L'infirmière Libérale Magazine n° 260 du 01/06/2010

 

PROFESSION

Actualité

MARJOLAINE DIHL  

RECOMMANDATIONS→ La Haute Autorité de santé dénonce une utilisation excessive des gazes stériles et suggère une réduction des situations de soins pris en charge. De quoi provoquer une levée de boucliers chez les professionnels de santé.

Après la polémique autour d’un éventuel déremboursement des sets de pansements (cf. ILM n° 254, décembre 2009), voici le tour des compresses stériles. En cause, l’avis rendu le 12 janvier par la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (Cnedimts). Cette fois-ci, les experts de la Haute Autorité de santé (HAS) recommandent à l’État de « prévoir la possibilité de confectionner des pansements avec des compresses non stériles dans les situations concernées [par] l’absence de justification médicale à l’utilisation de compresses stériles dans les soins non aseptiques, comme les plaies chroniques ». Sont donc pointés le nettoyage des plaies ou de la peau saine en situation péri-opératoire (préparation de site opératoire et soins post-opératoires) et dans le cas de plaies aiguës à risque infectieux (notamment brûlures), ainsi que les pansements en soins post-opératoires et pour des plaies aiguës à risque infectieux. Ces quelques lignes ont suffit à allumer le feu au sein du syndicat de l’industrie des dispositifs des soins médicaux (Appamed), suivi de près par la Fédération nationale des infirmiers (FNI).

Effervescence

Depuis le mois de février, c’est le branle-bas de combat. « Il y a un vrai problème de santé publique », assène le délégué général de l’Appamed Philippe Rouard. Une crainte que partage Philippe Tisserand, président de la FNI : « L’avis de la Cnedimts n’est pas du tout argumenté. Que dire des plaies chroniques que peuvent présenter les diabétiques ? » Ses inquiétudes portent également sur les compresses elles-mêmes. Aussi mentionne-t-il les conditions de transport : « Elles peuvent venir de n’importe où et on a vu ce que cela pouvait donner avec des canapés ! » Avant d’évoquer une autre incertitude concernant les méthodes de conservation : « Les critères d’hygiène sont très variables d’un foyer à l’autre. » Entre la présence d’animaux domestiques et l’insalubrité des logements, le président de la FNI redoute les risques de contamination et, de ce fait, la responsabilité accrue portée par les infirmières.

Dernier avis de la HAS

La HAS préfère relativiser : « On ne peut pas utiliser des compresses stériles chez tout le monde sous prétexte qu’il y a quelques appartements insalubres, insiste Catherine Denis, chef du service évaluation des dispositifs. Les industriels doivent peut-être réfléchir à de plus petits conditionnements. »

Dans un courrier adressé le 10 mars à Olivier Dussopt, député de l’Ardèche*, la ministre de la Santé reprend l’argumentaire de la HAS. Elle plaide ainsi pour des compresses stériles « dans le nettoyage de plaies ne nécessitant pas de soins aseptiques ou le nettoyage de la peau saine […]. Il n’y aurait aucun intérêt à utiliser, pour le simple nettoyage de la peau saine, des compresses stériles là où les compresses non stériles ont le même effet ». Et Philippe Rouard de pester contre la ministre qu’il estime « à côté de la plaque ».

Roselyne Bachelot aurait-elle revu son jugement ? Peut-être car, sollicité par nos soins, son cabinet répondait fin avril qu’il n’avait « pas de réaction pour le moment » et disait attendre « un dernier avis de la HAS ». Reste que la HAS semble aussi dans l’expectative…

*Sollicité, le parlementaire PS avait en effet relayé les alertes de l’Appamed auprès de la ministre.

*Organisation internationale à but non lucratif, reconnue depuis 1993 pour le sérieux et l’indépendance de ses expertises « santé ». Plus d’infos sur www2.cochrane.org/fre.

3 questions à

Dr Catherine Denis, chef du service évaluation des dispositifs à la HAS

Pourquoi recommandez-vous de réduire l’usage des compresses stériles ? Pour la plupart des plaies chroniques, il n’est pas utile de s’en servir. Il y a une incohérence chez certaines personnes qui utilisent des gants non stériles avec des compresses stériles. De plus, la Cochrane Collaboration a publié une étude en 2008 – actualisée en avril 2010 – qui montre que l’eau du robinet convient très bien pour nettoyer les plaies. Il est donc un peu bête d’employer des compresses stériles avec de l’eau du robinet…

À quelles plaies chroniques pensez-vous ? Nous n’avons pas donné d’exemples. À chaque fois que l’on dresse une liste, c’est embêtant pour le professionnel de santé. On le laisse donc à son appréciation. En cas de problème avec la caisse d’Assurance maladie, il faut argumenter et, en général, c’est accepté. Si le professionnel dit qu’il va dans un appartement insalubre, ce ne sera pas accepté. En revanche, ce sera admis s’il évoque un problème de plaie infectée.

Quelle sera la suite donnée à vos recommandations ? L’avis de la Cnedimts a été envoyé au ministre. On nous avait annoncé que l’arrêté serait publié fin janvier, or début mai ce n’était toujours pas le cas. Le ministère est libre de faire ce qu’il veut. Il peut élargir les indications, comme les restreindre.

L’eau du robinet au secours des soins ?

Dans son rapport intitulé Ressources pour les séismes survenus en Haïti et Chili, paru en mars 2010, la Cochrane Collaboration* évoque de nouveau les bienfaits de l’eau du robinet. Dans son argumentaire relatif à l’usage des compresses stériles, la Cnedimts se réfère d’ailleurs à ce document. On peut ainsi y lire qu’il « n’a pas été démontré que le fait d’utiliser de l’eau du robinet pour nettoyer les plaies ouvertes chez des adultes provoquait une augmentation des infections. Il a même été montré que cela les diminuait. En absence d’eau courante, de l’eau bouillie puis refroidie ou de l’eau distillée peut être utilisée pour nettoyer les plaies ouverte ». Reste à savoir comment il faut comprendre cette remarque, et notamment si cela vaut aussi en situation normale, en dehors de toutes catastrophes naturelles… Dans l’abstract de l’étude citée, les auteurs – en l’occurrence Ritin Fernandez, Rhonda Griffiths et Cheryl Ussia, chercheurs à l’University of Western Sydney (Australie) – constatent en effet que l’eau potable peut être aussi bonne que l’eau stérilisée. Ils ajoutent néanmoins que « de plus amples recherches sont nécessaires »…

EN CHIFFRES

→ 230 000 euros ont été versés en 2008 par l’Assurance maladie pour rembourser des compresses non stériles contre 50 millions pour les compresses stériles.

→ 5 types de soins méritent, selon la HAS, des compresses stériles : plaies aiguës exsudatives, plaies chroniques exsudatives, plaies aiguës à risque infectieux, nettoyage en situation péri-opératoire, pansements post-opératoires.