L'Infirmière Libérale Magazine n° 258 du 01/04/2010

 

Cahier de formation

Savoir faire

Mme J., 64 ans, a une prescription de fentanyl à 25 µg/h en patch pour des lombalgies. Elle vous demande si elle peut prendre un bain chaud avec le patch, car cela soulage un peu sa douleur.

Informez-la de l'influence de la chaleur sur le dispositif transdermique qui peut entraîner un surdosage par augmentation de la pénétration du médicament. De plus, si le traitement s'avère efficace, il devrait soulager la douleur. Ce que vous évaluerez ensemble dans les jours à venir. Un bain chaud reste possible au moment du renouvellement du patch.

INDICATION

Les douleurs chroniques sévères

Le patch de fentanyl a est indiqué dans « le traitement des douleurs chroniques sévères qui ne peuvent être correctement traitées que par des analgésiques opioïdes » ou « ... en relais des opioïdes forts, après que leur efficacité ait été établie » (pour le Matrifen®). Toutefois, la seule indication thérapeutique ouvrant droit à la prise en charge ou au remboursement par l'Assurance maladie est « le traitement des douleurs chroniques d'origine cancéreuse, intenses ou rebelles aux antalgiques, en cas de douleurs stables ». En fait, selon l'Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), on observe une diminution régulière et continue, en pourcentage, des indications cancérologiques et une augmentation des indications rhumatologiques (résultats enquête ASOS 2007, cf. partie Savoir plus p.50).

En relais d'un traitement par voie orale

Le patch de fentanyl doit être utilisé en relais, après qu'une titration a permis de déterminer la dose de morphiniques nécessaires à soulager la douleur du patient. Il permet alors souvent un meilleur confort du patient et des effets secondaires (notamment sur la constipation) moins importants. Il est particulièrement indiqué en cas d'insuffisance rénale car il n'expose pas au risque d'accumulation et de surdosage.

Patients recevant pour la première fois un traitement par opioïdes

On utilise le dispositif transdermique le plus faiblement dosé, soit 12 µg/h pour l'initiation du traitement. Chez les patients très âgés ou faibles, il est préférable d'initier le traitement avec de faibles doses de morphine à libération immédiate et de prescrire le patch après détermination de la posologie optimale.

EFFET ANTALGIQUE

Évaluation de la douleur

Dès lors qu'un traitement antalgique est instauré, l'infirmière doit veiller à réévaluer quotidiennement (ou plus si nécessaire) la douleur. Elle peut utiliser pour ce faire des échelles d'auto- ou d'hétéro-évaluation validées, évaluation qui doit être inscrite dans le carnet de suivi du patient. Elle doit s'assurer de la bonne transmission de ces informations. Si la douleur n'est pas suffisamment soulagée, il faut modifier le traitement prescrit.

Délai d'action

Les concentrations sériques de fentanyl transdermique augmentent progressivement pendant les 24 premières heures suivant l'application du patch. L'évaluation initiale de l'effet analgésique maximal est faite après 24 heures. Une prescription d'antalgiques supplémentaire peut être envisagée pour cette période.

Durée d'action

Le renouvellement du patch est prévu au bout de 72 heures. Chez certains patients (environ 10 %), la durée d'action est plutôt de 48 heures au lieu des 72 heures habituelles.

Ces patients sont soulagés les 2 jours suivant la pose du patch, mais ils souffrent le troisième jour. Si cela se reproduit consécutivement au moins deux fois, le médecin peut envisager un changement systématique de patch toutes les 48 heures. Un renouvellement dans un délai inférieur à 48 heures peut entraîner des concentrations excessives de fentanyl.

Doses de secours

Une prescription de doses de «secours» d'un morphinique à durée d'action courte permet au patient de soulager des accès douloureux paroxystiques. Cette dose doit être administrée aussi souvent que nécessaire, en respectant un intervalle de sécurité d'au moins une heure. Demander au patient de noter le nombre et l'horaire des prises de doses de secours. La prise quotidienne de plus de 3 ou 4 doses de secours doit faire consulter le médecin pour réévaluation de la situation et réajustement thérapeutique.

EN PRATIQUE

Site d'application

Le patch est appliqué sur une peau saine, sèche, non irritée, non irradiée et sur une zone plane. La peau doit être propre et sans poil. Les poils sont coupés aux ciseaux, mais pas rasés pour éviter des microlésions. Le site d'application est nettoyé à l'eau si nécessaire. Le savon, l'huile, les lotions ou tout autre produit risquant d'irriter la peau ou d'en modifier les caractéristiques doivent être proscrits. La présence de poils tout comme une peau mal nettoyée peuvent modifier la résorption du produit.

Localisation

Le patch est appliqué sur le haut du corps : thorax, dos, partie supérieure du bras.

Il faut changer de site d'application lors de chaque renouvellement du patch tout en restant sur la même région pour éviter les variations d'absorption due aux caractéristiques de la peau. Il faut respecter un intervalle de 7 jours avant d'appliquer un nouveau patch sur le même site.

En cas de troubles cognitifs, il faut choisir une zone non accessible par le patient. L'adhésion du patch peut être renforcé si besoin avec un film autocollant.

Application

Appliquer le dispositif transdermique en appuyant légèrement avec la main pendant 30 secondes, d'abord au centre puis vers la périphérie. S'assurer que les coins collent bien à la peau. L'application correcte du patch assure une bonne pénétration du produit.

Retrait du patch

S'il reste des traces du dispositif transdermique sur la peau après le retrait, on peut les éliminer en utilisant beaucoup de savon et d'eau. Ne jamais utiliser d'alcool ou d'autres solvants qui risquent de pénétrer dans la peau en raison de l'effet du patch.

Élimination

Après retrait, le dispositif est plié en deux, face adhésive à l'intérieur, puis placé dans le système de récupération fourni. Les dispositifs utilisés ainsi que les dispositifs non utilisés doivent être retournés à la pharmacie.

SURVEILLANCE INFIRMIÈRE

Les effets indésirables

Les effets indésirables les plus fréquents sont la somnolence, la confusion mentale, les nausées et vomissements, et la constipation. Les premiers de ces symptômes sont transitoires et il faut en rechercher la cause s'ils persistent. En revanche, la constipation ne disparaît pas si le traitement est poursuivi. Il est souvent nécessaire d'administrer un traitement correctif.

Insuffisants rénaux ou hépatiques

Le traitement de patients présentant une insuffisance rénale ou une insuffisance hépatique, avec une élimination altérée du fentanyl, peut aboutir à une augmentation des concentrations sériques. Ceci impose une surveillance soigneuse des signes de toxicité (somnolence, confusion, ralentissement du transit...). Une réduction posologique est envisagée si nécessaire.

Personnes âgées

Chez la personne âgée où la fonction rénale peut être altérée par déshydratation ou iatrogénie, les signes de toxicité sont recherchés. En cas de polymédication, le risque d'interaction médicamenteuse est important. Le risque de somnolence par l'effet sédatif cumulé de psychotropes (benzodiazépines, neuroleptiques, antidépresseurs...) doit être évalué.

En cas d'augmentation de température

Le patient doit éviter l'exposition du patient à des sources de chaleur externes (sauna, bouillote, couverture chauffante...) qui peuvent potentiellement accélérer l'absorption du fentanyl. Pour la même raison, un cas de fièvre est signalé au médecin après avoir recherché des signes de surdosage (somnolence, bradypnée, cyanose sueurs...).

EN CAS DE SUSPICION DE SURDOSAGE

Le surdosage correspond à un taux plasmatique de fentanyl trop important. Il se manifeste par une somnolence anormale du patient et une diminution de sa fréquence respiratoire inférieure à 10 mouvements par minute. Dans ce cas, un médecin doit être contacté rapidement, si besoin par appel téléphonique au samu (15). Si le surdosage est avéré, le médecin peut préconiser l'ablation du patch et l'arrêt de la prise des doses de secours. Il faut au moins 12 heures après l'ablation du patch pour que le taux plasmatique diminue de manière significative. Le médecin peut décider d'utiliser un antagoniste des morphiniques (naloxone, Narcan®) afin de rétablir une fréquence respiratoire correcte. Une administration de la naloxone sur au moins 12 heures est recommandée ainsi qu'une surveillance clinique attentive (fréquence respiratoire et somnolence), pouvant nécessiter une hospitalisation de précaution.

Prescription et délivrance

Prescription

Limitée à 28 jours sur une ordonnance sécurisée, avec posologie et dosage inscrits en toutes lettres. Renouvellement de la prescription interdit. La présentation de l'ordonnance doit se faire dans les 3 jours. Au-delà, délivrer la durée du traitement restant à courir.

Délivrance

- Voie transdermique : fractionnée de 14 jours (sauf indication spécifique du prescripteur « délivrance en une fois »).

- Voie transmuqueuse buccale et voie pernasale : fractionnée de 7 jours (sauf indication spécifique du prescripteur).

Le relais entre le patch et la morphine per os

De la voie orale au patch

Il faut au moins 12 heures pour que le taux plasmatique de fentanyl atteigne une valeur analgésique significative.

Il convient donc de donner la dernière prise de morphinique à libération prolongée en même temps que le premier patch de fentanyl.

Adaptation de la posologie

Deux à trois jours au moins sont nécessaires pour obtenir un taux plasmatique stable de fentanyl. Il est donc inutile de modifier la posologie avant la fin du troisième jour. En cas de douleurs mal équilibrées durant cette période, il faut avoir recours aux doses de secours.

Du patch à une autre voie d'administration

Il faut au moins 12 heures après l'ablation du patch pour que le taux plasmatique diminue de manière significative.

En cas de passage du fentanyl transdermique à un autre mode d'administration, on tient compte de ce délai. Par exemple, en ne débutant l'administration d'une dose du morphinique à libération prolongée ou du morphinique à débit continu intraveineux que 12 heures après l'ablation du patch.

Durant ce délai, et en cas de douleurs, il convient de recourir aux doses de secours.