Secteurs sanitaire et social :
Le débat
À l'heure où réorganisations et logiques d'économies d'échelle s'introduisent dans le champ de la santé, les secteurs sanitaires et sociaux doivent accorder leurs violons pour répondre à ces exigences. La réflexion suscite des inquiétudes mais ouvre en même temps une voie vers l'innovation transdisciplinaire.
praticien hospitalier au Département de santé publique du CHU de Nice
Que pensez-vous de la mutualisation entre secteurs sanitaires et sociaux ?
À mon sens, c'est plutôt positif. D'autant que, depuis la charte d'Ottawa [signée par l'Organisation mondiale de santé en 1986, ndlr], nous sommes amenés à travailler ensemble. D'ailleurs, à Nice, nous avons lancé un projet qui va dans le sens du décloisonnement. L'idée étant que l'on travaille mieux à plusieurs et surtout lorsque l'on associe les compétences, ce qui évite la débauche de moyens et permet d'avoir une cible commune entre institutions. C'est pour cela que nous développons un «Espace partagé de santé publique» qui associe divers partenaires comme le conseil général, la mairie, l'État, le Codes [Comité d'éducation pour la santé, ndlr], la mutualité française, la faculté de médecine, etc. Il s'agit de partager des connaissances mais aussi de mener des actions de santé dépassant le cadre du soin, en se tournant plus vers de la santé sociale. Ce modèle est loin d'être théorique car, en parallèle, nous conduisons des projets concrets liés au vieillissement, et plus particulièrement sur le parcours de vie.
Comment cette mutualisation est-elle possible ?
De nombreux acteurs de la santé disposent de moyens, ont de bonnes idées et tentent de conduire des projets. Cela dit, il n'est pas rare de voir des projets concurrents, voire contradictoires. Une mutualisation efficace devrait à mon avis porter - si ce n'est sur le plan des moyens - sur la façon de se représenter le monde ou sur des actions. Elle peut aussi concerner les moyens : il y a en effet matière à réaliser des économies. Dans le cadre des réseaux de santé, on peut imaginer un temps de secrétariat partagé ou de négocier à plusieurs des contrats avec des comptables de manière à réduire les coûts de chacun. Par la suite, on peut également envisager de mutualiser les compétences et les façons de voir le monde.
Faut-il craindre une dérive qui s'exercerait aux dépens de certains professionnels ?
Non. Je pense que nous sommes encore loin de travailler de manière pertinente entre sanitaire et social. La mutualisation ne doit pas aboutir à la captation par les uns des fonctions des autres. Elle vise l'enrichissement plutôt que l'appauvrissement. En mutualisant, on ne cherche pas la réduction des compétences, mais plutôt la synergie.
psychiatre, président de l'Association des cliniciens du médico-social et du sanitaire
Que pensez-vous de la mutualisation entre secteurs sanitaires et sociaux ?
Je m'interroge sur la manière dont ces secteurs se recoupent. Il ne s'agit pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul ! Or, actuellement, il y a une tendance croissante à basculer la prise en charge des patients vers le médico-social, surtout en psychiatrie infanto-juvénile. Et, dans le même temps, les moyens du sanitaire continuent de diminuer. Voyez par exemple l'ouverture exponentielle de places en SESAD [services de soins spécialisés à domicile, ndlr]. Aussi, je pense que le mot mutualisation pose problème. On a l'impression d'un glissement du sanitaire vers le médico-social !
Comment cette mutualisation est-elle possible ?
Pour la psychiatrie infanto-juvénile, le sanitaire doit pouvoir proposer toutes les modalités de prise en charge. C'est le lieu du ponctuel, de l'intervention à domicile et de l'hospitalisation. Le sanitaire est le seul secteur à pouvoir élaborer et tenir une prise en charge sur la durée pour les jeunes qui ont besoin d'un suivi à temps plein. Cela ne doit pas se faire uniquement sur le mode de l'urgence. Par ailleurs, je trouve que la technologie ne fait pas tout. La médecine se fait avec de l'humain. La dimension soignante ne se résume pas au contenu : elle repose plus sur le relationnel. Aussi, si la mutualisation doit s'opérer, elle doit davantage se faire sur le plan de l'humain plutôt que par le biais de protocoles.
Faut-il craindre une dérive qui s'exercerait aux dépens de certains professionnels ?
En ce moment, un glissement s'opère, en particulier dans le champ de la psychiatrie. On a tendance à la réduire à de l'urgence ou à de la prescription. Si cela est possible pour le somatique, ce n'est pas du tout le cas pour la psychiatrie. On ne peut pas distinguer la prescription de la prise charge. D'autant que le secteur médico-social glisse lui-même vers le social. Je n'ai rien contre le social, mais cela estompe la part du soin médical. De plus en plus de prises en charge s'effectuent sur le mode du soutien scolaire, du rééducatif... Du fait de cette fausse mutualisation, toute une population se retrouve exclue. Je pense notamment aux enfants qui se situent à l'entre-deux, entre le caractériel et la pathologie mentale.