Picardie
Initiatives
REPORTAGE TEXTE FRANÇOISE VLAEMŸNCK ET PHOTOS DE BENJAMIN GÉMINEL
À la retraite depuis janvier, Annick Pépin, infirmière libérale durant plus de trente ans en pays de Thiérache, continue de prodiguer ses soins à l’hôpital et fait de la prévention santé dans les villages environnants au volant d’un camping-car.
Annick Pépin, rue de la Bouteille à Fontaine-lès-Vervins (comprenez les “vins verts”…). Avec une telle carte de visite, rien d’étonnant à ce que notre ex-infirmière libérale anime une consultation hospitalière dédiée aux personnes alcoolo-dépendantes… Plus sérieusement, ce serait oublier un peu vite que Vervins, sis au cœur de la Thiérache dans l’Aisne, abritait jadis un joli petit vignoble désormais disparu. Bien d’autres choses ont d’ailleurs déserté des villages ruraux et agricoles alentour. Et si la région ne se meurt pas, elle se bat pour survivre. Nombre de communes prostrées dans le bocage n’ont déjà plus d’école, plus de boulangerie, plus d’épicerie, plus de médecin, plus de curé et – malheur de la désertification – même plus de bistrot !
Dans un périmètre de dix kilomètres autour de Fontaine, peu de fesses ont échappé à la seringue de Annick Pépin. « Je connais beaucoup de monde, en effet… », s’amuse-t-elle. Pendant plus de trente ans, elle a sillonné routes secondaires comme chemins de ferme et arpenté la RN2 qui balafre la Thiérache pour piquer, panser et toiletter. Ou encore réconforter un moral en berne, apporter courses et médicaments aux plus isolés ou aux moins mobiles et donner de son temps six jours sur sept, cinquante semaines par an.
Fille de modestes fermiers, Annick Pépin revendique fièrement ses origines paysannes. « Ma mère a toujours souhaité que j’aille à l’école. Comme beaucoup de filles de ma génération, je voulais devenir institutrice. Mais je n’étais pas trop sûre de mon choix. On m’a donc orientée en comptabilité. C’était très barbant. J’ai tenu un an », avoue-t-elle. L’été de ses 17 ans, elle parcourt distraitement un magazine. Son attention est alors retenue par une réclame pleine de promesses d’avenir : « Devenez infirmière ! » « Ça a fait tilt, assure-t-elle. Je me suis inscrite dans une école préparatoire, puis j’ai intégré l’école infirmière. Pas de doute, j’étais faite pour ce métier. » Diplômée en 1968, elle prend son service en chirurgie à l’hôpital de Péronne (Somme). Elle y restera trois ans. Le temps de rencontrer son futur époux, admis en urgence pour une appendicectomie. Du couple naîtront trois filles, dont l’une est devenue infirmière hospitalière et une autre institutrice.
C’est alors que l’infirmière libérale de Vervins décède accidentellement. Désemparé – car on ne se bouscule pas pour travailler dans la contrée –, le maire de la commune demande à Annick Pépin, qui en est native, de s’y installer en libérale.
Elle se lance. « Jamais je n’avais pensé devenir libérale. D’ailleurs, à mes yeux, les libérales n’étaient pas tout à fait des infirmières… Les vraies étaient à l’hôpital », reconnaît-elle. Malgré ses a priori, elle n’a jamais regretté son choix. Et elle qui aime tant le petit peuple de sa campagne allait être servie. « Bien sûr, une injection, c’est important. Mais un service, une présence, l’écoute, l’empathie… sont pour certains plus essentiels encore que le traitement lui-même. Je me souviens qu’en arrivant chez les personnes âgées, j’allumais le feu et ce n’était qu’après que nous passions aux soins, parfois avec les poules sur la table. Ensuite, je donnais à manger au chien. Infirmière de campagne, c’était aussi ça », lance-t-elle. Du côté des soins, rien de très complexe. « On posait parfois des perfusions et, à cette période, les cathéters n’existaient pas. Mais, dans l’ensemble, cela se limitait à des injections, des prises de sang et des pansements. En revanche, chaque soir, après la tournée, il fallait encore nettoyer et stériliser les seringues en verre, les aiguilles en fer et tout le toutim. Ce n’était pas une sinécure. L’arrivée des seringues jetables fut une libération », se remémore-t-elle.
En fait, le plus difficile pour Annick Pépin fut de travailler sans remplacement et de suivre la cadence des vieux médecins de campagne qui n’hésitaient pas à la tirer du lit en pleine nuit pour qu’elle se rende chez un patient. À 54 ans, un peu fatiguée par ce rythme – les six dernières années elle faisait également office d’infirmière scolaire dans un collège-pensionnat en assurant trois permanences par jour – Annick Pépin décide de retourner à la case départ : l’hôpital.
C’est au cours de ses dernières années de service à Vervins qu’Annick Pépin commence à participer à la prise en charge de personnes alcoolo-dépendantes au sein d’une consultation infirmière. Elle l’avoue sans détour, les premiers contacts avec ces patients n’ont pas été simples. Puis, à force de les côtoyer, sa perception a beaucoup évolué.
« La plupart d’entre eux sont cabossés par la vie et traînent des problèmes sociaux importants qui ne font qu’accentuer leurs souffrances car, avant tout, ce sont des personnes malades. Parfois, certains arrivent avec rien sur le dos… », témoigne-t-elle. Annick Pépin ratisse alors le fond de ses armoires pour leur dégoter qui un pull, qui une chemise, qui une veste.
Là encore, c’est l’attention qui prime dans sa pratique. « Il faut prendre le temps d’écouter leur histoire. Certaines sont impensables. Si, humainement, il s’agit d’une expérience forte, c’est dur de les extraire de cette spirale. Mais notre travail consiste à leur dire que c’est possible », livre-t-elle. Comme l’hôpital peine à recruter du personnel « et qu’il faut bien que les collègues partent en vacances », Annick Pépin assure régulièrement des remplacements à l’hôpital. Elle y consacrera une partie de l’été. En attendant, elle a décidé de prendre la route…
Comme nombre de territoires confrontés à la désertification médicale, la Picardie affiche de mauvais indicateurs de santé. Les Picards ayant un recours aux soins particulièrement tardif, la région connaît ainsi une surmortalité significative par rapport à la moyenne nationale. D’où l’idée, fin 2009, de créer un bus de prévention santé itinérant.
La Mutualité française, les collectivités locales, l’Agence régionale de l’hospitalisation et les hôpitaux thiérachois, entre autres, se sont associés pour aller au-devant de la population vivant en zone rurale. L’objectif est de proposer des actions de sensibilisation, de prévention, de dépistage et de repérage, principalement sur les thématiques suivantes : maladies cardiovasculaires, diabète de type 2, vaccination, addictions et dépendance, cancers du sein, du côlon, du col de l’utérus. Pour animer cette expérimentation, les initiateurs ont fait appel à des infirmières volontaires pour battre la campagne. « D’emblée, j’ai trouvé le projet intéressant, dit Annick Pépin. Et parler avec les gens, j’adore ça ! » Au cours des entretiens, certains – hommes comme femmes – évoquent aussi des sujets, comme la sexualité, qu’ils n’oseraient pas aborder avec leur médecin ou leur entourage. Là encore, il faut être à leur écoute, les rassurer et, le cas échéant, les orienter vers des spécialistes.
Mais, pour être efficace, retient Annick Pépin, il faudrait que le bus tourne toute l’année. Or, pour l’instant, les moyens manquent, et le bus vient de quitter la Thiérache pour rejoindre le Grand Beauvaisis dans l’ouest de l’Oise où d’autres infirmières prendront alors le relais. La fin de cette première campagne de prévention prive aussi Annick Pépin d’un petit pécule supplémentaire. Avec ses 850euros de retraite par mois pour 41 années de cotisation, pas de quoi faire des écarts, en effet. Devenez infirmière, qu’y disaient…