du Point G à Bamako avec le Dr Chabasse, médecin chef au service des maladies tropicales du CHR d'Angers, un ami infirmier, et la communauté des soeurs de Saint-François d'Assise chez qui les médicaments sont entreposés. La collecte marche à plein. « J'avais vu là-bas des médicaments en vente libre au marché, posés à même le sol. Et dans les couloirs des hôpitaux, des patients presque nus qui apportaient leurs propres produits pour se faire opérer. La filière d'approvisionnement n'est pas très fiable partout... Nous avons acheminé plusieurs tonnes de médicaments grâce au relais d'Aviation sans frontière. » Toujours intéressé par la médecine de brousse, il retournera en Afrique l'été 1984, pour une mission de jumelage entre Angers et Bamako destinée à améliorer l'accès des indigents aux soins. Un projet qui ne voit pas le jour, cette cible n'étant pas une priorité pour les autorités locales.

Un choix pour trois passions

Mais dès 1982 , le choix de Bruno est fait. Même s'il continue d'approfondir sa formation musicale et d'envoyer des médicaments au Mali, il opte clairement pour la profession d'infirmier en reprenant la clientèle du cabinet où il a effectué son premier remplacement un an plus tôt. La ville où il a grandi.

En habitué des lieux, Bruno grimpe un escalier étroit dans un renfoncement de la cathédrale d'Angers pour, chose rare, prendre le temps de jouer sur les grandes orgues. « Je ne joue plus assez : il fallait bien que je trouve du temps pour dormir ! », s'excuse-t-il. Dans ce décor sublime, Bruno parle avec passion du Grand Prix d'Orgue qu'il a créé il y a sept ans - rebaptisé en 2005 Jean-Louis Florentz - et parrainé par l'Institut de France. Mais il est surtout intarrissable sur le spectacle de clôture de la saison 2010, la création pour orgue et chorégraphique de L'anneau de Salomon de Beaupérin qui lui ressemble tant : « Le spectacle de clôture du 18 juin débutera à la cathédrale, puis nous sortirons accompagnés par des danseurs de rue vers le grand théâtre pour assister à la partie ballet et finir la soirée sur la place du théâtre transformée en village africain... »

Impatient de voir se réaliser le prochain festival, le directeur artistique bénévole ne regrette pas son choix professionnel : « Il n'y a qu'en étant infirmier que je peux partager ces moments de création. Si j'avais opté pour la musique, et seulement la musique, je n'aurais pas pu soigner en même temps. Et c'est aussi une passion. »

EN SAVOIR +

LE SITE WEB pour connaître les dates de concerts : . Le site propose aussi des fiches sur les orgues à tuyaux rénovées par l'association.

Pour toute demande d'adhésion à la CSPO, association loi 1901 reconnue d'intérêt général, contacter Bruno Maurel au 02 41 69 26 60 (fax-répondeur) ou par mail : acspo@wanadoo.fr.