L'Infirmière Libérale Magazine n° 256 du 01/02/2010

 

STATIONNEMENT

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Dans certaines agglomérations saturées par les voitures, les infirmières libérales bataillent au quotidien pour garer leur véhicule durant leurs tournées. Si la circulaire Joxe vise à faciliter leur stationnement, elle n'apporte pas de solution miracle. La réponse se situe plutôt entre système D et négociations avec les élus municipaux.

Il y a certains papillons dont on se passerait... En particulier ceux qui atterrissent sur les pare-brise des voitures. C'est cependant le genre de mésaventure que subissent régulièrement les infirmières libérales qui oeuvrent en centre-ville. « C'est un véritable souci dans les grandes villes mais ce problème ne nous est pas régulièrement rapporté », soupire Catherine Kirnidis, secrétaire générale du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil). Les contraventions pleuvraient donc sans déclencher la foudre. Pourtant, elles peuvent facilement grignoter une trésorerie, si bien que certains professionnels parlent même de « budget PV »...

Impossible de chiffrer le phénomène. Mais, d'après les témoignages recueillis pour cette enquête, la facture pourrait vite monter. « À Toulouse, certaines infirmières pouvaient accumuler jusqu'à 120 euros par jour », se souvient Gilles Durand, vice-président de l'Organisation nationale des syndicats d'infirmiers libéraux (Onsil) en Midi-Pyrénées. Si Laurence Desjeux, une consoeur lyonnaise, peine quant à elle à évaluer le montant de ses petits papiers verts, elle reste néanmoins irritée : « Cela nous coûte 35 euros à chaque fois ! Et ce sont des frais non déductibles. » D'autant qu'il lui « arrive parfois d'avoir jusqu'à 50 patients dans la journée ». Entre les horodateurs un peu trop gloutons et le manque d'emplacements délimités, poussant quelquefois les infirmières à se garer dans des zones interdites, le budget «contredenses» peut rapidement chauffer.

Pas de réflexion globale

Faut-il croire que les autorités se montrent sourdes au courroux des infirmières ? Pas vraiment. Le législateur s'y penche même assez régulièrement (cf. encadré) et reconnaît à chaque fois l'importance de la circulaire Joxe qui accorde « certaines tolérances [aux Idel], dès lors que l'infraction éventuellement commise n'est pas de nature à gêner exagérément la circulation publique, ni, a fortiori, à porter atteinte à la sécurité des autres usagers ».

Reste à savoir comment les forces de l'ordre appliquent ce texte. « La circulaire Joxe est complètement oubliée, commente Bernard Gallifet, élu de l'Onsil à Lyon. L'un de nos administrateurs nationaux avait écrit au ministre de l'Intérieur pour la réactiver et il n'a jamais eu de réponse. »

Certains édiles tentent néanmoins de veiller au grain. En Île-de-France, plusieurs municipalités ont ainsi pris des arrêtés : la ville de Fontainebleau (77) demande à ses agents de « faire preuve de bienveillance et d'indulgence lorsqu'ils sont en présence d'un véhicule en stationnement arborant un caducée ». La mairie d'Aubervilliers (93) opte pour une solution encore plus avantageuse pour les professionnels de santé : elle tolère leur stationnement « sans acquittement de la redevance » dès lors que le « caducée réglementaire [est] disposé de manière visible à l'intérieur du véhicule ». Cette tolérance demeure néanmoins suspendue à l'appréciation du policier, comme le souligne la mairie de Chelles (77) : « La mansuétude des agents ne pourra être appliquée que pour des stationnements, certes proscrits par l'application stricte des textes, mais qui ne constituent pas une gêne trop importante pour la circulation générale ni un danger... »

Tout dépend ensuite de la façon dont les élus locaux organisent cette «tolérance». À Angers, un infirmier libéral (cf. ILM n°254 de décembre 2009) a obtenu de sa mairie la mise en place depuis 1988 d'un système de location de gyrophare, pour distinguer les véhicules de professionnels de santé en tournée. « Chaque municipalité a son propre système. Pour résoudre les problèmes, il faut y aller au coup par coup », déplore Gilles Durand. À juste titre, car l'association des maires de France (AMF) admet qu'elle n'a à ce jour encore jamais mené d'étude ou de réflexion globale sur le sujet. C'est donc sur le terrain que chaque difficulté doit être soulevée.

Des municipalités, des solutions

À Toulouse, une solution a finalement été trouvée à la veille des dernières élections municipales. « Désormais, en s'acquittant de 30 euros par an, les infirmières bénéficient de tarifs préférentiels dans les parcmètres, mais pas dans les parkings souterrains qui sont gérés par le privé », poursuit Gilles Durand.

À Lyon, les infirmières, en justifiant de leur activité libérale, peuvent stationner gratuitement. Mais le coût de l'horodateur reste secondaire : encore faut-il pouvoir trouver une place... En témoigne Laurence Desjeux, qui travaille en plein centre de Lyon : « À Croix-Rousse, il y a un énorme marché et bien d'autres activités s'y déroulent : difficile de se garer... » L'infirmière ose donc certains stationnements en dehors des clous, ce qui lui « vaut un PV à chaque fois ». Ce à quoi Didier Delorme, directeur de cabinet du premier adjoint au maire de Lyon, répond : « Logiquement la tolérance est respectée si le stationnement n'est pas gênant. » Et ajoute : « À partir du mois de mars, une partie de ce secteur problématique sera payante. Cela devrait libérer des places pour les infirmières. » Mais toutes les Idel lyonnaises n'attendront pas jusqu'en mars : certaines d'entre elles ont déjà opté pour la formule marche ou vélo.

Sensibiliser et mobiliser

Laissant de côté tous les systèmes D, certaines professionnelles misent davantage sur d'autres stratagèmes : en l'occurrence le lobbying ou la médiatisation. À Aix, par exemple, la Compagnie du soin à domicile (qui regroupe une trentaine d'Idel) essaie de sensibiliser les élus en douceur... Les édiles sont ainsi invités à l'occasion de soirées festives. « L'adjoint au maire en charge de la voierie nous a permis d'obtenir des télécommandes pour abaisser les plots qui barrent les rues piétonnes du centre-ville », confie Yves Colombani, co-fondateur de la compagnie.

Mais la palme revient sans doute aux Niçoises : suite à une mobilisation interprofessionnelle (aux côtés des médecins et kinésithérapeutes), elles avaient attiré l'attention des journalistes. « C'était à l'époque de la construction du tramway, se souvient David Guillon, président d'Argil 06. Deux jours après la diffusion du reportage sur TF1, nous obtenions un rendez-vous en mairie ! » Résultat : l'Argil propose un caducée à ses adhérents sur lequel sont également représentées deux horloges (pour indiquer les heures d'arrivée et de départ). « Grâce à cela, nous ne sommes plus verbalisés, se félicite-t-il. Nous pouvons aussi stationner sur les emplacements de livraison et, si la voiture gêne, il n'y a plus d'enlèvement : la police appelle l'infirmière sur le numéro de portable indiqué sur son pare-brise. » De quoi souffler quelques idées aux libérales qui retrouvent régulièrement leur véhicule à la fourrière...

CIRCULAIRE JOXE : une tolérance réitérée

La circulaire Joxe (n°86-122) du 17 mars 1986 est régulièrement citée comme référence en matière de stationnement des infirmières libérales. Elle n'est cependant pas le seul texte à préconiser «certaines tolérances». Cette question revient souvent dans les rangs du Parlement. En décembre 1997, le ministre de l'Intérieur répondait au sénateur Germain Authié à ce propos. Au nom du « principe d'égalité entre les citoyens », il écartait ainsi l'idée d'une loi spécifique, mais rappelait plusieurs circulaires destinées à améliorer le stationnement des professionnels de santé à domicile : notons ainsi les circulaires du 20 novembre 1962, du 27 mars 1969 ou du 25 janvier 1995.

À retenir

- Vous pouvez consulter la circulaire Joxe, mise en ligne sur un site Internet collaboratif tenu par des infirmiers libéraux : .