L'infirmière Libérale Magazine n° 262 du 01/09/2010

 

Cahier de formation

Savoir faire

Benoît, 8 ans, revient de l’école avec une bosse sur le front. Sa mère appelle l’infirmière libérale qui le suit, bien que ce ne soit pas le jour prévu pour la prophylaxie. Que faire ?

Si vous ne vous trouvez pas trop loin, vous vous rendez chez Benoît et posez de la glace sur son front pendant au moins un quart d’heure. Pendant ce temps, vous l’interrogez pour détecter un éventuel traumatisme cérébral : a-t-il mal à la tête, ses propos sont-ils cohérents, a-t-il eu des nausées ou des vomissements ? Puis vous appelez le CTH rapidement pour décrire la situation. Si le CTH demande à voir Benoît, vous l’y envoyez avec sa mère. Sinon, vous pratiquez l’injection de facteur anti-hémophilique et repassez le lendemain en fonction de la prescription du CTH.

TRAITEMENT À LA DEMANDE OU PRÉVENTIF

Les facteurs anti-hémophiliques peuvent être administrés à la suite d’une hémorragie (on parle alors de traitement “à la demande”) ou en prévention des saignements : il s’agit alors de la prophylaxie. La prophylaxie consiste à répéter les injections pour maintenir un taux de facteur VIII ou IX suffisant dans le sang. Systématiquement proposée aux enfants hémophiles sévères, elle permet de transformer leur maladie en hémophilie modérée. La précocité d’initiation de la prophylaxie est reconnue comme un facteur essentiel pour préserver l’état articulaire à l’âge adulte.

→ La prophylaxie primaire désigne un traitement préventif commencé précocement, avant tout accident hémorragique articulaire. Il vise à éviter tout accident hémorragique, en perfusant les enfants tous les deux ou trois jours, dès qu’ils sont en âge de marcher. L’objectif est que les enfants atteignent l’âge adulte sans séquelles articulaires. Elle intervient dès le premier saignement, avant l’âge de deux ans.

→ La prophylaxie secondaire débute après deux saignements ou après l’âge de deux ans.

→ La prophylaxie secondaire périodique désigne un traitement préventif mais limité à certaines circonstances (opération chirurgicale, rééducation, etc.) et à une période déterminée. Cette forme de prophylaxie touche aussi les adultes.

TRAITEMENT À DOMICILE ET AUTOTRAITEMENT

Le traitement à domicile désigne le fait d’injecter à un hémophile, en dehors de l’hôpital, un médicament anti-hémophilique, lors d’un accident hémorragique ou en cas de prophylaxie. Réservé aux hémophiles sévères, il est recommandé pour favoriser l’autonomie et une meilleure qualité de vie. En cas d’accident hémorragique, le traitement à domicile permet de traiter au plus vite et de minimiser les risques de séquelles invalidantes. L’injection peut être réalisée par une infirmière libérale, un médecin, un proche, ou par l’hémophile lui-même, s’il a été formé préalablement : on parle alors d’autotraitement.

Les parents peuvent réaliser les injections sur leur enfant à partir du moment où celui-ci a 4-5 ans, et après avoir suivi une formation au CTH. Avant cet âge, en général, c’est une infirmière libérale qui pratique les injections à domicile.

Pour l’autotraitement, l’hémophile doit avoir été formé grâce à un stage mis en place par le médecin du CTH. Les enfants peuvent s’autotraiter à partir de l’âge de 10-13 ans, en fonction de leur tempérament et de leur autonomie.

Une double responsabilité

Le traitement à domicile est prévu par la circulaire de 1997 sur l’organisation des soins aux hémophiles (circulaire DGS/DH/DSS n° 7-142 du 24 février 1997). Il implique la délégation d’un savoir médical, à la fois diagnostique et thérapeutique, au patient. Celui-ci doit apprendre à repérer ses accidents hémorragiques et à les traiter de manière appropriée. La pertinence du diagnostic par le patient peut poser problème. Aussi, si un problème n’est pas résolu dans les 48 heures après l’injection, ou s’il évolue de manière inhabituelle, le patient doit impérativement prévenir son centre de traitement. Une évaluation médicale de l’autotraitement doit être régulièrement effectuée pour s’assurer que le savoir médical a été bien transmis. À l’occasion d’un prélèvement au CTH, le médecin pourra demander au patient de se piquer devant lui, afin de vérifier ses bonnes pratiques en matière d’injection.

Pour être efficace, le traitement à domicile implique le respect d’un certain nombre de règles. Aussi le CRTH du Kremlin-Bicêtre, en région parisienne, a-t-il institué un contrat entre soignants et patients pour le traitement à domicile, qui comprend dix règles (cf. encadré page précédente) portant sur cinq grands chapitres : la formation, la traçabilité, l’autodiagnostic, le respect des modalités d’utilisation des produits et les évaluations par l’équipe médicale.

La formation

La formation au traitement à domicile et à l’autotraitement est réalisée au sein des CTH mais aussi par les comités régionaux de l’AFH, en lien avec l’équipe médicale du centre de traitement le plus proche. Certains de ces stages sont combinés avec des vacances. Ainsi, en août 2010, le CRTH de Caen a proposé, avec le comité régional de l’AFH, un stage d’éducation thérapeutique qui s’étalait sur une semaine. Celui-ci a inclu, outre les enseignements théoriques et pratiques, du sport adapté (natation, plongée sous-marine, catamaran, char à voile) et des groupes de parole, moments précieux pour accepter la maladie et le traitement. Les jeunes pouvaient y inviter l’infirmière libérale qui les suit pendant un à deux jours.

S’APPUYER SUR LE CENTRE DE TRAITEMENT DE L’HÉMOPHILIE

En général, au moment d’instaurer le traitement à domicile d’un patient, le CTH contacte des infirmières libérales du secteur et leur propose de prendre en charge le patient. Les infirmières qui acceptent suivent une formation dispensée par le CTH. Ensuite, elles peuvent commencer la prise en charge.

Par la suite, en cas de doute, les infirmières libérales peuvent joindre le CTH à tout moment, pour un avis. En cas d’événement inhabituel – douleur, hématome, bosse, articulation gonflée –, il ne faut pas hésiter à envoyer le patient au centre de traitement.

À savoir : la Fédération des infirmières de l’hémophilie et des maladies hémorragiques (Fidel’hem) regroupe les infirmières de tous les centres de traitement de l’hémophilie. Les infirmières libérales peuvent adhérer à Fidel’Hem et bénéficier des comptes-rendus des journées organisées chaque année par la Fédération. Ceux-ci font le point sur l’évolution des traitements et les systèmes de reconstitution des produits. Elles peuvent aussi contacter Fidel’Hem (cf. partie Savoir plus page 42) pour obtenir les coordonnées de l’infirmière et du médecin coordonateurs du CTH le plus proche de chez elles.

OBTENIR L’ADHÉSION DU PATIENT

Le plus difficile est d’obtenir l’adhésion du jeune patient à un traitement perçu comme lourd, qui peut aller jusqu’à trois injections par semaine. Il faut trouver le créneau horaire qui dérange le moins l’enfant hémophile. Dans l’absolu, l’idéal est de pratiquer les injections le matin afin de maintenir un taux de facteur VIII ou IX élevé pendant la journée, lorsque l’enfant est à l’école ou dans la cour de récréation. Mais cela peut s’avérer contraignant et contre-productif. L’horaire de passage de l’infirmière libérale est donc à discuter longuement avec la famille, l’enfant et le CTH.

LES CHAMBRES À CATHÉTER IMPLANTABLES*

Chez un patient dont le réseau veineux est d’accès difficile, afin de faciliter les injections intraveineuses répétées – notamment pour la prophylaxie ou l’induction de tolérance immune –, des chambres à cathéter sont implantées (CCI). Appelés aussi “port-à-cath”, ces dispositifs présentent l’avantage de préserver le capital veineux, en particulier chez l’enfant.

La CCI, qui est une cuve en titane, est insérée en conditions chirurgicales sous la peau, sous la clavicule ou au-dessus du sein. Elle est le plus souvent reliée via un cathéter à la veine jugulaire interne. Le dispositif d’injection comporte une aiguille à biseau tangentiel (aiguille de Huber ou grippeur) d’un diamètre de 0,7 mm (ou inférieur) plantée dans la membrane de silicone qui recouvre la chambre implantable.

Tous les deux à quatre mois, la CCI est surveillée par le médecin du centre de traitement. Il s’agit d’une solution provisoire, qui peut durer jusqu’à cinq ou six ans, si le dispositif est manipulé avec soin et précaution.

Utilisation

L’utilisation d’une chambre implantable est simple, mais impose à tous les intervenants – parents et soignants – hygiène, méthode et rigueur. Des sets de perfusion sont fournis avec la chambre. Le patient mais aussi la personne qui pratique l’injection (l’infirmière ou un des parents) doivent revêtir une charlotte, une blouse et un masque. Un champ stérile percé au niveau de la chambre est posé sur le thorax du patient. Les règles d’asepsie sont rigoureuses ; le lavage des mains doit être long et minutieux. Les indicateurs de bon fonctionnement d’une CCI sont une injection aisée (pas de résistance), une absence de douleur, un débit de perfusion correct et la présence d’un reflux sanguin.

Complications possibles

L’infection est la complication majeure. Dans toute manipulation, mieux vaut jeter matériel et facteur anti-hémophilique en cas de doute, plutôt que de risquer l’hospitalisation d’un patient pour septicémie. Toute anomalie clinique (en particulier de la fièvre) ou dans le fonctionnement de la chambre implantable (douleur, gonflement à l’injection…) doit être immédiatement signalée au CTH.

Autre complication possible : la thrombose. Les facteurs anti-hémophiliques ont un coefficient d’adhérence et de viscosité élevé et peuvent se déposer dans la CCI pendant l’injection ou être à l’origine d’un caillot à l’extrémité du cathéter. Pour y remédier, il est conseillé de rincer efficacement la chambre avec un volume important de sérum physiologique.

PRATIQUER LA KINÉSITHÉRAPIE

La prise en charge ne passe pas que par le traitement substitutif. Le recours à la kinésithérapie est un élément indispensable de la prise en charge des patients hémophiles, afin de prévenir et de limiter l’impact des hémarthroses. Cette prise en charge doit débuter le plus tôt possible et être poursuivie tout au long de la vie. De la prévention à la rééducation, le kinésithérapeute tend à limiter les séquelles de l’hémophilie. Cette kinésithérapie est menée en cabinet libéral ou en centre de rééducation spécialisé, après une intervention chirurgicale orthopédique ou un accident hémorragique grave, en lien avec le CTH.

* Pour en savoir plus sur le rôle des infirmières à l’hôpital et en ville dans la pose et l’entretien des chambres à cathéter implantables, n’hésitez pas à relire notre hors-série accompagnant L’Infirmière libérale magazine n° 244, daté de janvier 2009 (52 pages coordonnées par Christian Dupont, infirmier-coordinateur à l’hôpital Cochin).

Les dix règles du contrat de traitement à domicile*

1. J’apprends exclusivement pour me traiter (ou pour traiter mon enfant).

2. Je ne transmets pas à d’autres cet apprentissage.

3. Je tiens à jour l’utilisation de mes traitements.

4. J’assure la traçabilité des produits que j’utilise.

5. Je contacte systématiquement le CTH ou le médecin pour toute situation inhabituelle ou d’évolution inhabituelle.

6. Je respecte les procédures d’hygiène.

7. Je respecte les modalités d’injection des produits anti-hémophiliques.

8. Je respecte les modalités d’évacuation des déchets.

9. J’accepte un suivi régulier des bilans proposés par le CTH.

10. J’accepte une évaluation régulière de mes pratiques par le CTH.

* Instituées par le CRTH du Kremlin-Bicêtre.

Point de vue…
« Des soins qui prennent du temps »

Régine Dessoubret, infirmière libérale à Paris, pratique les soins de patients hémophiles depuis dix ans

« Au départ, j’ai été contactée par l’infirmière coordinatrice du CRTH de l’hôpital Necker. Après avoir reçu une formation, j’ai commencé à prendre en charge des patients. En général, je suis les enfants très jeunes (dès 22 mois) jusqu’à l’adolescence. La plupart sont des hémophiles sévères en prophylaxie, qui bénéficient d’une à trois injections hebdomadaires. Le soin en lui-même dure 15 à 20 minutes. Mais auparavant il faut réaliser une asepsie rigoureuse et reconstituer les produits. J’essaie aussi de poser un patch de crème anesthésiante Emla® au moins une heure avant l’injection. Pour l’un de mes jeunes patients, c’est l’école qui s’en charge vers 15 heures, sachant que je le pique vers 16 h 30-17 heures. Quant aux injections via une chambre implantable, elles peuvent durer jusqu’à 45 minutes. À quoi s’ajoute le temps de compression digitale sur la plaie. Tout cela est très long et il faut occuper l’enfant pendant ce temps : on regarde un film, je raconte une histoire, on plaisante… À la fin, je lui remets une récompense–gâteau, confiserie… »

Point de vue…
« Un travail d’accompagnement psychologique et thérapeutique »

Régine Dessoubret, infirmière libérale à Paris, pratique les soins de patients hémophiles depuis dix ans

« Quand on suit un jeune patient hémophile, l’investissement affectif est inévitable. On s’attache à ces enfants que l’on voit plusieurs fois par semaine depuis leur plus jeune âge. Les parents, souvent angoissés, s’appuient aussi beaucoup sur l’infirmière libérale. Outre les injections, il faut prendre en compte un travail d’accompagnement psychologique de l’enfant et de l’entourage, mais aussi d’éducation thérapeutique, afin de mener le jeune patient vers l’autonomie et à l’autotraitement. Je pense au père d’un garçon hémophile qui a suivi une formation au CRTH de Necker sur les chambres implantables. L’infirmière du centre de formation des soins à domicile est venue deux fois chez lui après le stage. Depuis deux mois, il pratique les injections sur son fils en ma présence. Je corrige certains gestes. Quand il se sentira prêt, il volera de ses propres ailes. »

Point de vue…
« La formation au traitement à domicile est indispensable »

Dr Thierry Lambert, hématologue, coordinateur du CRTH du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne)

« Pour pouvoir pratiquer des injections, chaque personne doit avoir suivi un apprentissage avec des professionnels de santé. En tout cas, c’est la règle en vigueur en France. Lorsque l’enfant est en âge de se traiter, il doit suivre un stage. De manière générale, toute démarche de traitement à domicile doit être précédée d’une formation dispensée par le CTH. Les infirmières y délivrent tous les conseils et les outils nécessaires à un bon traitement : règles d’hygiène, fonctionnement des produits et procédés de reconstitution, gestion du stock de produits et des déchets, tenue du carnet d’hémophile… C’est à ce moment-là que le patient apprend les gestes qu’il devra répéter seul, plusieurs fois par semaine, par la suite. Lors de la formation, et au cours des consultations, le médecin doit aider le patient à développer sa capacité d’autodiagnostic face à des accidents hémorragiques, afin qu’il sache comment réagir à la maison. Il faut savoir que la présence du “patient-ressource”, ayant une expérience, formé à l’écoute et jouant un rôle de facilitateur entre les soignants et les participants, est maintenant mise en place dans les programmes d’éducation thérapeutique. »