BOUCHES-DU-RHÔNE
Initiatives
Infirmière libérale dans les massifs de la Drôme, Annyck Wostyn aime voguer par monts et par vaux. Elle oeuvre depuis des années en Mongolie, pays situé sur l'ancienne route de la soie, au sein de Santé Sud, une ONG basée à Marseille qui mise sur la devise «Agir sans remplacer».
Un punch incroyable ! À 63 ans, Annyck Wostyn semble ne jamais s'arrêter. Installée dans la Drôme à RecoubeauJansac, un petit village perché à 500 mètres d'altitude qui compte quelque 233 habitants, cette infirmière libérale trouve rarement le temps long... Ses va-et-vient sur les routes sinueuses du Diois, lorsqu'elle se rend au chevet de ses patients, l'occupent déjà beaucoup. « C'est du bonheur de voir ces beaux paysages en allant travailler », sourit-elle. Pour autant, ce n'est pas une raison suffisante pour sombrer dans la routine.
Depuis la création de son cabinet en 1974, elle garde la même philosophie : « Je ne veux pas faire des actes à la chaîne, mais plutôt prendre le temps auprès des patients, explique-t-elle. Si je vis dans une région merveilleuse, ce n'est pas pour travailler comme une dingue ! »
Ainsi, quand les besoins de recruter une consoeur se sont fait sentir, Annyck s'est-elle montrée vigilante vis-à-vis des candidates, quitte à « filtrer les personnes qui n'avaient la même philosophie ». Aujourd'hui, l'équipe comprend huit infirmières. Regroupées en société civile de moyens (SCM), elles couvrent deux cantons, ceux de Luc-en-Diois et de Châtillon-en-Diois. De quoi parcourir bon nombre de kilomètres !
Mais, pour Annyck, il n'est pas question de sacrifier sa vie personnelle. Elle gagne certes « moins que la moyenne des libérales », mais elle s'en satisfait. Son roulement ne dure en effet que dix jours par mois. « Je commence très tôt le matin puis j'arrête vers 13 ou 14 heures, détaille-t-elle. Je reprends vers 16 h 30 pour finir à 21 heures. » Quant aux quelque vingt autres jours du mois, Annyck a largement de quoi les remplir.
À commencer par son bénévolat au sein de Santé Sud, une ONG qui oeuvre à « l'amélioration de la santé des plus vulnérables ». Après en avoir assuré la fonction de présidente de 2001 à 2006, elle porte aujourd'hui la casquette de vice-présidente. Mais, au-delà de ses titres, elle aime surtout participer aux opérations de terrain. La dernière en date remonte à l'automne 2009 en Mongolie, pays d'Asie centrale qu'elle a découvert en 2003 et où elle retourne régulièrement dans le cadre de projets menés, entre autres, dans la province du Sélengué, au nord d'Oulan Bator à la frontière de la Russie.
Le grand défi que l'ONG Santé Sud entend relever sur place, aux côtés des acteurs locaux, vise à mener un projet sanitaire, suite à la demande formulée par le ministère de la Santé de Mongolie. Les principaux besoins constatés relèvent de la formation, de l'organisation et du matériel. « Nous les aidons à trouver les financements locaux et internationaux, commente Annyck Wostyn. Ensuite, nous voyons ensemble comment procéder. Nous n'intervenons pas sur toutes les problématiques. Les acteurs locaux ont par exemple choisi d'assurer la formation en éthique et en langues - l'apprentissage d'une langue étrangère est obligatoire dans les écoles d'infirmières. En revanche, c'est Santé Sud qui s'occupe de la formation en soins infirmiers, en laboratoire, en cancérologie, en urgences et en pédiatrie. »
Reste ensuite à lancer les actions. Si la volonté est là, la mise en oeuvre semble parfois plus complexe... Et toutes les connaissances accumulées en Occident ne suffisent pas à résoudre tous les problèmes. Annyck en est consciente. En mars, elle y conduisait une session de formation, notamment pour réviser les injections, la pose de sondes, la manutention et l'hygiène. « Les principes sont très bien mais ils ne servent parfois à rien si l'on n'a pas les moyens de les appliquer ! En effet, c'est bien beau de dire qu'il faut se laver les mains, mais encore faut-il que tous les hôpitaux aient l'eau courante », s'exclame Annyck. Photos à l'appui, elle garde en mémoire les lavabos flambant neufs qu'elle avait vus dans un établissement avant de s'apercevoir quelques minutes plus tard que l'eau n'arrivait pas au bout du goulot depuis un « certain temps »... « J'ai croisé deux personnes en train de porter des seaux dans les escaliers », sourit-elle. Désormais, elle ne se fie plus à ce qu'elle voit. D'où l'intérêt de travailler constamment en binôme avec une professionnelle locale.
Autre exemple du genre : les pansements. Que faire lorsque les soignants n'ont qu'une seule boîte de pinces ? « Il a fallu discuter longtemps pour arriver à la conclusion qu'il vaut mieux faire les pansements par ordre de propreté que par ordre d'arrivée. » La réalité du terrain amène toujours de nouveaux questionnements... Si bien qu'Annyck tâche de ne pas s'arc-bouter sur de grands principes enseignés dans les écoles et évite d'avoir des idées trop arrêtées. D'autant que ses consoeurs mongoles lui ont, elles aussi, « beaucoup apporté ». Elle a notamment « appris à être beaucoup plus dégourdie avec [ses] propres patients ». Pas de lit médicalisé ? Pas grave, on peut s'accommoder du mobilier de maison. « Il suffit de faire preuve d'imagination », s'amuse Annyck.
Si son diplôme d'infirmière lui a ouvert les portes de l'humanitaire, il n'est cependant pas l'unique «sésame» qui lui a permis de partir si souvent en mission - à raison d'une à deux fois par an depuis 1992 ! Les multiples cursus qu'elle a suivis ont sans doute pesé dans la balance. Difficile d'étaler tout son curriculum vitae entre deux années de médecine, un diplôme universitaire (DU) en médecine tropicale, un DU en médecine des catastrophes, une formation au Samu et un DU en analyse et gestion des pratiques de soins. Ce dernier diplôme lui a d'ailleurs été fort « utile en Mongolie pour participer à l'élaboration des projets de soins »...
Annyck distille ses «quelques» diplômes au gré de la conversation, sans trop y prêter attention : ce parcours lui semble une évidence. À tel point qu'elle envisage une nouvelle formation. « En arrivant à la retraite, je pense que je serai à peu près formée », lance notre infirmière.
Malgré son éternel apprentissage, Annyck n'a rien d'une bleue. Elle connaît l'humanitaire et n'est pas dupe des travers que cela comporte. Entre la noble volonté de «faire avec» les acteurs locaux - et non «à leur place» - et les exigences des bailleurs de fonds (qui financent une action prédéterminée, faisant parfois bien peu de cas des besoins exprimés par le public concerné), il faut en effet savoir transiger...
De même, sur le terrain, les difficultés existent. Annyck a pu l'expérimenter en Mongolie : « Ce sont les hôpitaux qui choisissent les personnes qui peuvent suivre les formations que nous dispensons. Cela peut nous limiter », admet-elle, pensant notamment à un cadre administratif qui n'avait aucun contact avec les malades mais qui avait tenu à occuper une place dans une formation dédiée aux infirmières...
Depuis 1966, année où elle a obtenu son DE, Annyck a parcouru bien du chemin. Dès 1968, « juste après les événements de mai », elle avait plié bagage pour la Côte d'Ivoire avec une association lyonnaise. Nommée responsable d'un dispensaire, elle y aura passé trois années. Inoubliables sans doute. Mais difficiles aussi. De retour en France, elle fait une « pause pendant dix-sept ans ». Le temps d'avoir ses cinq enfants... Mais l'envie de repartir est toujours là. Ce qui l'amène rapidement à s'embarquer dans l'aventure de l'ONG Santé Sud.
Aujourd'hui, elle ne regrette pas tout ce temps passé à l'étranger. Ce qu'elle a gagné ? « La tolérance », affirme-t-elle sans hésiter. Elle prépare d'ailleurs déjà son prochain voyage en Mongolie : il aura lieu dès 2010, cette fois dans la région d'Arkhangaï.
Fondée en 1984, l'ONG Santé Sud tente de faire de l'humanitaire sanitaire sans sensationnalisme. Son leïtmotiv étant, non pas d'apporter des réponses aux situations d'urgence, mais d'inscrire son action dans la durée. Elle s'organise autour de trois axes : l'amélioration de la qualité des soins, la médicalisation des zones rurales et la prise en charge des enfants et des personnes vulnérables.
Son budget atteint 1,8 million d'euros et s'appuie sur l'aide de 250 parrains et près de 1 500 donateurs, dont plusieurs entreprises et fondations comme Sanofi Aventis, Impact epilepsy, Roche, Adecco... En décembre 2005, l'ONG a reçu le prix de la Transparence associative.
Pour l'année 2008-2009, sur les 109 personnes parties en mission avec Santé Sud, 12 étaient infirmières (et ont accompli 19 missions au Liban, au Mali, en Mauritanie et en Mongolie). Pour l'heure, plusieurs programmes entament tout juste la phase de projet, les recrutements touchent donc moins les infirmières.