NORD-PAS-DE-CALAIS
Initiatives
Le sport, Véronique Gruson connaît : à 48 ans, elle ne compte plus les coupes et les médailles qu’elle a remportées. Aujourd’hui, cette infirmière libérale consacre son temps libre à l’entraînement et à la préparation de raids extrêmes en pleine nature.
Toute fluette, le cheveu court et l’œil clair, Véronique Gruson a la vivacité d’un oiseau. Ce matin, pour son jour de repos, dans le froid de l’hiver et sur la plaine du Nord où le vent ne rencontre aucun obstacle, elle a couru comme d’habitude. Sanglée dans son équipement de sportive, elle affiche à 48 ans la silhouette d’une athlète parfaitement entraînée depuis des années, même si elle a un peu levé le pied.
Sa timidité d’enfant l’a conduite à cinq ans au cours de judo local mais, ce qui la faisait vibrer, c’étaient les longues virées qu’elle effectuait avec le vélo de course qu’elle s’était offert en participant à la moisson dans les fermes voisines. « Et puis je me suis installée comme infirmière libérale, j’ai travaillé dans ma maison et j’ai mis le sport de côté », raconte-t-elle. Le virus la reprend, pour de bon cette fois, lorsqu’une remarque lui fait prendre conscience que son corps a changé. Faute de temps et d’horaires réguliers, elle décide qu’elle courra. « À mon premier footing, j’ai fait 200 mètres et j’étais violette : je crachais mes poumons, se souvient l’infirmière. La fois suivante, je suis partie dans l’autre sens, vers les champs. J’ai fini par parcourir un kilomètre, puis trois, puis huit au bout de quatre-cinq mois. Comme je faisais attention à ce que je mangeais, je perdais du poids. »
Première course, 8 kilomètres : elle finit 4e des femmes, à sa grande surprise : « Je n’étais si mauvaise que ça ! » Elle enchaîne les petites courses et les podiums. Son mari l’incite à s’inscrire dans un club. Ce sera l’ASPTT de Lille, qui affiche un bon niveau. « J’ai démarré en flèche », note Véronique Gruson. Cinq entraînements par semaine, intégration dans l’équipe de cross, participation aux championnats de France interclubs, par équipe, etc. Elle accumule tant de coupes qu’elle a fini par les entasser dans son grenier ! « Quand je n’avais pas de remplaçante, les jours de course, je faisais la tournée du matin plus tôt ou je transférais certains patients le soir », confie l’infirmière. Mais l’intensité de son activité physique fait apparaître des fractures de fatigue sur les os de ses pieds. Qu’à cela ne tienne, elle se met à l’aquajogging pendant trois mois : la course en gilet flottant !
Sur route, « comme j’étais déjà assez âgée, je faisais le 3 000 m sur piste et pas mal de 10 000 m, poursuit-elle. Je suis devenue complètement accro. Je me levais à 5 heures du matin, je courais à jeun après un dîner de courgettes à l’eau. Je pesais 53 kg et je courais le 10 kilomètres en 37 minutes 30 secondes. Je voulais arriver à 35 ou 34 minutes mais, avec mon travail et mes possibilités d’entraînement, je plafonnais. Pour augmenter mes performances, il aurait fallu que je prenne des saloperies ». À ce niveau-là, elle côtoyait des athlètes qui affichaient des chronos fantastiques en ne mangeant que du fromage blanc… Hors de question pour Véronique : « Je n’avais pas encore d’enfant et je savais que je n’irai pas aux Jeux olympiques. Je gagnais un peu d’argent, mais seulement de quoi me payer mes baskets. » Même en s’entraînant très sérieusement avec son nouveau compagnon, un coureur, lui aussi. Mais aussi un bon vivant, qui l’a convaincue que le menu gastronomique du resto et le chrono du lendemain n’étaient pas incompatibles…
« Je ne vais pas vieillir avec mes coupes », se dit aussi Véronique, qui donne bientôt naissance à une première puis une seconde fille. Entre-temps, son activité libérale augmente au point qu’elle décide de trouver une associée et le temps ainsi libéré est très vite ré-occupé. Elle retrouve la ligne mais pas son niveau précédent, malgré tous ses efforts : « Je me suis rendue à l’évidence, admet-elle. J’avais du travail par-dessus la tête, des enfants à m’occuper… les chronos, c’était fini. » S’ensuivent deux ans de passage à vide. « Je ne voulais pas courir le 10 kilomètres en 50 minutes, souligne Véronique. Ç’aurait été la honte. On m’aurait dit :“t’as pris un coup de vieux !” » Les encouragements de son mari pour qu’elle essaie autre chose restent longtemps lettre morte. Jusqu’en 2008 où elle se laisse tenter par le raid sportif, et pas sous les tropiques, puisque ce genre d’épreuve se contente de n’importe quel environnement naturel. Les organisateurs se chargent de graduer la difficulté. Le Trail de la côte d’Opale exige une course de 33 kilomètres : « Je n’en avais jamais fait autant ! » Le raid extrême en Thiérache, juste après, amène Véronique dans la cour des grands. Elle en a conservé les dossards pleins de boue… « On commence le samedi soir en semi-nocturne par 6 kilomètres à pied à la frontale, dans le bocage, puis 4 kilomètres de canoë. On attaque ensuite 13 kilomètres en forêt de run&bike – l’un court pendant que l’autre pédale et on échange les rôles en cours de route – puis 7 kilomètres de course d’orientation en forêt, toujours de nuit. » L’épreuve se poursuit par du VTT avec road book : 9 kilomètres qui se transforment généralement en 15 ou 20 dans le noir ! Et ce n’est pas fini : l’escalade chronométrée d’un mur attend encore les concurrents puis le tir à l’arc pour les bonifications. Tous s’écroulent à 2 heures du matin et reprennent à 9 h 30 : course à pied, canoë, course d’orientation en VTT avec traçage d’azimuts, à nouveau run&bike. Un programme de folie.
« La première fois, nous étions la deuxième équipe mixte à l’issue de la première journée, s’écrie Véronique Gruson. Le lendemain, nous avions vraiment envie de garder la place et nous avons réussi ! » L’infirmière a retrouvé son niveau d’adrénaline normal. Le dépassement de soi exigé lors de ces premières fois (et des autres !) aura balayé ses premières réticences. « À un moment, nous n’avions pas d’autre choix que de traverser une rivière avec le vélo. Et on y est allé ! »
Premières courses d’orientation, premiers podiums, encore une fois, mais en couple. Dans le Nord, comme la Val’motivée, par exemple, mais aussi dans le Sud, avec le Trail des Balcons d’azur, à Fréjus. « C’est un trail dans l’Esterel avec six cols à franchir, un truc de fous, s’exclame Véronique. On longe la mer… C’est un paysage magnifique. Mais on a passé six heures sous les trombes d’eau avant qu’il fasse beau. C’était une très, très belle expérience ! »
« Maintenant, je ne fais plus que des courses nature, souligne l’infirmière. Évoluer dans de beaux paysages, être immergée dans la forêt, traverser des rivières, des cascades, courir en montagne, même si c’est difficile, m’apporte un grand bien-être. Quand je cours, je me sens bien. C’est bon pour ma forme et pour mon esprit. Se dépasser aide aussi à relativiser les choses. »
Désormais, elle s’entraîne deux à trois fois par semaine. Et si elle n’a pas toujours l’énergie de courir après la tournée des quarante-cinqmaisons du matin, il lui arrive de se rendre en courant chez certains de ses patients… Beaucoup la considèrent comme une “vedette” et découpent les coupures de journaux qui parlent d’elle : de vrais fans !
De son côté, Véronique Gruson a toujours des projets en tête. Quand nous la rencontrons, elle vise un nouvel objectif : le Merrell Oxygene Challenge du Lioran, sur quatre jours. Des côtes à 20 % à gravir le plus vite possible, des kilomètres de course…
Durant les vacances, c’est sport, encore. « Nous avons trouvé la solution, le VVF : pendant que les filles vont au club, nous partons courir en moyenne montagne, nager, faire du VTT, du vélo, de la course d’orientation quand il y a des circuits. Nous avons aussi goûté au canyoning, à la via ferrata, à la tyrolienne, pour me dépasser car je ne suis pas très à l’aise dans le milieu gazeux. »
L’hiver, ski de fond et raquettes prennent le relai pour des kilomètres de balade sportive. Pas étonnant que cette infirmière se sente dans une forme olympique. À 48 ans cependant, des soucis de dos sont apparus et son médecin aimerait lui faire passer un bilan et une épreuve d’effort alors que « dans ma tête, constate-t-elle, j’ai toujours 20 ans ! ». Et parfois des envies d’ailleurs : tant de magnifiques raids sont organisés dans des lieux de rêve, comme le Marathon des sables, par exemple… Mais, côté logistique et financier, c’est bien moins facile à organiser. En attendant, elle court toujours.
Véronique Gruson a grandi à la Chapelle d’Armentières, près de Lille, où elle exerce depuis 1984. L’infirmière libérale qui suivait ses parents l’a fortement encouragée dans ses études, attendant impatiemment qu’elle obtienne son DE… pour lui proposer de la remplacer ! « J’aimais le libéral, se rappelle-t-elle. Cela me plaisait d’être seule face à une difficulté et j’étais déjà très indépendante. » À peine son diplôme obtenu, le 30 juin 1984, l’infirmière locale l’embarque pour lui faire goûter à la tournée. Quatorze jours plus tard exactement – sans être passée, comme c’était possible à l’époque, par la case “hôpital” –, Véronique Gruson s’installe en libéral. D’abord en tant que remplaçante de cette infirmière. Puis son offre de service parue dans le journal lui permet d’être embauchée pendant le congé maternité d’une libérale du village voisin. « Je travaillais parfois pour les deux, du matin au soir ! », souligne-t-elle. Au début, comme elle faisait très jeune, à 21 ans à peine, certains patients doutaient de ses compétences. « Il m’a fallu cinq ans pour me faire une place, ajoute Véronique, et dix pour obtenir la confiance absolue des patients. »