L'Infirmière Libérale Magazine n° 256 du 01/02/2010

 

POLITIQUE DE SANTÉ

Actualité

GRIPPE A/H1N1 > Chaque crise sanitaire réserve son lot de crises politiques : la gestion de la pandémie n'échappe pas à la règle. L'Assemblée nationale s'est donc penchée sur la question le 12 janvier dernier lors de la commission des affaires sociales.

«Fiasco », « mensonge gouvernemental »... Les critiques sur la façon dont le ministère de la Santé et le ministère de l'Intérieur ont géré la pandémie H1N1 en France fusent de toutes parts. Y compris du côté de ceux que l'on pouvait imaginer enclins à soutenir le gouvernement, à l'instar de Bernard Debré, député UMP de Paris et médecin qui, dès fin juillet, dénonçait une « surmédiatisation politique » et parlait d'une « grippette sans danger ».

Si aujourd'hui le gouvernement ironise, se demandant ce que l'on aurait entendu si aucun plan d'envergure n'avait été mis en place dès le début de la menace pandémique, force est de reconnaître que bon an mal an, les critiques perdurent depuis l'été. Leur écho, cependant, a pris plus d'acuité depuis que l'on connaît la réalité des choses : l'ampleur de l'épidémie s'est révélée bien en deçà de ce qui avait été prévu, sa dangerosité est plus que limitée et la campagne de vaccination n'a pas séduit les foules.

En juillet, face à la menace du virus, l'État français décide de commander 94 millions de doses de vaccins aux quatre laboratoires pharmaceutiques qui ont investi ce champ : GSK, Baxter, Novartis et Sanofi-Pasteur.

Vacciner plus de 70 % des Français

À l'époque, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) préconise deux injections à trois semaines d'intervalle par personne. L'État entend donc vacciner 47 des 65 millions de Français, soit plus de 72 % de la population, et ce, alors que la plupart de nos voisins, tels que l'Allemagne, tablent sur une vaccination de 30 à 35 % de leur population. Si rien ne justifiait a priori un tel volontarisme - Roselyne Bachelot évoque un « choix éthique » -, aux yeux de la députée socialiste Catherine Lemorton, un autre problème se posait : « Comment vacciner deux fois 47 millions de personnes sur une période de cinq mois, à moins de délaisser les malades, de laisser mourir les gens d'autres pathologies ? » Pour elle, la France ne disposait pas d'un nombre suffisant de professionnels de santé pour mener à bien cette campagne de vaccination. Les dés sont donc, dès juillet, pipés. « Il était d'entrée de jeu impossible d'utiliser tous ces vaccins », assène-t-elle. Et de fustiger une circulaire du ministère de l'Intérieur datant du 21 août 2009 qui prévoit que chaque agent vaccinateur doit procéder à une injection toutes les deux minutes*.

La campagne se poursuit

Bien que la ministre de la Santé considère que « l'heure des bilans n'a pas encore sonné », elle a néanmoins dû justifier ses choix face à la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale le 12 janvier dernier.

Trois heures durant, Roselyne Bachelot a répondu à des députés réclamant des explications : oui, elle a commandé 94 millions de doses ; oui, si les choses étaient à refaire, elle prendrait les mêmes décisions. Droite dans ses bottes et assurée du soutien de Nicolas Sarkozy qui, la veille, à l'occasion des voeux aux personnels de santé à Perpignan (cf. p.10), avait estimé qu'elle avait « pris les décisions qui s'imposaient », Roselyne Bachelot continue à appeler la population à se faire vacciner. Avec 5,5 millions de Français vaccinés, « la population à ce stade n'est pas assez protégée », considère-t-elle. Raison pour laquelle le ministère de la Santé a finalement changé de braquet et permet aux médecins libéraux, depuis le 12 janvier, de vacciner leurs patients au sein de leur cabinet. Un changement de cap que les professionnels ont mal pris.

Après les avoir accusés de ne pas savoir respecter la chaîne du froid, après avoir sciemment contourné le parcours de soin et réservé la vaccination aux centres prévus à cet effet, voilà que l'on se décide à faire appel à eux... La ministre explique que, jusque-là, les vaccins étaient conditionnés en flacons de dix doses, difficiles à utiliser en cabinets. Or l'État aurait obtenu des laboratoires un conditionnement de près de six millions de vaccins en monodoses. Les médecins peuvent donc s'associer à «l'effort de guerre». Jusqu'à début mars, ils participeront à la campagne de vaccination avec les centres ; après quoi, jusqu'en septembre, ils seront « seuls aux commandes », explique la ministre.

Les députés s'emparent du sujet

Il n'en demeure pas moins que la France a toujours trop de vaccins. Le gouvernement a donc décidé de résilier pas moins de 50 millions de doses et a entamé des négociations avec les différents laboratoires de manière à « faire supporter la dépense la plus faible possible à nos concitoyens ». La France n'aurait pas prévu de clause de désengagement dans les contrats passés avec les labos : ces derniers ont donc la possibilité de réclamer des dédommagements. Mais, assure Roselyne Bachelot, « toutes les garanties sont prises pour que le dénouement soit conforme au droit et aux intérêts financiers de l'État, que je défendrai âprement ».

Pour le reste, la France a pu vendre 300 000 doses au Qatar et 80 000 à Monaco. En revanche, l'Égypte a finalement renoncé à acheter une partie du stock de la France. La ministre évoque par ailleurs des contacts pris avec des pays d'Amérique du sud notamment. Quoi qu'il en soit, avant même que la France ne soit parvenue à se dépêtrer de sa gestion problématique de stocks de vaccins, l'Assemblée nationale devrait avoir ouvert une commission d'enquête ou une mission d'information sur la gestion de la pandémie, a fait savoir Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales.

*Planification logistique d'une campagne de vaccination contre le nouveau virus A/H1N1, circulaire du ministère de l'Intérieur, datée du 21 août 2009.

La théorie du complot ?

La commission santé du Conseil de l'Europe a décidé de mener son enquête sur le rôle joué par les laboratoires pharmaceutiques dans la gestion de la pandémie A/H1N1. Selon le médecin allemand Wolfgang Wodarg, membre de cette commission, rien ne justifiait les différentes recommandations émises, notamment par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS). Il accuse ainsi un groupe de personnes à l'OMS d'être « associé de manière très étroite à l'industrie pharmaceutique ». Et s'en prend aux laboratoires qui ont développé des vaccins en utilisant des produits brevetés nouveaux, plutôt que de procéder avec des méthodes plus traditionnelles, moins coûteuses et qui ont fait la preuve de leur efficacité.