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PILOTE > Présenté lors du Salon infirmier à Paris, le projet de la Maison de soins infirmiers, initié par des infirmières libérales du Calvados, bouscule la pratique de prise en charge de patients atteints de maladies graves ou chroniques. L'innovation pourrait faire des petits...
«L' évolution des techniques de soins et des matériels peut désormais permettre à des infirmières libérales de prendre en charge, dans leur cabinet, des patients atteints de maladies graves ou chroniques dans les mêmes conditions qu'à l'hôpital. » Tel est, en 2004, le constat fait par Nadine Delevoye, infirmière libérale installée à Ifs, après avoir exercé pendant onze ans à l'hôpital. Concomitamment, l'Union régionale des caisses d'Assurance maladie (Urcam) lance une campagne visant à soutenir des expériences innovantes de prise en charge imaginées par des soignants libéraux. « Nous leur avons soumis notre projet. Il consistait, modestement, à effectuer des prélèvements sur site veineux - à l'époque, peu d'infirmières libérales maîtrisaient cette technique - et des perfusions d'immunoglobuline. Actes déjà faisables à domicile mais pas toujours réalisables du fait de l'environnement du malade. L'Urcam nous a suivies et a financé une partie de l'achat du matériel nécessaire », relate Nadine Delevoye. Dans la foulée, les infirmières prospectent les établissements publics et privés locaux. Très vite, les premiers patients leur sont adressés, notamment pour des antibiothérapies, d'autant que l'expérimentation a obtenu un coup de pouce inattendu de la Caisse primaire d'Assurance maladie (CPAM) de Caen. En effet, cette dernière a accepté à titre dérogatoire le remboursement des frais de déplacements des patients à la structure : « Une première historique », se félicite Nadine Delevoye. Puis, en décembre 2004, paraît le décret autorisant la chimiothérapie à domicile. « Cela nous a évidemment ouvert des perspectives que nous n'avions pas envisagé au départ », confirme-t-elle.
Pourtant, sur le terrain, des divergences syndicales se font jour. Des infirmiers libéraux arguent que leurs collègues bénéficient de fonds publics pour financer une activité privée. Les tutelles demandent alors aux infirmières de créer un réseau de soins et de faire appel à la dotation régionale de développement des réseaux (DRDR). « Sur le fond, cela ne changeait pas grand-chose, même si cette forme juridique était plus complexe à monter », indique Nadine Delevoye. C'est ainsi que naît le réseau CSIL pour «Coordination des soins infirmiers lourds». Les fonds de la DRDR, alloués en 2006 pour trois ans, permettent de salarier une infirmière de coordination à mi-temps et une femme de ménage. « Nos objectifs n'ont pas varié : limiter la durée de séjour à l'hôpital, dispenser des soins techniques dans les mêmes conditions de sécurité et de qualité qu'à l'hôpital et réduire les coûts de la santé. »
Après avoir reçu le premier traitement à l'hôpital, en présence de l'infirmière coordinatrice, les patients sont orientés vers Ifs sur prescription médicale. Les salles de soins peuvent accueillir cinq patients simultanément (trois fauteuils et deux lits). Le but de cette prise en charge coordonnée est également d'améliorer la qualité de vie des patients. « C'est au coeur de notre projet, insiste Nadine Delevoye. Par exemple, le temps de présence du patient correspond au temps réel du soin. » Aujourd'hui, cette expérience permet d'effectuer chimiothérapie, immunothérapie, dialyse péritonéale et corticothérapie. « Aucun des patients accueillis n'a souhaité retourner à l'hôpital », relève l'infirmière. Pour des raisons administratives, CSIL doit à nouveau se transformer. Courant janvier, l'Agence régionale de santé (ARS) devrait valider la convention signée entre le CHRU de Caen et les infirmières dans le cadre d'un groupement de coopération sanitaire (GCS). Une autre première. « Sans le savoir, nous avons créé une nouvelle forme de pratique infirmière libérale, note Nadine Delevoye. Une expérience que nous sommes prêtes à partager avec nos collègues de France et de Navarre ! »
Annick Touba, présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil)
« Certains collègues ont pu ressentir ce projet comme de la concurrence déloyale. À y regarder de plus près, il n'en est rien : la prise en charge proposée y est spécifique et réclame un investissement en temps et en matériel que n'offrent pas les autres cabinets locaux. C'est d'ailleurs pour cette raison que le Sniil a avisé l'Urcam de son soutien officiel au projet. Ce soutien nous semble d'autant plus justifié que la libérale qui anime ce projet est très expérimentée en matière de prise en charge de patients cancéreux. Soulignons que le cabinet infirmier existait avant la mise en route du projet et que les subventions publiques accordées via le Fonds d'intervention pour la qualité et la coordination des soins (Fiqcs) n'ont servi qu'à financer les investissements liés au projet. Aujourd'hui, les tutelles locales demandent que la forme juridique de la Maison de soins infirmiers évolue dans le cadre d'un groupement de coopération sanitaire, mais le fond du projet, lui, n'est pas remis en cause. Aux détracteurs, je veux dire que rien ne les empêche de monter, eux-mêmes, des projets de ce type. Le Sniil les soutiendra aussi... »
Xavier Blaizot, Ingénieur en chef à la direction de la stratégie du CHRU de Caen
« Nous n'avons aucun doute sur la qualité des soins et de prise en charge offerte par la Maison de soins infirmiers (MSI). C'est d'ailleurs sur cette base et avec l'objectif de réduire les coûts de la santé - une réalité qui s'impose aujourd'hui à l'ensemble des établissements - que le CHRU a signé, il a trois ans, une convention avec cette structure. Il y a quelques mois, l'Agence régionale de l'hospitalisation a souhaité que la forme juridique de cette collaboration évolue dans le cadre d'un groupement de coopération sanitaire (GCS), en y conditionnant la reconduction de ses subventions. Nous allons donc soumettre une nouvelle convention aux différentes instances de notre établissement. Charge ensuite à la MSI de déposer un nouveau dossier de demande de subvention à l'ARS. Sachant, à terme, que la MSI devrait être financièrement autonome. C'est une entité indépendante dans laquelle le CHRU n'est pas majoritaire. En revanche, toutes les décisions ayant trait à la prise en charge des patients devront être prises à l'unanimité des partenaires. En marge, signalons que ce projet est soutenu par l'Institut national du cancer. »