Un vent de renouveau pour ses patients âgés | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 256 du 01/02/2010

 

Christophe Bouché, gérontopsychiatre à Quimperlé (29)

La vie des autres

Face au vieillissement de la population et au développement des pathologies psychiques chez les personnes âgées, le Dr Christophe Bouché a mis en place à Quimperlé une véritable filière de prise en charge gérontopsychiatrique. Une manière de rapprocher gériatrie et psychiatrie afin de mieux considérer, à son domicile comme à l'hôpital, le sujet âgé.

Dans le milieu des soignants qui travaillent auprès des personnes âgées, on n'est pas toujours très drôle, regrette Christophe Bouché, psychiatre hospitalier à Quimperlé (Finistère). Ce médecin, qui se présente comme psychiatre et gérontopsychiatre, souhaite plutôt afficher un visage souriant et enthousiaste, signe d'une discipline ouverte sur la Cité. De l'enthousiasme, il en aura fallu pour mener à bien ce projet, encore original, de mise en place d'une filière complète de gérontopsychiatrie.

Abattre les murs

La grande idée ? Imaginer l'organisation d'une psychiatrie de proximité capable de (bien) prendre en charge les pathologies psychiques - notamment les depressions - qui touchent les personnes âgées... « Depuis vingt ou trente ans, la psychiatrie du sujet âgé est négligée, considère le Dr Christophe Bouché. En gros, une personne âgée qui présente une démence, c'est normal. Pourtant, une dépression à 90 ans peut être soignée. Quand on sait que le risque de dépression augmente avec l'âge, il est important de changer d'approche. Ici, nous considérons, à la manière des pédopsychiatres avec les enfants, que le sujet âgé a besoin de soins spécifiques et qu'il existe une forte intrication entre problèmes psychiques et problèmes somatiques, qui justifie ainsi que gériatres et psychiatres travaillent ensemble. » Fort de cette approche, ce psychiatre, avec d'autres praticiens, a cherché à anticiper la restructuration qui a frappé fin 2007 la chirurgie et la maternité du centre hospitalier de Quimperlé. L'argument d'un hôpital de proximité, offrant des soins spécifiques à une population âgée vivant dans une zone semi-rurale, a payé : les moyens des deux services supprimés ont été conservés dans cette petite ville du sud-Finistère, comptant plus de 11 000 habitants, et ont permis la création de vingt lits de psychiatrie du sujet âgé.

Depuis deux ans, le service tourne à plein. Qui plus est, une véritable synergie est mise en oeuvre pour ne pas se limiter à une approche purement hospitalière. On joue à fond la carte de la « transversalité », souligne Christophe Bouché. Lui-même n'est pas affecté à la seule unité. « Nous ne sommes pas des praticiens de couloir, nous avons une pratique très proche de celle d'un médecin généraliste car nous consultons sur six ou sept sites différents », explique-t-il.

À l'hôpital, dans le service créé de toute pièce, mais aussi bien à la demande, aux urgences, en médecine et en gériatrie dans le cadre de la psychiatrie de liaison ; dans les maisons de retraite des environs, en complément des visites effectuées plusieurs fois par semaine par les infirmières du Centre médico-psychologique, au CMP de Scaër ou, prochainement, à l'hôpital du Faouët ; à l'hôpital de jour, à la consultation mémoire ou encore en visites à domicile... C'est en réalité l'ensemble de l'arsenal de soin disponible qui est exploité pour s'adapter au patient.

Un arsenal de soin «

Ce n'est pas à lui de s'adapter au circuit de soin !

», estime le gérontopsychiatre, avant de préciser : «

Il est important que nos infirmières se rendent à domicile, pour se rendre compte de l'évolution du patient. Le voir dans son environnement, c'est très différent d'une consultation dans nos murs. La relation thérapeutique change. Ce large éventail des outils utilisés nous aide à faire évoluer la prise en charge en l'adaptant au besoin du patient, qui diffère selon qu'on est dément ou dépressif.

» Une réunion hebdomadaire regroupe l'ensemble des équipes (unité de psychiatrie des personnes âgées, CMP, hôpital de jour...). On y échange les informations et on réfléchit à la prise en charge de tel ou tel patient. «

On ne peut pas travailler avec le sujet âgé seul dans son coin

», considère Christophe Bouché. Les initiateurs du projet ont dû attendre le temps nécessaire pour que les mentalités évoluent. Du côté des soignants, mais aussi des gériatres et des psychiatres. La première année, pas moins de 400 personnes ont été vues en maisons de retraite et en gériatrie. «

Énorme

», selon Christophe Bouché. La consultation mémoire, qui existait déjà il y a deux ans, continue de jouer (et a peut-être amplifié) son rôle de porte d'entrée du public, en grande majorité âgé. «

Ces consultations proposées par des psychiatres et des gériatres permettent souvent de rassurer mais aussi de repérer précocement des pathologies démentielles et beaucoup de dépressions

», précise le gérontopsychiatre, avant de conclure : «

À nous ensuite d'assurer le suivi.

»

Il dit de vous !

« Tout d'abord, je suis admiratif du travail des libérales ! Elles bossent énormément et elles n'ont pas un rôle facile car elles sont isolées. Je trouve aussi leur tâche ingrate car elles ont à prendre en charge le médical et le psychique de leur patient, ce qui n'est pas notre cas. Leur travail sur la souffrance psychique n'a de sens que si elles travaillent avec d'autres professionnels de santé. Comme avec les infirmières du Centre médico-psychologique (CMP) qui se rendent à domicile et qui les croisent. C'est un véritable travail de terrain qui se met en place, de façon informelle. Dans une petite ville comme la nôtre, ce n'est pas nécessaire de formaliser davantage les contacts : tout le monde se connaît. Les rencontres au domicile permettent des échanges sur le traitement qui a été prescrit par le service et que les libérales donnent. Mais c'est également l'occasion d'écouter leur avis sur l'évolution de la personne. »

PRÉVENTION

La dépression, encore sous diagnostiquée

« La dépression est l'une des particularités du sujet âgé, explique le gérontopsychiatre Christophe Bouché. Beaucoup de diagnostics pointent une pseudo-maladie d'Alzheimer qui est en fait une dépression ! » Un constat important étant donné les conséquences qui en découlent, notamment dans les maisons de retraite où le personnel manque. Florence Berbudeau, directrice d'un Ehpad à Piriac-sur-Mer (Loire-Atlantique), soulignait* que « deux tiers de ces 87 résidents présentaient des troubles cognitifs ». Afin de détecter au plus tôt une dépression, le CHU de Nantes a ouvert une permanence de psychogériatrie. « La dépression de la personne âgée a une prévalence très importante, considère le Dr Jaulin, psychiatre. S'en occuper s'inscrit dans un souci de prévention du suicide. » Pour l'Association internationale pour la prévention du suicide, les personnes âgées se suicident souvent en raison de dépressions non diagnostiquées... et dans une indifférence générale.

*Se reporter au portrait «La Vie des autres» paru dans L'Infirmière libérale magazine n°254, novembre 2009.