L'infirmière Libérale Magazine n° 259 du 01/05/2010

 

TUTORAT

Votre cabinet

C’est ce qui est proposé en Haute-Normandie depuis 2005. Une bonne soixantaine de jeunes diplômées ont pu sauter l’étape de l’hôpital en participant au système de tutorat libéral mis en place en 2005.

Pourquoi un tel dispositif ?

Malgré la réduction de la durée minimale d’exercice hospitalier avant toute installation en libéral, la Haute-Normandie affichait en 2003 une sous-dotation importante en infirmières libérales, à part autour des agglomérations rouennaise et havraise. « Une fois qu’elles travaillaient à l’hôpital, même si elles étaient tentées par le libéral, elles avaient tendance à y rester », observe Alain Planquais, chargé de mission sur la gestion des risques à l’Union régionale des Caisses d’assurance maladie (Urcam), qui pilote le dispositif pour l’union.

À l’initiative du syndicat Convergence infirmière, un projet de tutorat a vu le jour pour permettre aux nouvelles diplômées de renforcer l’offre de soins libérale sans avoir à exercer préalablement à l’hôpital. Le dispositif régional a été conçu avec les caisses d’assurance maladie et inscrit en juin 2004 dans un avenant à la convention. Son expérimentation a pu débuter en décembre 2005 sous l’égide de l’Urcam. Elle a été reconduite dans la convention de 2007. Un bilan présenté devant la commission nationale paritaire en avril dernier a donné lieu à une nouvelle reconduction du dispositif en Haute-Normandie, avec de nouvelles contraintes territoriales. Les infirmières tutorées, qui s’engagent à exercer deux ans dans la région, ne peuvent en effet s’installer que dans les secteurs sous-denses ou peu denses. « Si elles quittent la Haute-Normandie, précise Fabrice Grémont, initiateur du projet et responsable régional de Convergence infirmière, elles devront assurer les deux années de travail hospitalier dont le tutorat, par dérogation, les a exonérées. »

Organisation

Avant le diplôme, les candidates au tutorat suivent leur stage pré-professionnel auprès d’une infirmière libérale. Une fois diplômées, elles suivent cette infirmière ou une autre dans ses tournées pendant trente jours ouvrés sur deux mois. Des bilans à mi-parcours et en fin de tutorat permettent de valider la participation des infirmières au dispositif, ce qui leur ouvre les portes de l’activité libérale. Le but du tutorat : faciliter l’installation par le rapprochement des infirmières en exercice et des étudiantes, accompagner et former à l’exercice libéral les nouvelles diplômées, évaluer les compétences des jeunes diplômées pour garantir la capacité à exercer en libéral.

Les motivations et l’engagement des tutorées

Ce dispositif est une aubaine pour Marie Bonhomme, qui en a bénéficié l’année dernière. « J’ai fait mes études au CHU et ne voulais pas travailler à l’hôpital, raconte-t-elle. En libéral, on a un autre contact avec le patient. Et puis je souhaitais plus d’autonomie. » Alors, lorsque le dispositif a été présenté aux étudiantes de deuxième année, elle a tout de suite accroché. Elle a contacté toutes les infirmières de la liste des candidates tutrices et rencontré la première qui lui a répondu. Et ce fut la bonne. Marie et sa tutrice ont formalisé leur engagement par un contrat de remplacement de cette durée. Malheureusement pour la jeune diplômée, elle a dû attendre trois mois pour que la Sécurité sociale lui transmette les documents indispensables à ses débuts dans l’exercice libéral. Mais, ensuite, elle est partie en tournée avec sa tutrice.

Quelle responsabilité ? Quel accompagnement ?

Pendant les visites, « j’étais responsable des soins de A à Z puisque j’étais diplômée », souligne Marie, qui a fini son tutorat en septembre dernier. Marie-Josée Heurtel, qui a tutoré une autre infirmière l’année dernière, confirme : « Le matin, on se donnait rendez-vous avant la tournée et on partait ensemble. Je l’accompagnais et elle effectuait les soins en ma présence. C’est elle qui était responsable de ses actes. » Ni elle ni la tutrice de Marie ne sont donc intervenues en matière de soins. L’infirmière tutorée par Marie-Josée « était déjà autonome », souligne-t-elle. Techniquement, Marie se considérait également au point.

L’intervention de la tutrice s’est donc concentrée sur d’autres domaines. « Nous avons l’expérience, explique Marie-Josée Heurtel. Nous savons qui sont les prescripteurs » et qu’avec untel on peut, ou pas, prendre des initiatives. Elle a également conseillé sa tutorée sur la façon d’aborder certains patients, notamment en milieu rural. Marie, pour sa part, a beaucoup apprécié l’accompagnement de sa tutrice dans les tâches administratives. « En Ifsi, observe-t-elle, on ne se rend pas toujours compte de la dimension administrative du libéral. » Pour Marie-Josée aussi, le travail administratif s’est révélé particulièrement chronophage. Bien plus que d’habitude. Du fait de l’organisation avec son associée (toute l’activité est commune), elle a dû gérer pendant la durée du tutorat toutes les questions administratives du cabinet puisque les actes de l’infirmière tutorée devait être séparés de ceux des autres infirmières…

À l’issue du tutorat

Pour l’une comme pour l’autre, le tutorat s’est très bien déroulé. À la fin des deux mois, Marie est devenue remplaçante et estime que le fait qu’elle ait été accompagnée par une consœur expérimentée constitue un gage de confiance pour certaines des infirmières qu’elle remplace. Pour Marie-Josée, le bilan est plus mitigé puisque, contrairement à ce qu’elle escomptait, l’infirmière qu’elle a encadrée n’est pas devenue sa remplaçante et qu’elle ne souhaite pas renouveler l’expérience.

Aujourd’hui, cinq ans après le démarrage de l’expérimentation, motivée par la forte sous-dotation en infirmières libérales de certains bassins de vie haut-normands, 5 % des libérales installées le sont à l’issue du tutorat. Un succès pour les partenaires du dispositif.

Et financièrement ?

Les tutrices sont indemnisées sur la base de l’indemnité quotidienne pour perte de ressources, à hauteur de 75AMI par jour, une somme financée par le Fonds d’amélioration de la qualité des soins de ville (FAQSV). Quant aux tutorées, « certains cabinets leur reversent 100 % des honoraires correspondant aux actes qu’elles ont effectué à nos côtés, d’autres 80 %, 60 % et d’autres encore rien du tout », explique Marie-Josée Heurtel. Comme elle-même utilisait son véhicule personnel et que le matériel du cabinet était employé lors des soins, elle a choisi de reverser 70 % des honoraires à l’infirmière qu’elle a tutorée. « Je lui ai versé la totalité de l’acompte de la Sécurité sociale au début du tutorat et le solde juste à la fin », détaille l’ex-tutrice.

À quand la généralisation ?

Le dispositif se poursuit jusqu’à la fin de la validité de la convention dans laquelle il est inscrit (arrêté du 18 juillet 2007), c’est-à-dire 2012. Les représentants des infirmières libérales souhaiteraient l’étendre à toute la France. La commission paritaire nationale devrait en étudier la possibilité.

BILAN Le tutorat libéral a cinq ans

→ Entre 2005 et 2009, 51 tutorats ont été réalisés et validés. À l’issue de leur tutorat, 17 infirmières sont devenues remplaçantes, 33 se sont installées (27 en cabinet individuel et 4 dans leur propre cabinet).

→ En 2009, les 12 tutorats validés ont donné lieu à sept installations et cinq remplacements.

→ En 2010, deux tutorats ont été engagés durant les premiers mois et huit autres sont prévus. D’autres pourront avoir lieu avant la fin de l’année.

→ Depuis le début de l’expérimentation du tutorat, fin 2005, les infirmières ayant validé leur tutorat représentent près de 5 % de l’effectif des libérales installées dans la région.