MIDI-PYRÉNÉES
Initiatives
Infirmier pendant dix ans, Manuel Rohaut a exploré différentes facettes du métier : salarié, engagé dans l'armée, libéral... Mais un soir d'août 2006, un accident de voiture stoppe brutalement son activité professionnelle. Contraint de limiter ses déplacements, notre infirmier s'est lancé en autodidacte bénévole dans la création de sites Internet. Avec l'idée de rendre service à sa profession...
C'est à Gignac, un village de 600 habitants dans le Lot, à vingt minutes de Brive, que la famille Rohaut a posé ses valises, en septembre 2009, après quelques années passées dans l'Oise. Manuel et son épouse Anne-Cécile sont tous les deux infirmiers libéraux. Anne-Cécile exerce au sein d'un cabinet de quatre praticiens. Quant à Manuel, il passe ses journées et une partie de ses nuits devant son ordinateur. Il est en effet en arrêt maladie depuis septembre 2006, à la suite d'un accident de voiture qui s'est produit sur le chemin de retour d'une tournée.
Ce soir-là, Manuel Rohaut, qui roulait à 50 km/h, a fait un écart pour éviter un automobiliste qui déviait de sa trajectoire. Après avoir foncé dans un platane, sa voiture a chuté dans un fossé au bord de la route. Le bilan est lourd pour l'infirmier : jambe droite pulvérisée - treize fractures - et pied droit pratiquement arraché...
Au bout de quelques mois, et après avoir frôlé l'amputation du pied, Manuel peut enfin se déplacer. Mais une partie de sa jambe reste raide. La marche et la station debout lui sont très pénibles. Plages de repos, prise d'antalgiques et stimulations électriques sont régulièrement prescrites. Pour les médecins, Manuel doit bouger le moins possible et, pour l'heure, il n'est pas question de reprendre le métier d'infirmier... Un verdict qui tombe comme un couperet pour ce jeune homme de 29 ans qui adore sa profession et qui a toujours pratiqué plusieurs sports assidûment : jogging - jusqu'à 45 km par semaine, à une époque -, cyclotourisme - il a déjà rallié Beauvais-Rodez et Beauvais-Montpellier à vélo, en bivouaquant sous la tente... « J'ai vu du pays ! », admet-il. Car Manuel a toujours eu la «bougeotte» : c'est un nomade qui n'a jamais rechigné devant l'aventure.
Sorti des bancs de l'Ifsi de Beauvais en 1998, il commence par exercer en clinique privée. Un an plus tard, au moment où il doit accomplir son service militaire, on lui propose de s'engager pour cinq ans dans la sécurité civile, avec, à la clé, un revenu fixe et des missions humanitaires d'urgence. Manuel relève le défi. Il débute à l'infirmerie de Brignoles, dans le Var, qui est équipée de six ordinateurs. Manuel tape des courriers et commence à s'intéresser sérieusement à l'informatique : « Quand un ordinateur tombait en panne, je me collais à la tâche. Peu à peu, j'ai appris à «débugger», à réparer... »
De 1999 à 2004, il est sur le terrain. Ses missions l'amènent à sillonner toute la planète, dans des conditions souvent éprouvantes : début 2001, il part au Salvador, à la suite d'un important glissement de terrain. En 2002, c'est un tremblement de terre en Algérie qui suscite l'envoi d'une équipe de la sécurité civile, dont Manuel fait partie. Deux ans plus tard, il intervient sur le séisme de Argh El Bam, en Iran. « Nos missions sur place ? Monter des dispensaires, des hôpitaux de campagne, des équipes médicales et chirurgicales... Nous prodiguions beaucoup de soins de traumatologie. »
En 2004, le jeune homme reprend sa blouse d'infirmier et décide de tenter l'aventure libérale... Mais la bougeotte est toujours là ! Avant de se «poser» définitivement, la famille Rohaut veut voir du pays et passe quelques temps dans les Dom-Tom. En 2005, elle s'envole pour la Guadeloupe. Là-bas, à Saint-Claude, à Basse-Terre, Manuel effectue des remplacements en tant que libéral. En avril 2006, de retour pour quelques mois en métropole, histoire de voir les proches avant de refaire les valises pour la Réunion, le couple exerce dans l'Oise. Cette fois-ci, Manuel Rohaut est infirmier libéral titulaire. Un mode d'exercice qui le passionne. « La principale qualité dont il faut faire preuve ? L'abnégation... Quand on vous appelle à 2 heures du matin, il faut y aller. » C'est un peu l'image du médecin de campagne d'autrefois, qui connaît ses patients, leur histoire, les prénoms des enfants... Manuel parcourt parfois 200 km par jour. Mais le 31 août 2006, il rencontre un platane. Finies les tournées, exit le projet de s'installer à La Réunion.
Que faire de son temps, sachant que le sport, la marche et toutes ses activités physiques favorites lui sont vivement déconseillés ? Heureusement, sa passion pour l'informatique et Internet ne l'a pas quitté, depuis son passage dans l'armée. Forcé de rester assis le plus longtemps possible, Manuel pianote sur son ordinateur. Il décide de reprendre un site qu'il avait créé pour partager sa vie en Guadeloupe et transmettre régulièrement les photos de ses deux enfants à sa famille. Un site intitulé «Mac97000», en référence aux initiales de son prénom et de celui de sa femme et au code postal de la Guadeloupe - et non à la célèbre marque de Steve Jobs, d'autant que Manuel est un amateur de PC... À l'époque, il aurait pu se contenter d'une version basique, destinée essentiellement à l'échange de fichiers photos. Mais il est soucieux de résoudre les problèmes que rencontrent ses proches et fait déjà preuve de pédagogie. Peu à peu, le site Mac97000 se complète de pages expliquant comment télécharger correctement une photo, comment se protéger des virus, des spams, comment reconnaître un hoax (fausse rumeur répandue par e-mail)...
Après son accident, Manuel réactive donc , qui se transforme peu à peu en «site-guide». Ouvert à tous, il oriente les internautes plus ou moins novices vers des informations essentielles : comment se protéger ? Pourquoi est-on assailli de publicités dès qu'on poste son adresse sur un forum de discussion ? Comment choisir ses mots de passe intelligemment pour éviter tout piratage ? Comment savoir si le mot de passe est sécurisé ? « On peut retracer toute votre vie sur Internet ! Il faut être méfiant et savoir se protéger », insiste Manuel.
Les mois passent, Manuel se rode et se forme sur le tas. Il faut dire qu'il aime fouiller, s'informer sur le Net ou via des ouvrages, pour « découvrir l'envers du décor », les soubassements de la Toile qui échappent au commun des internautes : « Internet est une bibliothèque sans fin, une mine, dans laquelle j'ai pioché beaucoup de choses... » Manuel décide alors de se lancer dans le grand bain et de créer des sites internet de toutes pièces. À lui la conception de l'architecture ! Pour commencer, il prospecte dans son entourage : « J'ai proposé à mon beau-père, éleveur de charolais dans la Manche, de réaliser une nouvelle version de son site. » À ce jour, Manuel a créé une trentaine de sites : , qui présente un gîte et des chambres d'hôte dans la Manche ; , consacré au modèle de motos qu'il a toujours préféré ; , truffé de conseils pour ceux qui veulent se lancer dans l'aventure indépendante... En cours : la création du site d'un ensemble vocal.
Le temps passé sur un site ? Il varie de 10 à 200 heures, pour une version complète. Et pour cause : il y a tout un arsenal de technologies, de codes sans fin à mettre en place. Les maîtres-mots du webmaster : patience et minutie... « Une fois, il m'a fallu près d'une semaine pour trouver une virgule mal placée dans un code et débloquer une situation ! » La protection prend aussi un temps fou. « Il ne faut pas qu'un site puisse être piraté... Or les dangers sont nombreux sur la Toile. La grande mode du moment : la vente de Viagra ou les sites pornographiques, qui essaient sans relâche de faire passer de la pub, des liens... »
Autre dimension essentielle : faire connaître un site Internet afin qu'il soit référencé sur les moteurs de recherche. « Si votre site n'apparaît pas en première page de Google, c'est fichu. » Ce qui implique l'achat de noms de domaine adéquats.
Manuel a aussi mis sur pied le site . Ce site de petites annonces gratuites compte entre 3 000 et 5 000 inscrits - ce qui représente entre 3 et 5 % de la profession libérale. Pas mal ! Reprise de cabinet, recherche d'un remplaçant, d'un collègue, d'un local... Une dizaine de nouvelles annonces sont mises en ligne chaque jour - soit beaucoup plus que l'objectif de départ de Manuel qui tablait sur une centaine de nouvelles annonces par mois. La rubrique «Échanges de postes» intéresse particulièrement les infirmiers. Un échange de poste Strasbourg-Guadeloupe, pendant un an, a ainsi pu se réaliser, de même qu'un échange Marseille-Polynésie.
« Je veux que ma profession puisse évoluer », commente le webmaster autodidacte, qui travaille entre douze et seize heures par jour, de manière entièrement bénévole. « Je ne peux pas être rémunéré puisque je touche des indemnités journalières [ndlr. pour d'obscures raisons administratives, l'accident de Manuel n'a pas été classé en accident du travail]. Je cherche surtout à progresser... » Manuel Rohaut se verrait bien en webmaster professionnel. Mais, ce qui lui tient le plus à coeur, c'est de pouvoir un jour reprendre son activité d'infirmier libéral.
→ SON SITE «GUIDE», plein de conseils informatiques . Mais aussi celui réalisé à l'attention de toutes celles et ceux qui souhaitent se lancer dans l'aventure indépendante . Sans oublier