L'infirmière Libérale Magazine n° 262 du 01/09/2010

 

Le débat

La Conférence internationale sur le VIH qui s’est tenue à Vienne cet été aura amené Roselyne Bachelot à prendre position pour des salles de consommation à moindre risque (cf. pages 6-7). Mais la situation des détenus toxicomanes reste dans l’ombre. Le Conseil national du sida, qui dénonce cet oubli, propose l’expérimentation de programmes d’échanges de seringues en prison.

Willy Rozenbaum,

président du Conseil national du sida (CNS)

Comment les détenus toxicomanes sont-ils pris en charge ?

Il faut rappeler deux éléments très forts. D’une part, la prison est une privation de liberté et pas une privation de l’accès au soin et à la prévention. C’est un principe démocratique majeur qu’il convient de respecter. D’autre part, c’est un problème de santé publique. On se doute que les usagers de drogues représentent un pourcentage significatif de la population carcérale. Or la prison n’empêche pas le recours à des drogues diverses et variées, y compris des tranquillisants ou autres substances psychoactives. Beaucoup de personnes incarcérées souffrent de troubles de l’humeur et bénéficient de traitement à base de substances psychoactives. La tendance à se les injecter peut en concerner un certain nombre… Évidemment, ce n’est pas affiché !

D’après les données actuelles, la prison réduit-elle la propagation de maladies infectieuses ?

On ne dispose pas de chiffres en France, ni sur l’incidence, ni sur la prévalence, ni sur le nombre de contaminations à l’intérieur des prisons, ni sur le nombre total de personnes contaminées. Mais on a quand même des indicateurs qui montrent que, pour le VIH et surtout pour l’hépatite C, on est sur des proportions beaucoup plus importantes que dans la population en général. Cela sont à la fois des foyers de contamination possibles…

Un programme d’échange de seringues est-il envisageable pour réduire les risques de contamination ?

C’est une méthode unanimement reconnue comme pouvant apporter des solutions. Mais elle n’est pas utilisée en France, alors qu’elle l’est dans plusieurs pays européens… Même en Iran et dans certaines Républiques de l’ex-Union soviétique, des programmes de ce type-là sont mis en place ! Ils ont fait leurs preuves non seulement en termes de santé publique, mais aussi concernant l’apaisement des tensions que l’on peut rencontrer dans les lieux d’incarcération. Nous avons bien conscience que ces politiques de réduction des risques peuvent poser problème en milieu carcéral. Dans un premier temps, il faudrait, au moins, mener des projets pilotes et les évaluer. La loi garantit la mise en œuvre la plus complète de mesures de réduction des risques mais ce n’est pas appliqué en prison. À notre sens, l’administration contrevient à la loi.

Jean-Luc Préel,

député de Vendée (Nouveau Centre), médecin et vice-président de la commission des affaires sociales

Comment les détenus toxicomanes sont-ils pris en charge ?

La prison n’est peut-être pas un lieu très adapté pour les toxicomanes utilisateurs. Il vaudrait beaucoup mieux qu’ils soient dans un centre pour se soigner et se désintoxiquer. Passée la période de désintoxication, ils pourraient alors être sanctionnés. C’est ce que je pense en tant que médecin. Mais mon expérience est relativement limitée. Je connais la prison de la Roche-sur-Yon. D’après l’infirmière qui y travaille, la prise en charge n’est pas trop mauvaise. Mais c’est loin d’être simple.

D’après les données actuelles, la prison réduit-elle la propagation de maladies infectieuses ?

Je n’ai jamais bien compris comment la circulation de seringues pouvait se produire en prison… Je n’ai pas l’expérience des grandes prisons. En Vendée, l’établissement est de taille humaine. Les détenus sont environ 80. Les surveillants les connaissent bien. Je suis peut-être naïf mais il me semble que la circulation de seringues est un épiphénomène. Théoriquement, on ne comprend pas comment c’est possible. Tout comme les relations sexuelles en prison…

Un programme d’échange de seringues est-il envisageable pour réduire les risques de contamination ?

Je pense que les toxicomanes, simples utilisateurs, n’ont rien à faire en prison. Je ne vois pas pourquoi des personnes qui ont besoin d’injections régulières se retrouvent en prison sur ce seul motif. Mais je ne suis ni juge, ni policier… Une expérience conduite à Lyon me semble intéressante [à savoir l’UHSA, première Unité hospitalière spécialement aménagée de France, ndlr]. Le principe de placer des délinquants dans des services médicaux spécialisés hors de prison me paraît une évolution souhaitable, tout comme le recours aux traitements de substitution. En revanche, que ce soit l’État qui propose des échanges de seringues, cela me semble un peu surréaliste. Même si l’idée est pragmatique.

* La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les toxicomanies (MILDT) et le ministère de l’Intérieur n’ont pas souhaité donner suite à notre demande d’interview. Quant à la Direction générale de la santé, elle n’a pas été en mesure de nous mettre en relation avec un responsable susceptible de répondre à l’ensemble de nos questions.