L'Infirmière Libérale Magazine n° 257 du 01/03/2010

 

Cahier de formation

Savoir

La maladie ulcéreuse gastroduodénale peut-être soit une maladie infectieuse liée à une bactérie (H. pylori), soit liée à la prise d'anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). Actuellement, l'incidence des complications ulcéreuses liées aux AINS augmente : il importe donc de mettre l'accent sur la prévention.

DÉFINITION

L'ulcère gastro-duodénal (UGD) se définit comme une perte de substance de la paroi gastrique ou duodénale atteignant en profondeur la musculeuse (cf. schéma ci-dessous). Il se différencie des érosions et des ulcérations que l'on peut trouver dans les gastrites : les érosions sont des lésions limitées à la muqueuse et les ulcérations atteignent la sous-muqueuse sans la dépasser. L'UGD peut être aigu ou chronique, celui-ci présentant alors un socle scléro-inflammatoire.

ÉPIDÉMIOLOGIE

L'incidence des UGD a régressé dans les pays développés au cours des trois dernières décennies parallèlement au recul de l'infection gastrique à H. pylori, une bactérie (cf. encadré ci-contre). En France, l'incidence des UGD est actuellement de l'ordre de 90 000 par an (0,2 % de la population adulte). Environ un tiers des UGD compliqués sont attribuables à la prise d'AINS ou d'aspirine à faible dose.

PHYSIOPATHOLOGIE

L'UGD résulte du déséquilibre entre l'agression chlorhydropeptique (acide chlorhydrique et pepsines) de la sécrétion gastrique et les mécanismes de défense de la barrière muqueuse en un point précis de la muqueuse.

De multiples facteurs endogènes et exogènes modulent cet équilibre agression/défense. Les facteurs à l'origine de ce déséquilibre - et donc d'un UGD et de ses complications - sont essentiellement l'infection par Helicobacter pylori et l'absorption d'AINS. Des facteurs génétiques et le tabagisme agissent en sus comme cofacteurs.

Maladie ulcéreuse liée à l'infection à H. pylori

L'infection entraîne une gastrite aiguë évoluant vers la chronicité dans la majorité des cas. Le plus souvent, la gastrite ne se complique pas. Elle peut cependant évoluer vers un ulcère gastrique ou duodénal. Les autres complications (l'adénocarcinome gastrique et le lymphome) sont rares.

Vraisemblablement, d'autres facteurs interagissent au cours de l'infection pour créer un profil à risque d'ulcère (génétiques, tabac) : en effet, l'ulcère est en fait de survenue plutôt rare chez les sujets infectés. L'éradication de H. pylori, en modifiant l'histoire naturelle de la maladie ulcéreuse, guérit l'ulcère dans la grande majorité des cas.

UGD liés aux AINS

Les AINS non sélectifs (incluant l'aspirine à dose > 500 mg) inhibent l'activité de deux enzymes impliqués dans la synthèse des prostaglandines, les cyclo-oxygénases (Cox) 1 et 2. Les prostaglandines ont des effets différents en fonction de leur lieu de synthèse, de leur concentration et de leur type : certaines jouent un rôle dans la survenue de l'inflammation, de la douleur et de la fièvre, tandis que d'autres assurent une protection des cellules de la paroi gastro-duodénale.

Ainsi, lorsqu'il existe un foyer inflammatoire, les AINS diminuent les signes de l'inflammation et, dans le même temps, altèrent les mécanismes de défense de la muqueuse gastro-duodénale, favorisant la survenue d'ulcères, plus souvent gastriques que duodénaux. Les AINS sélectifs (coxibs) qui inhibent la Cox-2 en préservant l'activité Cox-1 réduisent le risque de complications ulcéreuses mais sans le supprimer. L'aspirine administrée à faible dose, à visée antiagrégante, conserve un potentiel ulcérogène et expose au risque de complications hémorragiques.

UGD non liés à H. pylori, non médicamenteux

Ces UGD sont peu nombreux. Ils affectent des sujets atteints d'affections lourdes, notamment cardiovasculaires, rénales, hépatiques ou pancréatiques.

Ils sont liés à des altération des mécanismes de défense de la muqueuse gastro-duodénale (par hypoxie, dénutrition, troubles métaboliques sévères...).

Syndrome de Zollinger-Ellison

L'ulcère duodénal du syndrome de Zollinger-Ellison reste exceptionnel. Il est lié à une hypersécrétion d'acide induite par une sécrétion tumorale de l'hormone gastrine (gastrinome).

Ulcères de stress

Ils surviennent chez des patients hospitalisés en réanimation. Il ne s'agit pas d'UGD mais souvent d'ulcérations multiples nécrotico-hémorragiques.

Autres facteurs

Le tabagisme et le terrain génétique interviennent là aussi comme cofacteurs.

SYMPTOMATOLOGIE

La forme typique

Dans la forme typique, le patient souffre d'une douleur épigastrique à type de crampe ou de faim douloureuse. Cette douleur est calmée par la prise d'aliments ou d'anti-acides. Elle est rythmée par les repas avec un intervalle libre de 1 à 3 heures. L'évolution spontanée marquée par des poussées de quelques semaines séparées par des périodes asymptomatiques de quelques mois ou quelques années est évocatrice d'une maladie ulcéreuse liée à H. pylori.

Les autres formes

En fait, le syndrome douloureux est le plus souvent atypique, soit par son siège (sous-costal droit ou gauche, ou postérieur), soit par son intensité (une douleur intense, des brûlures épigastriques ou une simple gêne). Il peut ne pas être rythmé par l'alimentation. Il peut aussi manquer (formes asymptomatiques).

Enfin, une complication ulcéreuse peut révéler la maladie (hémorragie, perforation ou sténose) (cf. partie Savoir faire).

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL

Devant cette symptomatologie, le médecin pourra évoquer d'autres diagnostics : adénocarcinome gastrique ou lymphome gastrique ; douleur pancréatique ou biliaire ; insuffisance coronarienne, péricardite ; ischémie mésentérique ; douleur vertébrale projetée ; gastrite ; dyspepsie non ulcéreuse (reflux gastro-oesophagien, dyspepsie fonctionnelle) ; maladie de Crohn gastrique ou duodénale.

LE DIAGNOSTIC

Celui-ci va reposer sur un interrogatoire précis, sur l'examen clinique, sur l'endoscopie et sur la recherche de H. pylori. L'examen clinique est normal en l'absence de complication.

L'endoscopie digestive haute

Chez un patient qui présente des symptômes digestifs et des douleurs épigastriques, il y a une indication d'endoscopie s'il y a un critère de gravité. Ces critères de gravité sont : un âge supérieur à 45 ans ou 50 ans, l'existence d'une hémorragie digestive, une altération de l'état général, des anomalies à l'examen clinique.

Autr possibilité : chez un patient qui est sous AINS et qui a des douleurs qui ne cèdent pas au traitement habituel, il faudra faire une endoscopie. Enfin, dans le groupe des sujets qui ont entre 20 et 50 ans, la question est de savoir s'il faut faire une endoscopie digestive ou pas. « Dans environ 80 % des cas de cette population, l'endoscopie va être normale, donc 8 fois sur 10 l'examen sera fait pour rien. Cependant, il aura un intérêt : il va rassurer le patient », modère le Pr Benoît Coffin.

Déroulement

Il faut être a jeun strict (sans boire, ni manger, ni fumer) depuis 6 heures au moins. Le patient est allongé sur le côté. Un tube souple (fibroscope) contenant un système optique et lumineux est introduit par la bouche ou par le nez jusqu'au duodénum. Seule la gorge est parfois insensibilisée par un spray ou un gel en gargarisme. On demande au patient de déglutir lorsque l'appareil se trouve au niveau du pharynx. Une fois le fibroscope en place, de l'air est insufflé pour déplisser les parois digestives.

L'examen n'est pas douloureux mais assez désagréable au moment du passage de la sonde dans le nez et/ou l'arrière-gorge. Une anesthésie générale est envisagée quand on sait que l'examen va être long en raison de prélèvements, ou pour ceux qui pensent qu'ils ne supporteront pas un examen, même bref.

Pour déterminer la nature exacte de certaines anomalies, il est parfois nécessaire de pratiquer la biopsie d'un fragment de muqueuse digestive qui est ensuite analysé au microscope.

Résultats

L'endoscopie permet de visualiser le tube digestif haut jusqu'au deuxième duodénum et de réaliser des biopsies. L'ulcère apparaît comme une perte de substance creusante, de forme généralement ronde ou ovalaire. Le fond de l'ulcère, recouvert de fausses membranes, a un aspect blanchâtre. Les bords sont réguliers, légèrement surélevés et érythémateux.

L'ulcère gastrique siège le plus souvent au niveau de l'antre ou de la petite courbure ; l'ulcère duodénal au niveau du bulbe. Quelle que soit la localisation de l'ulcère, des biopsies sont réalisées au niveau de l'antre et du fundus pour chercher la présence de H. pylori et évaluer le degré de gastrite. Un ulcère gastrique nécessite des biopsies sur les berges de l'ulcère en raison du risque de cancer (l'ulcère duodénal ne devient jamais cancéreux).

La recherche de H. pylori

Elle repose sur les biopsies gastriques et des tests non endoscopiques (test à l'urée marquée, sérologie H. pylori).

LE TRAITEMENT DES UGD

Les objectifs du traitement sont la suppression rapide des symptômes, la cicatrisation et la prévention des récidives et complications.

UGD associé à H. pylori

Le traitement d'éradication de H. pylori

Il associe un IPP pendant 7 jours associé à une double antibiothérapie (cf. Partie Savoir faire).

Le traitement chirurgical

En l'absence de complications, l'indication de la chirurgie est exceptionnelle. Elle se discute en cas d'échec de plusieurs lignes de traitement d'éradication, avec des rechutes fréquentes malgré un traitement anti-sécrétoire au long cours ou du fait d'une mauvaise observance médicale.

En cas d'ulcère duodénal (UD), on réalise une vagotomie, parfois associée à une résection de l'antre. En cas d'ulcère gastrique (UG), l'absence de cicatrisation après 3 à 4 mois de traitement et l'existence de lésions de dysplasie sévère sur les berges font discuter l'indication chirurgicale en raison du risque de cancer gastrique méconnu. Le geste associe une exérèse de la lésion éventuellement associée à une vagotomie selon la localisation de l'ulcère.

UGD induits par les AINS

Un traitement par IPP est prescrit pendant 4 semaines (UD) ou 8 semaines (UG). Si le traitement AINS est indispensable, il peut être maintenu sous IPP. L'aspirine à visée antiagrégante est habituellement poursuivie en raison des risques cardiovasculaires liés à son interruption.

Un traitement d'éradication de H. pylori est associé en début de traitement chez les sujets combinant les deux facteurs de risque. Le contrôle endoscopique de cicatrisation est systématique. En cas d'UG, des biopsies sont faites sur la zone cicatricielle.

Lors d'un traitement par AINS, il est indispensable d'informer le patient sur les effets indésirables les plus fréquents à surveiller, soit gastro-intestinaux (douleurs épigastriques, vomissements, dyspepsies, diarrhées, flatulences, gastrites), soit respiratoires, rénaux ou dermatologiques (voir L'infirmière libérale magazine n°244 de janvier 2009 p.39). Un traitement protecteur de la muqueuse gastrique est souvent associé pour les patients à risque (âgés ou avec antécédents).

UGD à H. pylori négatifs et non liés à la prise d'AINS

À prescrire en dehors du syndrome de Zollinger-Ellison.

En cas d'ulcère duodénal, un traitement anti-sécrétoire par IPP est prescrit pendant 4 semaines, puis un traitement anti-sécrétoire au long cours par IPP sera discuté au cas par cas.

En cas d'ulcère gastrique, le traitement anti-sécrétoire par IPP pendant 4 à 8 semaines est suivi d'un contrôle endoscopique avec biopsies. En l'absence de cicatrisation, un nouveau traitement est proposé. Au terme de ce traitement, la persistance de l'ulcère gastrique fait discuter une intervention.

L'infection par Helicobacter pylori

L'infection à H. pylori est contractée le plus souvent dans l'enfance par voie oro-orale ou oro-fécale. Elle affecte la majorité des individus dans les pays en voie de développement. En revanche, son incidence dans les pays développés a régulièrement diminué au cours des dernières décennies en raison de l'amélioration des conditions d'hygiène. Cela explique dans ces pays la faible prévalence de l'infection dans les générations les plus jeunes alors qu'elle atteint encore 50 % chez les sujets de plus de 60 ans.

H. pylori est une bactérie, un bacille gram négatif, qui résiste à l'acidité gastrique grâce à son activité uréasique et qui colonise la surface de la muqueuse gastrique, principalement au niveau de l'antre. L'infection à H. pylori entraîne une gastrite aiguë, puis chronique dans la majorité des cas. La gastrite peut se compliquer d'un ulcère gastrique ou d'un ulcère duodénal, et très rarement en France d'un cancer gastrique. L'éradication de H. pylori guérit le plus souvent l'ulcère.

Les causes de gastrite

La gastrite est une atteinte inflammatoire aiguë ou chronique de la muqueuse de l'estomac. Elle peut être asymptomatique ou révélée par des troubles dyspeptiques (des douleurs épigastriques, des régurgitations acides, une éructation excessive, une augmentation des ballonnements abdominaux, des nausées, une sensation de digestion anormale ou lente, ou une sensation de satiété précoce). Son origine est essentiellement l'infection à Helicobacter pylori et son traitement repose alors sur l'éradication de la bactérie. Une gastrite peut également être induite par les AINS. Les autres causes sont rares.

Point de vue...

Une endoscopie si nécessaire

Pr Benoît Coffin, chef de service hépato-gastro-entérologie, hôpital Louis-Mourier, Colombes (92)

« Tout a un coût. On développe donc de plus en plus des stratégies dites d'attente, ce que font les médecins généralistes : ils débutent un traitement d'épreuve basé sur des médicaments qui vont bloquer la sécrétion acide. En ce moment, on utilise les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) pendant 2 à 4 semaines. Si l'état du patient ne s'améliore pas, on peut alors discuter une endoscopie digestive. Dans notre pratique quotidienne, nous faisons beaucoup moins d'endoscopie digestive haute qu'il y a 15 ou 20 ans. Il n'y a pas de surveillance spécifique à faire après une endoscopie diagnostique. Les complications telles que perforation et hémorragie sont exceptionnelles. Les principales complications sont les inhalations pulmonaires chez les patients qui font des efforts de vomissements. »

Point de vue...

Un examen de cinq à huit minutes

Pr Benoît Coffin, chef de service hépato-gastro-entérologie, hôpital Louis-Mourier, Colombes (92)

« Avec un endoscopiste expérimenté, l'examen dure entre 5 et 8 minutes. Chez un patient qui est en bonne forme, bien informé, et bien entouré au moment de l'examen, l'endoscopie peut tout à fait être faite en ambulatoire. Le patient arrive et il repart une demi-heure plus tard sur ses pieds avec les résultats, il pourra alors prendre son petit déjeuner. Une anesthésie générale nécessite une consultation d'anesthésie, une hospitalisation d'une journée ou d'une demi-journée, et impose que le patient ne soit pas seul chez lui le soir, qu'on vienne le chercher. En fait, beaucoup plus de contraintes pour un examen qui va durer exactement le même temps. J'essaie de persuader mes patients de faire au maximum cet examen sans anesthésie générale et, globalement, cela se passe très bien. »

Le patient ingère de l'urée marquée au carbone 13.

En cas d'infection par Helicobacter pylori, l'activité uréasique de la bactérie transforme l'urée en ammonium et CO2 marqué au carbone 13, qui passe dans le sang puis est éliminé par voie respiratoire. L'augmentation du CO2 marqué au carbone 13 dans l'air expiré traduit l'infection à Helicobacter pylori. Ce test est réalisé facilement dans les laboratoires de ville.