L'infirmière Libérale Magazine n° 260 du 01/06/2010

 

Cahier de formation

Savoir faire

Les cytotoxiques ne sont pas sélectifs des cellules cancéreuses, et sont de ce fait responsables de nombreux et importants effets indésirables, imposant une surveillance particulière. Par ailleurs, l’arrivée des thérapies ciblées est génératrice de nouveaux effets indésirables jusqu’alors peu courants en cancérologie. Aussi est-il primordial pour les infirmiers de bien en connaître les différents effets.

Infirmier dans le cadre d’un réseau de cancérologie, vous recevez un coup de téléphone de la maman de Jules, 7 ans, traité pour une leucémie aiguë lymphoblastique par du méthotrexate par voie parentérale. Cela fait quelques jours à peine que vous avez pratiqué la dernière injection et, aujourd’hui, Jules a de la fièvre : sa maman voudrait savoir si elle peut lui donner du paracétamol ou de l’ibuprofène.

L’automédication est une attitude à bannir, a fortiori dans le cas présent. En effet, l’hyperthermie de Jules est un signe clinique évocateur d’un possible état infectieux, qui pourrait être corrélé à une leucopénie induite par la chimiothérapie. En outre, il peut y avoir une interaction entre l’ibuprofène et le méthotrexate : en effet, les AINS majorent la toxicité hématologique du méthotrexate. Encouragez donc la maman de Jules à consulter au plus vite un médecin pour faire pratiquer un bilan sanguin.

TOXICITÉ HÉMATOLOGIQUE

Leucopénie

La baisse des globules blancs commence vers le troisième ou quatrième jour de la chimiothérapie et se poursuit jusqu’au nadir (taux le plus bas), qui survient environ dix jours après le début du traitement. La neutropénie chimio-induite représente une menace pour le bon déroulement du traitement, en raison de ses complications infectieuses. Devant une neutropénie (polynucléaires inférieurs à 1 000/mm3), deux situations peuvent être envisagées :

→ en cas de neutropénie sans signe infectieux : le patient reste à son domicile et surveille sa température ;

→ en cas de neutropénie avec fièvre associée : l’hospitalisation peut être justifiée pour rechercher soigneusement l’étiologie infectieuse et instaurer une antibiothérapie à large spectre. Le malade est alors placé en chambre individuelle avec des précautions d’asepsie.

Les facteurs de croissance leucocytaire (Neupogen®, Neulasta®, Granocyte®) permettent de corriger la neutropénie.

Thrombopénie

Elle se traduit par du purpura, des saignements externes (épistaxis, gingivorragies) ou internes (saignements digestifs, hématuries). Elle est menaçante lorsque le taux de plaquettes est inférieur à 25 000/mm3. Elle est fréquente avec les nitroso-urées, la gemcitabine, la capécitabine, ainsi qu’avec les inhibiteurs de récepteurs tyrosine-kinases qui interagissent avec l’angiogénèse (sorafénib et sunitinib). Elle peut nécessiter la transfusion de culots plaquettaires.

Anémie

Elle se traduit par une dyspnée, une pâleur, une hypotension, une asthénie. Elle se traite par érythropoïétines. Elle peut être sévère dans certains cas, avec une Hb inférieure à 7 g/dl, et nécessiter une transfusion.

Fatigue

La fatigue est un effet indésirable pratiquement constant de la chimiothérapie, mais très souvent sous-estimé par les médecins. Elle peut être liée au cancer lui-même, aux répercussions psychologiques du diagnostic, mais aussi à l’anémie chimio-induite.

D’après l’enquête “Regards-croisés” publiée ce mois-ci, réalisée par le laboratoire Amgen auprès de 300 patients cancéreux et de 359 professionnels de santé (dont 250 médecins et 109 infirmiers), la fatigue ressort comme l’effet indésirable le plus fréquemment rapporté par les patients (77 % des cas). Les résultats de cette enquête devraient non seulement permettre une meilleure prise en compte de cet effet, mais aussi de son impact sur la qualité de vie des patients.

TOXICITÉ DIGESTIVE

Nausées et vomissements

Ils peuvent être de trois types :

→ anticipatoires : liés à l’anxiété et prévenus par benzodiazépines ;

→ précoces : débutant dans les heures suivant l’administration de la chimiothérapie ;

→ retardés : survenant dans les jours suivant l’administration de la chimiothérapie.

Ils peuvent être prévenus par des antagonistes sérotoninergiques (ou sétrons) type Zophren®, ou des antagonistes dopaminergiques type Primpéran® ou Vogalène®, éventuellement associés à des corticoïdes.

L’Emend® (aprépitant) peut encore être utilisé en association dans certains protocoles anti-émétiques pour prévenir nausées et vomissements induits par les chimiothérapies moyennement à hautement émétisantes.

Troubles de transit

→ Diarrhées, marquées sous erlotinib et capécitabine en particulier, et dont les causes peuvent être multiples : irritation de la muqueuse intestinale et stimulation du péristaltisme par les cytotoxiques, ou origine infectieuse, favorisée par une immunodépression. Elles peuvent être sévères et mener à une déshydratation et une hypokaliémie.

→ Constipation, plus rare liée à une neurotoxicité périphérique, en particulier sous vinca-alcaloïdes. La constipation chimio-induite peut être majorée par un traitement antalgique morphinique ou par un traitement anti-émétique antagoniste sérotoninergique.

Dysgueusie

Certains anticancéreux peuvent induire des troubles gustatifs (goût métallique dans la bouche), parfois liés à une hyposialie, ainsi qu’une hypersensibilité olfactive (rendant désagréables certaines odeurs alimentaires ainsi que les odeurs de peinture, tabac, parfum). Ces troubles, perturbant l’appétit, sont facteurs de dénutrition.

TOXICITÉ CUTANÉO-MUQUEUSE ET PHANÉRIENNE

Alopécie

Se traduisant par une perte des cheveux et des poils (dont cils et sourcils), elle est due à une destruction des cellules des bulbes pileux par les cytotoxiques. Particulièrement fréquente avec le cyclophosphamide et les anthracyclines, l’alopécie est certainement l’un des effets indésirables les plus redoutés des patients, imposant la maladie dans leurs relations socio-affectives.

Mucites

Il s’agit d’inflammations des muqueuses, buccale en particulier, apparaissant une à deux semaines après le début du traitement, débutant par un érythème et évoluant en ulcérations à l’emporte-pièce. Elles représentent une complication fréquente et pénible de la chimiothérapie, responsable de douleur, de dénutrition, et de surinfections candidosiques, herpétiques ou bactériennes, qui majorent la dysgueusie.

Syndrôme main-pied

Appelé aussi érythrodysesthésie palmoplantaire ou encore érythème des extrémités chimio-induit, il se caractérise par une rougeur, une sensibilité des mains ou des pieds, et éventuellement par un œdème ou une desquamation. Il est fréquent avec la capécitabine et le sorafénib.

Atteintes unguéales

Avec troubles de la pigmentation unguéale (coloration jaunâtre), et atteintes diverses (ongles dédoublés, striés, cassants), en particulier sous cyclophosphamide, sorafénib et sunitinib.

Autres

→ Réactions d’hypersensibilité cutanée à type de syndromes de Lyell (dermatose bulleuse géante) ou de Stevens-Johnson (desquamation cutanée), sous cyclophosphamide et fludarabine, par exemple.

→ Retard de cicatrisation des plaies, sous inhibiteurs de récepteurs ­tyrosine-kinases interagissant avec l’angiogénèse.

→ Sécheresse cutanéo-muqueuse.

→ Réactions acnéïformes, s’observant avec certains inhibiteurs de récepteurs tyrosine-kinases. Cet acné doit être traité à l’instar de l’acné ­juvénile.

→ Photosensibilisation, notamment avec la capécitabine, le méthotrexate, le tégafur/uracile, les anthracyclines, certains vinca-alcaloïdes, et certains inhibiteurs de récepteurs tyrosine–kinases.

→ Conjonctivite sous erlotinib.

→ Réaction caustique au point d’injection lors d’une administration parentérale, avec un risque d’extravasation.

TOXICITÉS ORGANIQUES SPÉCIFIQUES

Toxicité cardiovasculaire

→ Risque de troubles du rythme cardiaque et d’insuffisance cardiaque avec les anthracyclines, dont la cardiotoxicité peut être prévenue par la dexrazoxane (Cardioxane®).

→ Risque d’hypertension artérielle sous sunitinib et sorafénib.

→ Risque de maladies thrombo-emboliques, de thromboses dans les membres du côté où est implanté le cathéter, dans le cas d’une administration injectable avec chambre implantable, nécessitant une mise sous anti-agrégants plaquettaires ou anti-coagulants, voire l’exérèse de la chambre.

Toxicité vésicale et rénale

→ Le cyclophosphamide peut induire des cystites hémorragiques par accumulation de son métabolite urotoxique, appelé acroléïne dans la vessie. Cette urotoxicité dose-dépendante peut être prévenue par le mesna (Uromitexan®) et une hydratation abondante.

→ Le méthotrexate peut précipiter dans les urines : une hydratation abondante sera alors nécessaire en début de traitement.

→ Losque la masse tumorale est importante, les cytotoxiques peuvent induire une hyperuricémie, consécutive à une lyse cellulaire massive, prévenue par l’allopurinol (Zyloric®).

Toxicité neurologique

À type de polynévrites, par- ou dysesthésies, crampes ou convulsions, en particulier sous vinca-alcaloïdes.

Toxicité pulmonaire

À type de fibrose pulmonaire sous busulfan et bléomycine, de pneumopathie interstitielle sous cyclophosphamide et fludarabine.

Toxicité hépatique

En particulier sous méthotrexate et mercaptopurine.

AUTRES TOXICITÉS

→ Gonadique et fœtale : oligo-azoospermie chez l’homme pouvant justifier une congélation du sperme, aménorrhée inconstamment réversible chez la femme, et effets mutagènes et tératogènes nécessitant une contraception efficace dans certains cas.

→ Myélotoxicité : avec une augmentation du risque de leucémies secondaires.

Question de patient

Pour ne pas vomir, le médecin m’a prescrit des comprimés de Zophren® à 8 mg, sur une ordonnance spéciale bleue. À la pharmacie, on a expliqué à mon mari qu’il s’agissait d’un médicament d’exception. Pouvez-vous m’en dire plus ?

Les médicaments d’exception sont des médicaments onéreux, qui ne sont remboursés que dans certaines indications, c’est pourquoi ils doivent être prescrit sur une ordonnance spéciale. Ils sont identifiables par leur vignette bordée d’un liseré vert. Ici, les comprimés de Zophren® ne sont remboursés que pour prévenir les nausées et vomissements induits par la chimio ou la radiothérapie.

Les trois grades du syndrome main-pied

Il existe trois grades d’érythrodysesthésie palmoplantaire, dont la définition dépend des signes cliniques observés.

Grade 1 : défini cliniquement par un engourdissement, des dys- ou paresthésies, des fourmillements, un œdème sans douleur ou un érythème des mains et/ou des pieds, et/ou un inconfort qui n’empêchent pas les activités normales.

Grade 2 : présence d’un érythème douloureux et d’un œdème des mains et/ou des pieds, et/ou inconfort entraînant une gêne du patient dans ses activités quotidiennes.

Grade 3 : présence d’une desquamation humide, d’ulcérations, vésications, douleurs sévères et/ou inconfort sévère empêchant le patient de travailler ou d’effectuer des activités quotidiennes.

En pratique, une gêne dans les activités quotidiennes (comme dans le boutonnage des vêtements) doit alerter l’infirmier. En effet, les grades2 et 3 justifient un arrêt du traitement jusqu’à régression des symptômes et une revue des posologies à la baisse.

Le syndrome de lyse

En détruisant des tumeurs dont la masse est élevée ou dont les cellules sont à renouvellement rapide, la chimiothérapie peut provoquer une lyse cellulaire importante, dont la complication redoutable est l’insuffisance rénale aiguë. Cette lyse est caractérisée au plan biologique par une hyperuri-cémie, une hyperkaliémie ainsi qu’une hyperphosphatémie.

Ce syndrome peut être prévenu par une hydratation abondante, surtout en début de traitement cytotoxique, une alcalinisation des urines, voire un traitement hypo-uricémiant, mais également par une surveillance étroite de la diurèse et du ionogramme sanguin.