Soutenir les couples - L'Infirmière Libérale Magazine n° 254 du 01/12/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 254 du 01/12/2009

 

Cahier de formation

Savoir faire

Anne et Damien P. entame une quatrième FIV, leur dernière. Damien vous confie qu'Anne ne va pas bien du tout. Lui non plus d'ailleurs mais il ne veut rien lui dire : déjà qu'elle subit les traitements ! Il n'en peut plus...

Prenez quelques minutes pour écouter Damien car il est rare que les hommes se confient sur le sujet. Expliquez-lui que tous les couples en démarche d'AMP connaissent des phases de découragement et que lui aussi a le droit de l'exprimer. Conseillez-lui de contacter le psychologue du centre où ils sont suivis ou une association.

LES RETENTISSEMENTS

Vie quotidienne

La vie quotidienne est investie par les traitements et les examens. Congés, sorties, trajets et injections rythment l'emploi du temps. Les traitements peuvent devenir une priorité unique pour le couple qui sacrifie le reste de ses occupations. Des pauses sont parfois souhaitables pour «prendre l'air», se reposer et se remotiver.

Vie professionnelle

Pendant les cycles de stimulation, concilier un travail prenant et le traitement peut être difficile. S'il n'existe aucune raison de modifier son rythme en général, des attestations de présence rédigées par le médecin donnent droit à des absences professionnelles. La difficulté étant le choix de mettre ou non au courant ses collègues. Les auto-injections permettent ainsi de limiter les absences.

Vie du couple

L'angoisse, les déceptions, le sentiment de culpabilité en cas d'infertilité unilatérale et les relations sexuelles programmées sont souvent à l'origine de tensions dans le couple. Ayant à coeur de préserver l'autre Chacun a tendance à cacher sa détresse. L'homme en particulier - qui ne subit pas les traitements - ne se sent pas légitime dans sa souffrance et peut faire l'amalgame avec sa virilité. Les conséquences sont diverses mais c'est en tous les cas une épreuve, souvent une crise et il n'est pas rare que le couple se sépare en chemin. Maintenir un dialogue et une vie de couple en dehors du traitement est essentiel. Quand le fardeau devient trop lourd, parler est la soupape nécessaire pour ne pas sombrer dans la dépression et pour préserver son couple.

Vie sexuelle

En théorie, rien n'empêche de garder une vie sexuelle normale et épanouie. En pratique, les rapports «médicalisés», l'abstinence obligatoire quelquefois et la culpabilité mettent à mal la spontanéité. Dans une FIV, quand la femme se trouve au bloc pour la ponction d'ovocytes, l'homme est au laboratoire pour un don de sperme... Les pauses dans le traitement permettent de se retrouver mais nombreux sont les couples qui avouent une baisse de libido, parfois irréparable.

Psychologies

Qu'elle dure quelques mois ou plusieurs années, qu'elle se solde par une naissance ou non, l'entrée dans le monde de l'assistance médicale à la procréation déstabilise l'individu en profondeur. L'annonce d'une difficulté à la conception renvoie à des sentiments de culpabilité, d'injustice et de stigmatisation par rapport au reste de la société.

Beaucoup de couples n'osent pas en parler, se sentent honteux. Les traitements, contraignants, et leurs effets indésirables génèrent à la longue un mal-être pour la femme qui les subit, et le conjoint qui se sent inutile.

Semés de sentiments contradictoires, d'espoirs, de déceptions, les parcours sont souvent décrits par les couples comme une «galère». Les ressources personnelles s'essoufflent au long des années et peuvent faire place à des épisodes dépressifs profonds, des difficultés sociales, professionnelles et jusqu'à des idées suicidaires.

LA PRISE EN CHARGE PSYCHOLOGIQUE

Que prévoit la loi ?

Même si ce n'est pas toujours le cas, un accompagnement psychologique doit être proposé à chaque couple au début de leur prise en charge médicale. En revanche, un entretien psychologique est obligatoire avant tout don de gamète.

Quand consulter ?

L'aide psychologique peut être systématiquement mise en place à la demande du couple mais cela reste rare : il doit déjà accepter de voir un médecin pour les aider à réaliser leur projet d'enfant, identifier en plus le besoin d'aide psychologique n'est pas évident. Pourtant un soutien peut s'avérer nécessaire pour passer certains moments clés :

→ l'annonce même d'un problème de fertilité : il faut déjà accepter le diagnostic, la différence et l'intrusion du monde médical dans un processus qui, chez les autres, est spontané ;

→ au moment des traitements : en particulier lors du recueil des ovocytes, une femme peut être angoissée (Combien aurai-je d'ovocytes ? Vont-ils être de bonne qualité ? Vais-je supporter l'anesthésie générale ?) ou après le transfert embryonnaire, pendant cette période d'attente de la «sentence» ;

→ au moment de renoncer à une technique ou au désir d'enfant ;

→ quand le couple bat de l'aile et qu'il faut une tierce personne car le dialogue devient difficile ;

→ à tout moment : quand l'un des partenaires, ou les deux, se sent au bout du rouleau. Il faut reconnaître les signes d'appel de détresse : perte de sommeil, d'appétit, d'énergie, comme une dépression, perte de la concentration au travail, idées monopolisées par les traitements. Et si le sentiment de dépression est récurent chez les couples, il faut surveiller le curseur et consulter quand cela devient envahissant, que ce n'est plus supportable seul, qu'on perd toute énergie pour un autre projet. L'idéal étant bien sûr de consulter avant.

À quel rythme ?

On peut voir un psy une seule fois, juste pour savoir si la prise en charge ultérieure est justifiée. Souvent un suivi à la carte se met en place : une fois, deux fois, quelques fois, toutes les semaines... C'est très variable selon les couples et les périodes.

À qui s'adresser ?

→ À un psychologue ou un psychiatre dans le centre de procréation où le couple est suivi, en libéral ou au sein d'une association.

→ À une association de patients et/ou de professionnels dédiés à l'assistance médicale à la procréation.

→ Au médecin qui suit le couple et qui pourra leur offrir une écoute si besoin et les orienter vers un autre professionnel si besoin.

Point de vue...

« Il faut offrir des lieux de soutien, d'écoute et de parole aux couples »

Sylvie Bunford, ancienne sage-femme en centre d'AMP, fondatrice de l'association nantaise AMPhore

« Lorsque je travaillais à l'hôpital, je savais que nous manquions de temps : les couples ne pouvaient pas se confier ni laisser aller leurs émotions, la salle d'attente était pleine... Or ces couples souffrent, l'AMP envahie leur vie sociale et ils se sentent stigmatisés par rapport à une société où l'enfant est roi. C'est pour leur offrir ce temps d'écoute que j'ai créé l'association AMPhore en 2001. Il ne faut pas attendre d'être en traitement depuis des années pour avoir besoin de soutien. Dès l'annonce d'une difficulté, majeure ou non, il y a un sentiment de culpabilité et une question : « Pourrons-nous être parents un jour, en avons-nous le droit ? » Se confier à une tierce personne est parfois nécessaire : l'infirmière peut également jouer un rôle important en abordant tous les sujets qui préoccupent ces couples. »