LES NOUVEAUX OUTILS DE TORTURE SONORE ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 256 du 01/02/2010 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 256 du 01/02/2010

 

Baladeurs MP3 :

Le débat

D'ici l'été, la Commission européenne devrait légiférer pour limiter le volume des baladeurs. Une initiative jugée utile mais insuffisante.

Yves Cazals

Directeur de recherche à l'Inserm

Membre du Comité scientifique des risques sanitaires émergents et nouveaux de l'Union européenne (CSRSEN)

Que sait-on de la façon dont les gens utilisent leurs baladeurs ?

On estime que 80 à 90 % les utilisent de façon raisonnable. Ce qui laisse entre 10 et 20 % d'utilisateurs qui se mettent en danger. Mais les données sont difficiles à établir car, lorsqu'on demande aux jeunes à quel volume ils écoutent leur baladeur et combien de temps ils le font par jour, ils ont tendance à minimiser les choses.

La Commission européenne doit étudier la possibilité de limiter le volume des baladeurs à 85 décibels. Est-ce une bonne façon de gérer le problème ?

Tout ne se résume pas à cela. Il faut aussi comprendre que le temps d'exposition est une donnée essentielle. En revanche, la provenance et la nature du son ne changent rien quant à la nocivité sur l'oreille. Qu'il s'agisse de la musique diffusée dans les boîtes de nuit, du volume sonore dans les salles de concert, du bruit au travail ou des baladeurs MP3, ce qui importe, c'est vraiment le nombre de décibels et le temps d'exposition.

Qu'en est-il de la réglementation aujourd'hui ?

Les seules données dont on dispose concernent le bruit au travail. Aujourd'hui, si vous êtes exposé à 85 décibels pendant huit heures par jour, votre employeur doit vous proposer des protections, des bouchons d'oreille par exemple. Si le volume est de 88 décibels, alors le temps d'exposition ne doit pas dépasser quatre heures.

Que préconisez-vous ?

Dans le rapport que le CSRSEN a publié en 2008, nous avions clairement dit qu'il ne fallait pas de plafonnement du volume des baladeurs, comme l'a fait la France dès 1998. C'est une mesure trop coercitive qui ne règle rien. En revanche, les industriels doivent travailler sur cette question. Nous avions par exemple émis l'idée d'un voyant rouge qui s'allumerait sur l'appareil au-delà d'un certain temps d'utilisation. Ce à quoi doivent s'ajouter des campagnes de prévention. Il faut dire aux jeunes que les problèmes auditifs qu'ils peuvent développer seront irréversibles, qu'avoir la sensation «d'oreilles dans le coton», par exemple, est un signe à prendre au sérieux.

Bertrand Furic

Président de l'association Agi-son

Directeur de la salle de concert Le Brise Glace, à Annecy

Que sait-on de la façon dont les gens utilisent leurs baladeurs ?

On n'en sait rien. Mais nous avons créé Agi-son pour sensibiliser les gens. Il se trouve qu'il s'agit là d'un sujet sensible, qui touche à la liberté individuelle. Il faut donc que l'information la plus précise possible soit donnée aux utilisateurs. Alors que pendant des années on avait travaillé à une amélioration de la qualité de ce que l'on entend, voilà que l'on crée un support - les baladeurs MP3 - qui constitue une vraie régression en termes de qualité sonore, avec un standard de compression qui dénature le spectre du son. On uniformise les sons diffusés dans les oreilles de nos jeunes et, ce faisant, on trahit l'oeuvre. Il y a donc là un double problème.

La Commission européenne doit étudier la possibilité de limiter le volume des baladeurs à 85 décibels. Est-ce une bonne façon de gérer le problème ?

C'est une solution de facilité. Il est vrai que cela limiterait les risques mais, en même temps, on sera tenté d'appliquer la même mesure aux salles de concerts par exemple. Or il y a des instruments de musique qui, par nature, dépassent les 85 décibels, comme la batterie. Cela pose donc le problème de la censure artistique. Un enfant qui joue du trombone dans un orchestre est exposé aux mêmes dangers qu'un jeune qui écoute trop son baladeur.

Que préconisez-vous ?

Il faut informer les jeunes. Les discothèques et les salles de concert doivent être mieux pensées du point de vue architectural et acoustique. Cela vaut aussi pour les cantines scolaires où règne constamment un bruit assourdissant. S'agissant des baladeurs, les nouveaux formats de compression sollicitent trop l'oreille. Si vous avez une consommation de durée raisonnable avec du bon matériel et que vous écoutez des CD plutôt que des MP3, vous courez moins de risques.

Que faire en matière de prévention ?

Les infirmières scolaires ont un rôle important à jouer si elles veulent s'emparer du sujet. Agi-son travaille d'ailleurs avec elles dans les collèges pour sensibiliser les enfants sur ces sujets. Nous venons en outre de sortir un DVD*, en partenariat avec le ministère de la Santé et l'INPES notamment, sur la question des risques auditifs liés aux pratiques et à l'écoute des musiques amplifiées. On y parle de la physiologie de l'oreille, de la réglementation, d'acoustique, entre autres.

*Hein ? Sensibilisation aux risques auditifs liés à la pratique et l'écoute de la musique. DVD en vente 25 euros, sur le site de l'association .