MALTRAITANCE
L’exercice au quotidien
Confrontée à plusieurs reprises à des situations alarmantes, Christine Reymond, libérale à Nice, a déjà dû recourir au signalement. De quoi juger du décalage entre délais administratifs et urgence médicale.
« Personnellement, j’estime que c’est humain : quand on voit quelqu’un en danger, il faut alerter. Et c’est encore plus vrai quand il s’agit d’un patient qui se trouve diminué ou en état de faiblesse.
Je pense par exemple à cette personne âgée, atteinte d’une légère déficience mentale, que je suivais dans mes premières années d’activité libérale. Son fils ne venait jamais la voir. Elle devait donc s’occuper elle-même de ses comptes, jusqu’à ce que cela ne soit plus possible. Nous avons donc joint son fils, avec qui les premiers contacts ont été plutôt corrects. Puis sa femme et lui ont voulu changer tous les professionnels qui intervenaient chez la maman car ils estimaient que cela coûtait trop cher. Finalement, la belle-fille a décidé d’apporter elle-même les repas. Ce qu’elle ne faisait malheureusement pas : durant certains week-ends, ma patiente n’avait parfois pour déjeuner qu’un quart d’œuf dur ! J’étais scandalisée. En un mois et demi environ, j’ai constaté de nombreux changements qui perturbaient vraiment ma patiente. Elle me confiait des choses à demi-mot : elle m’avait d’ailleurs demandé de téléphoner à une de ses amies qui estimait, elle aussi, qu’il fallait intervenir.
Je ne suis jamais parvenue à parler au fils. Visiblement, il n’avait aucune morale… J’ai alors décidé de faire un signalement auprès des assistantes sociales de mon propre chef. J’ai ainsi découvert que ma patiente était un peu connue des services sociaux. Mais cette démarche n’a abouti à rien. Je me suis donc tournée vers le juge des tutelles à Nice. Mais c’était trop tard : le fils a été plus rapide.
Quand j’ai été convoquée par le juge des tutelles pour témoigner au sujet de la contenance du frigo et des changements qui s’étaient produits durant les derniers mois, l’appartement était déjà vendu ! Évidemment, un appartement ne se vend pas en deux jours : plus de six mois s’étaient déjà écoulés… Cela démontre à quel point l’administration est lente comparée à l’urgence médicale. Il y a un décalage phénoménal !
Pendant cette période, le fils a eu le temps de placer sa mère en maison de retraite, contre son gré. Elle m’a toujours dit qu’elle ne souhaitait pas aller en établissement. Mais on l’y a tout de même envoyée manu militari. Je me souviens de la vision d’horreur dans le hall de l’immeuble : deux ambulanciers la tenaient sous les aisselles pour l’emmener dans le véhicule. Ses pieds ne touchaient plus le sol… »
Catherine Fouquet-Marand, présidente de l’association Alma 13
« Les situations de maltraitance sont rarement très simples. Dans la mesure du possible, il ne faut jamais agir seul. Il vaut mieux se rapprocher des intervenants sociaux qui gravitent autour de la personne ou contacter des associations comme Alma. À plusieurs, on parvient mieux à cerner le problème et à déterminer ce qu’il faut faire. Il s’agit de protéger la personne tout en évitant que la mesure de protection soit pire que la situation actuelle. Avant de signaler, il faut donc voir si l’on a affaire à un incident isolé. En vérifiant cela, on peut éviter de séparer des gens qui ont finalement besoin les uns des autres. »
* Antenne départementale de l’association « Allô maltraitance des personnes âgées et/ou handicapées». Lire aussi notre dossier pages 24-29.