L'Infirmière Libérale Magazine n° 255 du 01/01/2010

 

INSTALLATION RÉGULÉE

Votre cabinet

Restreindre l'installation : un casus belli, aurait-on pu penser dans un milieu libéral. Les quatre syndicats représentatifs ont pourtant signé l'avenant conventionnel qui officialise un dispositif de régulation transitoire, valable pendant deux ans. Huit mois après son application, l'heure des premiers retours du terrain.

La première conséquence des nouvelles règles d'installation des infirmières libérales, effectives depuis le 18 avril dernier, s'est constatée... les mois qui ont précédé l'application de ce nouveau dispositif (cf. Dossier dans ILM n°249) ! Difficile toutefois d'avoir le chiffre des infirmières qui ont franchi le pas de l'installation les premiers mois de cette année, même si, pour un outil qui était censé réguler l'offre de soins infirmiers, cela peut paraître paradoxal.

Effet d'annonce ?

Ghislaine Meillerais, infirmière en Loire-Atlantique et vice-présidente du Sniil(1), a constaté cet afflux d'installation sur sa région et principalement sur les zones dites intermédiaires ou sur-dotées en infirmières. Même observation en Bretagne, dans le Var où Chantal Devaux, présidente (FNI)(2) de la commission paritaire départementale en charge des demandes d'installation, parle d' « effet d'annonce », ou encore dans l'Hérault. « Entre janvier et avril, nous avons vu beaucoup d'installations, observe ainsi Éric Basilana, membre (Onsil)(3) de la commission paritaire de ce département et de la commission régionale Languedoc-Roussillon. Avec cette date butoir du 18 avril, à partir de laquelle les installations en zones sur-dotées étaient conditionnées au départ d'une infirmière, des infirmières qui hésitaient se sont lancées. La question est de savoir si elles vont pouvoir tenir, même si, contrairement à la Sécurité sociale, nous disons que l'offre de soins est dense parce que la demande de soins est importante... » Pour les autres représentants syndicaux, cet afflux d'installations justifie encore plus la mise en oeuvre d'un système de régulation. « Beaucoup de remplaçantes et collaboratrices se sont installées inopinément depuis plusieurs années : nous demandions donc une restriction », remarque, parmi d'autres, Philippe Parrot, président de l'Onsil Bretagne.

Et depuis ? Dans l'Hérault, le rythme des commissions paritaires montre très clairement que le département continue d'être attractif pour les libéraux. D'après les chiffres 2007 fournis par l'Union régionale des caisses d'Assurance maladie (Urcam), la densité y dépasserait les 200 infirmiers pour 100 000 habitants, quand la moyenne nationale est de 90. L'Hérault compte 22 zones considérées comme sur-dotées (à titre de comparaison, la Sarthe en totalise une). D'après Patrick Ferrandes, président de la section professionnelle(4) au sein de cette commission et président du Sniil départemental, une réunion se tient chaque mois. Lors de la dernière réunion, 17 demandes d'installation ont été traitées. Éric Basilana, quant à lui, estime à 22 le nombre de dossiers présentés par la Caisse primaire d'Assurance maladie (CPAM) à la commission entre juin et octobre. Parallèlement, on apprend, en consultant le site dédié de l'Assurance maladie(4), qu'au 4 décembre dix infirmières libérales exerçant sur l'une des zones sur-dotées dépendantes de la CPAM de Montpellier ont déclaré cesser leur activité entre mai 2009 et janvier 2010. Le principe étant un départ pour une arrivée, comment la régulation de l'offre de soins va-t-elle devenir effective ?

Compatibilité géographique

D'abord, il faut qu'il y ait compatibilité géographique entre la demande et le départ. Pour Éric Basilana, « il existe souvent un décalage entre un départ sur telle zone et une demande sur telle autre ». Ensuite, comme le souligne Chantal Devaux qui suit ce dossier dans le Var pour la FNI, « il n'existe pas de vase communicant entre une demande et un départ. Plus précisément, cela signifie qu'il ne suffit pas d'être en haut de la pile pour avoir une place qui se libère. Le projet professionnel de l'infirmière qui demande à s'installer est évalué par la commission. Il va faire la différence entre plusieurs demandes. Si l'infirmière veut rejoindre un cabinet, fonctionnant déjà avec une organisation du travail, ayant développé un travail en réseau, sa demande sera plus argumentée. Mais, il faut pour cela réussir à parler de ses compétences, quand on voit souvent davantage de motivations personnelles, liées à la vie de famille, que professionnelles ».

Recours à des remplaçantes

L'avenant 1 spécifie ces conditions dans son paragraphe 1.3.1 d : « [l'infirmière] précise les possibilités d'intégration de son activité au regard des professionnelles déjà installées dans la zone considérée ». Cela peut se concrétiser par l'intégration dans un cabinet de groupe ou par la reprise d'un cabinet. Dans cette logique, une prime à l'installation est accordée à la professionnelle qui aura déjà effectué des remplacements. L'avenant ajoute même : il convient « d'ouvrir la possibilité aux infirmières remplaçantes qui ne remplissent pas complètement les conditions fixées au point b de l'article 5.2.2 de la convention nationale de s'installer en libéral sous convention »(5). Pour cela, il faut justifier au moins douze mois (de façon continue ou non) de remplacement dans un cabinet de la zone visée et, bien entendu, prendre la place d'une consoeur cessant définitivement son activité. Une condition stricte, comme en atteste Hélène Le Hir, membre (FNI) de la commission départementale du Finistère : « Récemment, quelques remplaçantes ont demandé leur conventionnement mais il leur a été refusé car aucune collègue ne partait. » Une anomalie sans doute du dispositif puisque, dans le même temps, l'avenant 1 ne prévoit aucune restriction quant au recours à de nouvelles remplaçantes, qui, il est vrai, ne sont pas censées (en théorie du moins) entraîner une augmentation de l'activité... Ce recours représente une souplesse dans un système qui peut devenir préjudiciable pour certaines professionnelles.

« Prenez un cabinet en zone sur-dotée avec sept ou huit infirmières exerçant à temps très partiel, expose ainsi cette infirmière qui exerce à Quimper. Ce cabinet pourra très bien augmenter son volume d'activité en travaillant davantage. Maintenant, prenez un cabinet plus petit, avec trois infirmières exerçant, elles, à temps complet. Elles ne pourront pas accueillir une nouvelle associée pour faire face à un développement de leur patientèle ou pour réduire justement leur activité. Elles sont coincées. En revanche, elles pourront recourir à une remplaçante. »

(1) Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux.

(2) Fédération nationale des infirmiers.

(3) Organisation nationale des syndicats d'infirmiers libéraux.

(4)

(5) 24 mois de temps plein au sein d'un établissement de soins.

Anomalies ou débuts de la régulation ?

On fustige les critères utilisés pour le zonage. La démographie ? Dépassée ! « Les zones ne tiennent pas compte de l'afflux de retraités dans l'Hérault », considère Éric Basilana. Les territoires découpés ? En décalage avec la réalité ! Chantal Devaux cite cet exemple : une rue, avec d'un côté Toulon et de l'autre La Garde, soit deux zones différentes. Si une infirmière veut déménager son cabinet d'un côté à l'autre, elle ne pourra pas car La Garde est considérée comme sur-dotée et Toulon non... Ce zonage va-t-il entraîner une augmentation des cabinets fictifs ? Autre dérive possible : une inflation des clientèles dans ces zones sur-dotées. Les commissions et les caisses étant sensibles à l'intégration de la demandeuse, un système de cooptation émerge. Les infirmières souhaitant s'installer se rapprochent de la consoeur sur le départ. Quand la seule possibilité de travailler sur telle zone passe par cette démarche, la place pourrait revenir au plus offrant ! Mais certains pourront être tentés de s'installer dans la zone voisine et de travailler au-delà...

À retenir

- Pour voir sa demande d'installation en zone sur-dotée acceptée, mieux vaut avoir exercé sur le secteur au sein d'un cabinet.

- Il faut prêter une grande attention au projet professionnel présenté à la CPAM avec sa demande d'installation.

- Le dispositif de régulation de l'offre de soins infirmiers sera renégocié en 2011.

- La notion de bassin de vie, retenue pour définir ces zones, pourrait être revue ; on privilégierait alors plutôt celle de territoire de santé.