L'infirmière Libérale Magazine n° 262 du 01/09/2010

 

TARN-ET-GARONNE

Initiatives

Florence Decorbez est infirmière libérale depuis trois ans à Caussade. Aux côtés de son époux installé comme tatoueur, elle arbore aujourd’hui une seconde casquette, celle de perceuse. Elle informe la clientèle du salon sur la modification corporelle et assure, dans les meilleures conditions sanitaires possibles, la pose de bijoux piercing, labret, anneau ou barbell…

« Salut les piqueurs ! », interpelle un nouvel arrivant à l’attention de Florence et de Fabrice Decorbez. Ici, l’aiguille est reine, encore bien plus que dans un cabinet d’infirmières. Ce client, devenu un habitué au fil des séances, vient de franchir le seuil du salon Fab’ Tattoo. Fabrice, le tatoueur, a ouvert en octobre dernier à Caussade, tandis que Florence, sa moitié et infirmière libérale de son état, y assure le piercing. De l’avis du couple d’origine parisienne, la “cité du chapeau” (de paille), bien que de taille modeste pour un tel commerce, est idéalement placée. Montauban se trouve à une trentaine de kilomètres et Toulouse à une heure de route.

Direction le Sud

« Mes parents, pour leur pré-retraite, se sont installés ici, situe Florence. Fabrice et moi avons décidé de quitter la région parisienne il y a six ans parce que la violence et le manque de respect étaient grandissants, même dans le travail. Depuis 2001, nous travaillions tous les deux aux urgences à Évry dans l’Essonne, où nous nous sommes rencontrés. Fabrice était alors ASH [agent de service hospitalier, ndlr]. Devenu agent d’amphithéâtre, dans le but d’apprendre et de passer son concours d’aide-soignant, il a été mis à pied pour une question de vaccination contre l’hépatite B. Cela a été la goutte d’eau de trop. »

Arrivés dans la région montalbanaise, leur parcours ne se révèle pourtant pas si simple. Tous deux démarrent dans une maison de retraite, elle comme infirmière principale et lui en poste de nuit. C’est l’échec et les relations professionnelles sont désastreuses. Florence s’épuise d’hôpital en clinique et en centre de convalescence, de Caussade à Bordeaux. Au bout de trois ans, elle songe même à raccrocher définitivement sa blouse. Une extrémité inconcevable, explique la professionnelle passionnée : « J’ai toujours été très active dans mon métier. J’ai suivi mes études à la Pitié-Salpêtrière et, diplômée en 1997, j’ai travaillé en hémato-cancérologie à l’Institut de cancérologie Gustave-Roussy où j’intervenais aussi en congrès. Ensuite, pour changer d’air, je suis partie au Pays basque où je soignais des enfants polyhandicapés. Et finalement, j’ai regagné la région parisienne dans le but d’intégrer l’école des cadres. D’ailleurs, les six derniers mois à Évry, j’étais faisant-fonction sans être diplômée puisque nous avons quitté les lieux avant. »

Vient alors le moment de faire des choix. Abandonner le métier, se lancer dans la formation ? Avec le libéral, elle se donne encore une dernière chance et débute dans un cabinet de Caussade. Une réussite : en 2007, au bout d’un an, elle s’associe avec ses trois collègues. « Aujourd’hui, nous sommes six dans le cabinet. Chacune travaille quinze jours par mois, dont cinq après-midi. J’y ai retrouvé ma liberté, mais surtout un sens du respect aussi bien avec les médecins qu’avec les patients. Et voir les gens chez eux, c’est du bonheur. Quant à Fabrice, les petits boulots (usine de plasturgie, abattoir…) ne débouchaient sur rien. Alors il a ouvert le salon, ce qui lui permet de vivre sa passion tout en s’offrant une solution professionnelle. »

Très rapidement, la demande en piercing se fait sentir et les nouvelles réglementations sanitaires en vigueur pour cette activité donnent aux infirmières toute légitimité. Conclusion : Florence a le profil idéal. « J’ai une confiance totale dans ses compétences infirmières, déclare Fabrice, et je suis ravi de partager ce projet avec elle. » Ainsi, en décembre dernier, l’infirmière expérimentée se retrouve débutante en perçage. « Mon premier piercing, je l’ai exécuté il y a huit ans aux urgences où je travaillais, se remémore Florence. Après l’avoir vu faire dans un salon, Fabrice et moi avons réalisé que c’était à notre portée. Nous avons donc percé l’arcade sourcilière d’un collègue qui réclamait un piercing depuis quelques temps : une aiguille de cathéter, le clamp et le bijou, le tout stérile… De toutes façons, nous nous trouvions clairement dans de meilleures conditions d’hygiène que ce qui se pratiquait alors chez certains qui ne maîtrisaient pas les gestes stériles : les gants requis, s’ils sont utilisés pour répondre au téléphone, ne servent plus à rien. »

Professionnalisme et convivialité

Le local de Fab’ Tattoo a été entièrement rénové et conçu pour répondre aux normes sanitaires et offrir un accueil convivial ainsi qu’un confort de travail adapté à chaque activité. Florence occupe le fond de l’espace technique, où personne ne circule sans y être invité. Celui-ci est également intégralement lessivable.

Depuis le décret de février 2008 du Code de la Santé publique, chaque professionnel est tenu de suivre une formation théorique et pratique de 21 heures aux conditions d’hygiène et de salubrité. « Les exigences d’hygiène de l’acte est entre la pose d’une perfusion en intraveineuse et un port-à-cath’, estime Florence. Nous sommes inscrits en liste d’attente pour suivre cette formation auprès de l’organisme agréé Tatouage 21. J’ai alors eu l’occasion de rencontrer d’autres perceurs et d’échanger sur les techniques. J’ai également pu réviser et évaluer le niveau de tolérance par rapport à une pratique infirmière. »

Hormis le côté technique de l’affaire, l’aspect relationnel et humain prend toute son importance. « Déjà, les gens sont volontaires pour se faire piquer, s’amuse l’infirmière, plus habituée aux réticences des malades. Après, il y a tout un travail d’information sur les conséquences irréversibles : un piercing laissera toujours une cicatrice, même discrète. On intervient sur le corps de façon définitive. Normalement, je refuse de percer les mineurs, sauf quand il s’agit d’un cas critique. Une mère est ainsi venue pour sa fille qui la menaçait de le faire sans son accord. Cette dame, de toute évidence, préférait que je le réalise, moi en qui elle avait confiance. J’ai donc accepté. Mais je me réserve toujours le droit de dire non à un acte pour lequel je ne suis pas à l’aise. Pour l’instant, je fais la lèvre, les oreilles, l’arcade et la narine, pas encore la langue. Et si je trouve cela laid, je refuse également. »

La place du percé

La législation oblige tout perceur d’informer sur les risques d’infection, d’allergie mais aussi de douleur associée, plus ou moins vive selon les personnes et la localisation… Florence met quant à elle un point d’honneur à remettre au client des documents écrits et lui fait signer une déclaration certifiant qu’il est majeur, volontaire, sans problèmes de santé ou traitement médical contre-indiqués, qu’il a été informé et qu’il suivra la procédure d’hygiène. Elle assure ensuite un suivi hebdomadaire durant deux à trois semaines. « La limite entre le rôle d’infirmière et de perceuse est parfois mince dans l’esprit des clients, pourtant, ici, je ne suis pas infirmière. Mais, de temps en temps, il faut recadrer : certains appelleraient à n’importe quelle heure du jour et de la nuit ! » Et, quoi qu’en disent les forums en ligne sur le sujet, les clients se montrent sensibles à la prise en charge de l’acte de piercing par une professionnelle de santé diplômée. Depuis trois ans que Florence est installée sur Caussade, le bouche-à-oreille fonctionne plutôt bien.

Perceuse percée

Si Florence prône la prudence auprès de ses clients, c’est qu’elle-même la pratique. Elle ne passe à l’acte qu’en des occasions marquantes et après mure réflexion. Selon elle, les tatouages autant que les piercing doivent rester discrets. Ils revêtent un caractère intime qu’elle ne désire pas imposer aux autres. Percée uniquement à la langue, après cinq ans de questionnements, et tatouée par Fabrice à l’occasion de leur mariage en 2004, puis au pied lors du décès d’un proche, elle élabore maintenant depuis déjà trois ans un projet qu’elle portera dans le dos. Le couple se déplace parfois sur les conventions comme au salon de Bordeaux en 2009, et se rendra en juin 2011 à La Roche-sur-Yon. Ces événements sont une bonne occasion d’échanger car la circulation des informations est encore parfois difficile dans le monde des tatoueurs. La vieille école privilégiait la transmission de cet art directement du maître à l’apprenti. Mais la démocratisation du tatouage accélère le mouvement.

EN SAVOIR +

→ Site d’une association d’un collectif d’artistes et organisme de formation : www.tatouage21.com

→ Site de la Fédération nationale des artistes tatoueurs : www.s-n-a-t.org

→ Site du ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports : www.sante-sports.gouv.fr/tatouage-par-effraction-cutanee-et-percage.html

→ Site d’information et de documentation sur le tatouage et le piercing : http://tatouagedoc.net