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CONTRÔLE > Potentiellement séduites par des promesses de revenus complémentaires, les infirmières libérales sont la cible des sociétés qui commercialisent des appareils pour épilation ou photo-rajeunissement. Et peuvent en devenir les victimes.
Installée en libérale à La Valette (Var) en 2004, Pierrette Kaiser s'est laissée persuader par une consoeur de s'inscrire l'année suivante à un «séminaire» en Tunisie d'un genre particulier, entre ambiance de vacances et pression commerciale intense. Ces séjours, aujourd'hui encore organisés par une société de Nice, qui a changé de nom depuis, peuvent être nommés «symposiums d'exception» et s'adressent aux professionnels de santé.
L'objectif ? Vendre à ces derniers du matériel de haute technologie pour pratiquer, selon la tendance du moment, de la stimulation musculaire, de l'électro-hypolyse (destruction de cellules adipeuses), de l'électro-désinfiltration (drainage lymphatique) ou encore du photo-rajeunissement et des dépilations définitives. « J'ai passé une semaine sur place, témoigne Pierrette Kaiser. Une semaine pendant laquelle on ne cesse de vous expliquer qu'en tant qu'infirmières, nous sommes les mieux placées pour aller sur cette activité, car nous sommes plus rassurantes que les esthéticiennes grâce à notre image de soignante. Bien sûr, il était dit que c'était un moyen de compléter ses revenus d'infirmière. Je me suis laissée embobiner et j'ai fini par signer, au cours d'une soirée, sur un bout de comptoir, un papier en blanc ! C'est incroyable quand on n'a pas été confrontée à ce type d'ambiance. » Pierrette Kaiser doit alors s'acquitter de 485 euros par mois, car en réalité la société ne lui vend pas la machine mais la lui loue.
C'est alors le début d'un cercle vicieux. Non seulement elle doit changer de local assez rapidement pour bien distinguer ses deux fonctions et pouvoir ainsi faire de la publicité pour son activité complémentaire, mais elle doit aussi investir dans de la décoration adaptée, du mobilier et des produits utiles pour optimiser la cure entreprise. Les produits étant vendus via des sociétés liées à la première. Au bout de six mois/un an, le constat s'impose pour Pierrette Kaiser : l'activité «soins de confort» ne décolle pas.
« On ne peut pas se limiter à notre patientèle, constituée principalement de personnes âgées qui ne vont pas être intéressées par des prestations de bien-être, raconte-t-elle. Il faut donc prospecter, tout en commençant à payer environ 1 000 euros chaque mois. Et le peu de clients que l'on parvient à toucher ne peut pas payer 4 ou 500 euros la cure : ils demandent de payer en trois fois ou même en vingt fois ! Certains commencent trois, quatre séances, et puis on ne les voit plus. D'autres encore suivent toute la cure (soit douze séances d'environ 1 h 30) mais n'en paient qu'une partie avant de disparaître. J'ai dû alors travailler davantage comme infirmière pour payer mes charges habituelles et les nouvelles dépenses engagées par cette activité complémentaire. Jusqu'au jour où j'ai arrêté de payer la location de l'appareil. » La société qui a vendu la machine à Pierrette Kaiser se retourne à ce moment-là contre elle. S'ensuivent huissier avec menaces de saisie puis procès. « Le tribunal a considéré que j'aurais dû payer ce pour quoi je m'étais engagée sur mon nom propre et sur la foi de mon bilan, cette machine étant un bien de consommation comme un autre, en aucun cas du matériel professionnel », précise l'infirmière.
Résultat : Pierrette Kaiser se résout à vendre sa maison en 2008 pour payer les dommages et intérêts et apurer les 50 à 60 000 euros que cette expérience lui aura coûté. En contact avec l'infirmière condamnée, Chantal Devaux, présidente de la Fédération nationale des infirmiers (FNI) dans le Var, remarque que le démarchage des libérales par la distribution de prospectus, présentant des séjours en Tunisie, se poursuit toujours. « Et, note-t-elle, souvent vers la fin de l'année, à une période où nous sommes fragilisées financièrement, parfois dans le rouge avec les régularisations de cotisations, et où l'idée de diversifier notre activité peut avoir un écho chez nous. » Il est impossible aujourd'hui d'avoir une idée du nombre d'infirmières concernées par ce type de démarche. L'Ordre infirmier, sollicité par la rédaction, n'a pas encore eu le temps de se pencher sur le problème.
Pour Martine Dubus, avocate chez Fiducial-Sodiral Angers, pas de doute possible : « L'article 2 du décret du 18 janvier 1962 stipule que tout mode d'épilation, sauf les épilations à la pince ou à la cire, ne peut être pratiqué que par des docteurs en médecine. Les infirmières, comme les esthéticiennes d'ailleurs, en sont exclues. »
Pour autant, il n'est pas facile de sortir indemne de ce genre de situation : « Ces appareils sont faussement vendus comme étant du matériel professionnel alors qu'il ne peut être utilisé en tant que tel. C'est une forme de tromperie. Une infirmière a déjà fait condamner une société pour «dol». Mais elle a été de son côté condamnée pour exercice illégal de la médecine... Pour moi, il n'y a pas de flou juridique, sauf à considérer que l'épilation est une forme de prevention. C'est donc là une extension abusive du décret de compétences. » Et pourtant les promesses de revenus complémentaires liés à ce genre d'activité séduisent chaque mois de nouvelles libérales.
Contacté dans le cadre de notre enquête, le gérant d'une société française commercialisant des appareils d'épilation à lumière pulsée reste nénanmoins confiant sur la pérénité de son activité. « Les 3 000 euros mensuels annoncés ne sont pas aberrants, indique-t-il. Cela correspond environ à trois séances d'épilation des aisselles ou du maillot de deux minutes par jour. C'est un marché en plein boom ! » Des chiffres en forme de promesses miraculeuses mais, très concrètement, une somme de 350 euros à verser chaque mois pour payer la machine vendue par cette société, dans le cadre d'un financement sur cinq ans. Et, surtout, une activité tout à fait illégale puisque, en l'état actuel de la législation, l'épilation définitive permise par la technique dite de la lumière pulsée est réservée aux seuls médecins et même pas aux esthéticiennes, comme la ministre de la Santé l'a rappelé en septembre 2008.