Allié ou obstacle pour les soins ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 264 du 01/11/2010 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 264 du 01/11/2010

 

Aidant naturel

Dossier

Ces derniers temps, le “proche” de la personne malade est l’objet de sondages, d’une Journée nationale et d’une littérature abondante… Qu’il soit simple voisin ou membre de la famille, son aide bénévole s’avère précieuse dans le soin à domicile. Ce qui n’est pas sans imposer une adaptation rapide de la part des soignants.

Au-delà des professionnels de santé qui viennent à son domicile, le patient doit également compter sur d’autres intervenants, à commencer par ses proches. Si le terme “aidant” vient aisément dans le discours des soignants, la réalité qu’il recouvre s’avère très variable et plus complexe qu’elle n’y paraît. Si bien que la “proximologie” (dont l’objectif est d’améliorer la relation du monde soignant avec l’entourage des personnes malades) est aujourd’hui érigée au rang de science(1). Entre revues et assises nationales, ce néologisme suscite de nombreuses interrogations. Ne serait-ce que sur la définition à accorder aux mots “proche” et “aidant”.

Dans leur pratique quotidienne, les infirmières libérales sont amenées à rencontrer ces tiers, voire à travailler avec eux. Ce phénomène ne date pas d’hier. Il devrait même se développer au cours des prochaines années, notamment avec la généralisation de l’hospitalisation à domicile pour les personnes très dépendantes. Faut-il pour autant en conclure que ces “collaborateurs” de fait sont aujourd’hui des partenaires de soin ? Pas sûr. Ils peuvent parfois constituer une entrave. Tout dépend de la relation qu’ils nouent avec le professionnel…

Naturels, informels ou encore familiaux, les aidants ne manquent pas de qualificatifs. Ils n’en demeurent pas moins difficiles à identifier. Le législateur français s’y est toutefois essayé. « C’est essentiellement en termes de proximité familiale que la loi tente d’abord de délimiter celles et ceux qui accompagnent et entourent la personne malade. La référence à la “famille” est la plus fréquente dans le Code de la Santé publique », constate Gwenaëlle Thual, doctorante à l’université Paris-Sud 11(2). Le texte dépasse néanmoins cette frontière filiale (cf. actualité page 10). Il ajoute ainsi la notion d’amitié et mentionne « la personne entretenant avec l’intéressé des liens étroits et stables » et celle du « tiers désigné par le patient ».

UN RÔLE À GÉOMÉTRIE VARIABLE

Reste à savoir quel est le rôle de ce dernier. Selon la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, « une personne durablement empêchée […] d’accomplir elle-même des gestes liés à des soins prescrits par un médecin, peut désigner, pour favoriser son autonomie, un aidant naturel ou de son choix pour les réaliser ». De même, le Conseil de l’Europe définit les “aidants informels” comme « des soignants comprenant des membres de la famille, des voisins, ou d’autres personnes qui prêtent des soins et font de l’accompagnement aux personnes dépendantes de façon régulière sans bénéficier d’un statut professionnel leur conférant les droits et les obligations liés à un tel statut ». Quant à la Charte européenne de l’aidant familial, elle définit « les aidants dits naturels ou informels [comme] des personnes non professionnelles qui viennent en aide à titre principal, pour partie ou totalement, à une personne dépendante de son entourage pour les activités de la vie quotidienne. Cette aide régulière peut être prodiguée de façon permanente ou non, et peut prendre plusieurs formes, notamment le nursing, les soins, l’accompagnement à la vie sociale et au maintien de l’autonomie, les démarches administratives, la coordination, la vigilance permanente, le soutien psychologique, la communication, les activités domestiques ». Outre les tâches domestiques, le proche peut donc se voir confier des soins. De quoi susciter d’éventuelles tensions avec les soignants appelés à intervenir chez la personne aidée.

TÉLESCOPAGE ?

La présence de cet autre entraîne nécessairement des implications pour l’infirmière.

Première conséquence : sa présence physique, voire son regard. Ce qui ne facilite pas toujours l’acte de soin. Et a fortiori lorsque ce regard devient pesant et s’apparente à une forme de contrôle. En témoigne cette infirmière pour laquelle la suspicion d’un aidant lui a valu un contrôle par la caisse d’Assurance maladie… Il faut pourtant l’admettre : l’aidant bouscule les conventions. Il se fait peu à peu une place au sein du milieu paramédical. Les établissements hospitaliers lui accordent un espace moins étroit qu’auparavant. Dans son ouvrage relatif aux Aidants naturels auprès de l’adulte à l’hôpital(3), Pascale Thibault-Wanquet décrypte ainsi le chemin parcouru et les évolutions à envisager. Elle analyse ainsi la manière dont l’équipe soignante doit s’adapter à ces “intrus”. Au même titre, voire plus encore, les patients à domicile peuvent eux aussi exprimer le besoin de bénéficier de la présence d’un tiers non professionnel. Dans de telles conditions, il est à craindre que le champ d’intervention de l’aidant télescope celui du soignant. Ce qui génère parfois des interférences nuisibles à la santé de l’aidé.

Si l’éducation thérapeutique semble nécessaire auprès du patient, elle revêt tout autant d’intérêt pour l’entourage. Ce qui ne se borne pas qu’au monde du handicap. Dans le cadre de maladies chroniques, l’adhésion des proches s’avère également fort utile. Chez un patient diabétique dont les repas sont assurés par l’épouse, c’est en effet cette dernière qu’il faut convaincre. D’où l’importance du dialogue entre soignant et aidant. Une communication qui n’est pas toujours évidente… « Les infirmières qui s’occupent de mon épouse sont très bien, mais elles font tout à toute allure, nous confie l’aidant d’une femme atteinte d’une maladie dégénérative. Ce sont des techniciennes. Il n’y a plus autant de relationnel qu’avant. » Prendre le temps, peser ses mots, expliquer avec tact à l’aidant comme au malade les incidences causées par la pathologie : l’affaire est loin d’être simple. Entre le moment de l’annonce d’une maladie invalidante, le temps du traitement et les soins de suite, les informations distillées par le corps médical fusent et ne sont pas reçues à bon escient. Dans chaque cercle familial, la situation reste singulière.

D’autant qu’il faut aussi prendre en compte le contexte culturel et social dans lequel s’inscrit l’action du soin. Chaque famille possède son propre équilibre. C’est pourquoi, dans un ouvrage relatif aux soins palliatifs et à l’éthique(4), Régis Aubry et Marie-Claude Daydé invitent leurs lecteurs à éviter « toute recherche de normalité excessive ».

POUR LA SANTÉ DU MALADE

L’information délivrée à la “famille” au sens large devient donc capitale. Elle peut faciliter le respect des prescriptions thérapeutiques… Encore faut-il poser un cadre d’intervention. Comme le suggère Virginie Gimbert, co-auteure du rapport Vivre ensemble plus longtemps, édité par le Centre d’analyse stratégique, une forme d’incompréhension génère des frictions entre soignant et aidant. Entre la famille qui réclame un passage le matin pour la préparation du petit déjeuner et l’infirmière qui attendrait l’accomplissement d’un soin en son absence, les attentes réciproques peuvent en effet sembler excessives, au point d’interrompre ou même parfois d’empêcher toute prise en charge.

En atteste David Guillon, coordinateur du réseau Argil dans les Alpes-Maritimes, qui peine parfois à « trouver un infirmier pour certains malades dont les familles se montrent trop exigeantes ». Tout dépend du niveau de tolérance de chaque partie… Un paramètre qu’il vaut mieux ne pas prendre à la légère. Le surmenage de l’entourage peut en effet provoquer des effet délétères sur la santé du malade. « Si on laisse l’agressivité se développer entre le malade et son proche, cela peut devenir très dommageable », comment Roger Ginet, administrateur de l’association Aix Alzheimer, qui évoque les risques de maltraitance sur un malade vulnérable.

Le salut du patient passerait-il donc par le bien-être de ses aidants ? C’est en tous cas l’avis de la Haute Autorité de santé (HAS) qui préconise depuis février 2010 de se montrer « particulièrement vigilant sur l’état psychique de l’aidant, son état nutritionnel et son niveau d’autonomie physique et psychique ». Dans la foulée, la HAS a donc proposé la mise en place d’une consultation annuelle pour l’aidant naturel d’une personne atteinte de maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée. Les autres devront en revanche passer leur chemin…

DES FORMATIONS DÉDIÉES AUX AIDANTS

Régulièrement réclamée par les associations de malades et de leurs proches, la création d’un statut de l’aidant fait aujourd’hui débat. Mais les solutions envisagées demeurent encore trop souvent compartimentées en fonction des pathologies et des catégories générationnelles des personnes aidées.

S’ajoute un problème récurrent : la formation de l’aidant. Faute de connaissance, il peut en effet perturber le traitement de son proche ou ne pas être en mesure de réagir de manière appropriée. Forte de ce constat, l’association France Alzheimer a lancé des cycles de formation spécifiques dédiés aux aidants.

Si la démarche s’avère fort utile, elle comporte néanmoins des risques de dérives. D’aucuns craignent d’éventuels débordements : une professionnalisation excessive de ces bénévoles ouvrirait la boîte de Pandore… Et la triade patient/ famille/soignant pourrait ainsi en souffrir. Or cette relation triangulaire repose sur un fondement capital : le facteur confiance. Sans cette alchimie, les discours restent vains. De quoi en revenir à la question de la communication entre ces différents acteurs. La création de “gestionnaires de cas”, c’est-à-dire de personnes référentes permettant de faire le lien entre tous les professionnels intervenant chez le patient âgé, pourrait offrir une piste susceptible d’améliorer leur relations. Mais, là encore, cette initiative resterait limitée à la gériatrie, en l’occurrence.

(1) Le proche de la personne malade dans l’univers des soins par Hugues Joublin, Éditions Eres (avril 2010). Préfacé par Emmanuel Hisch, cet ouvrage regroupe plusieurs années de travail doctoral au sein de l’Université Paris-Sud 11. Présenté comme l’inventeur du concept de proximologie, l’auteur dirige depuis dix ans le programme de recherche soutenu par Novartis sur les proches de personnes malades. Pour en savoir plus sur le concept, vous pouvez aussi visite le site Internet : www.proximologie.com.

(2) In Réciproques, numéro spécial, avril 2010, Les proches de personnes malades aujourd’hui : état des lieux.

(3) Les aidants naturels par Pascale Thibault-Wanquet. Éd. Masson, septembre 2008. 106 pages.

(4) Soins palliatifs, éthique et fin de vie par Régis Aubry et Marie-Claude Daydé. Collection Soigner et accompagner. Éd. Lamarre, 2010. 247 pages.

Témoignage
« Des aidants trop dévoués »

Séverine Costes, Idel à Aix (13)

« Dans ma clientèle, je rencontre des situations très différentes. Certains patients sont très isolés, ils n’ont personne à leurs côtés. D’autres, en revanche, ont des aidants qui sont parfois un peu trop dévoués, au point de s’oublier eux-mêmes. Pour les soins, c’est parfait. Il ne me manque jamais rien. Mais, pour les aidants, c’est plus compliqué car ils ne vivent alors qu’à travers la pathologie de leur proche. Dans ce genre de cas, je pense que notre rôle d’infirmière est de les accompagner afin qu’ils parviennent à se déculpabiliser. Il nous arrive, à mon associée et moi-même, de passer de longs moment au téléphone avec certains aidants pour leur apporter une aide psychologique. En tant qu’infirmières, nous disposons d’un statut. Les familles nous écoutent lorsque nous leur demandons de modifier quelque chose. Il arrive parfois que leur présence soit un frein dans la prise en charge de leur proche, surtout quand ils ne comprennent pas la pathologie ou ne veulent pas l’admettre… Cela étant, pour certains malades, la présence d’un tiers est indispensable pour le maintien à domicile. C’est pour cela que je préfère un aidant qui phagocyte mon travail auprès du patient qu’aucun aidant du tout. »

Témoignage
« Quand la famille ne soutient pas l’équipe »

Marion Dahon, Idel à Nice (06)

« En ce moment, je subis le cas d’une famille qui nous barre la route sur tous les soins ! Avec mon associée, cela fait un an que nous nous battons pour soigner notre patiente de 86ans, atteinte de Parkinson et complètement dépendante. Elle a déjà fait une tentative de suicide et on l’a déjà retrouvée sans qu’elle aie mangé. Nous réclamons un deuxième passage pour assurer sa sécurité le soir, mais sa fille refuse. Elle a d’ailleurs fait sortir sa mère de l’hôpital psychiatrique sur décharge. La mère est en train de mourir sous nos yeux. Mais sa fille ne bouge pas ! Nous nous en occupons gentiment depuis un an mais la situation reste compliquée… Quoi qu’il en soit, nous essayons de conserver une communication avec les familles. Le cahier de transmission est très utile pour cela. Nous faisons comme dans un service (sans noter d’information confidentielle et avec l’accord du patient). Les médecins apprécient beaucoup mais c’est aussi pratique pour les familles ou les auxiliaires de vie. On peut en effet y marquer ce qu’il nous manque pour les soins. Cela permet aussi de faire un lien. »

Interview
Virginie Gimbert, co-auteure du rapport Vivre ensemble plus longtemps édité par le Centre d’analyse stratégique

« Des rapports souvent conflictuels »

Quelle est la situation des aidants familiaux de personnes âgées en France ?

Depuis une dizaine d’années, les aidants sont devenus un enjeu prioritaire dans les discours des politiques. Mais il reste encore beaucoup à faire. On constate un cloisonnement des dispositifs existants en fonction des personnes aidées. Certains ne sont accessibles qu’aux aidants des malades Alzheimer alors que cela pourrait être élargi à d’autres aidants. Car ces derniers ont les mêmes besoins : dégager du temps pour la personne aidée, concilier vie familiale et professionnelle, faire parfois face à des problèmes financiers…

Comment se présente leur relation avec les soignants ?

D’après diverses études sur le sujet, les rapports sont souvent conflictuels entre familles et intervenants. Peut-être cela relève-t-il d’une incompréhension réciproque. Les aidants familiaux attendent beaucoup de la part des intervenants, surtout quand il s’agit d’aides-soignantes ou d’infirmières. À l’inverse, les professionnels ont aussi des attentes implicites importantes quant au rôle que l’aidant familial doit jouer auprès de la personne âgée.

ANALYSE
SOUTENIR LES PROCHES

Le dialogue comme clef de voûte

La littérature professionnelle regorge de chapitres dédiés aux aidants. Chacun décortiquant cette problématique à travers le prisme d’une pathologie ou d’une thématique spécifique. Dans l’ouvrage Soins palliatifs, éthique et fin de vie(4) Régis Aubry et Marie-Claude Daydé consacrent eux aussi dix-sept pages au « soutien des familles et des proches ». En quelques lignes, ils dépeignent les principales difficultés rencontrées par les familles, comme le choc du diagnostic, le parcours thérapeutique, les incertitudes concernant l’évolution de la maladie, la peur ou encore l’insécurité financière. Point par point, les auteurs ébauchent les méthodes que le soignant peut élaborer pour permettre à l’aidant de surmonter ces obstacles. Première démarche : l’entretien d’accueil. Si ce type d’initiative concerne a priori la vie d’un service, pourquoi ne pas l’envisager dans le soin à domicile ? Autre nécessité, « le besoin de se sentir entouré par une équipe compétente ». Outre la compétence professionnelle indispensable, l’écoute et le partage paraissent ainsi primordiaux. S’ajoutent également « le soutien et la réassurance tout au long de la prise en charge ». Conseils en tous genres sont alors les bienvenus. En parallèle, les auteurs suggèrent de « donner du sens à la présence des proches » pour que chacun puisse adapter son quotidien. Reste enfin à « anticiper l’épuisement » de ces derniers.

Témoignage
« Former les aidants, oui ! »

Roger Ginet, aidant de son épouse atteinte de la maladie d’Alzheimer et membre actif de l’association France Alzheimer

« L’aidant peut être désigné par la famille ou, selon les circonstances, par la personne malade elle-même. Très logiquement, c’est le conjoint, quand il y en a un. Mais la charge physique, psychologique et affective, l’isolement qui s’installe : c’est lourd. Je suis épuisé, j’ai fait un infarctus il y a trois ans. L’enfer commence quand on se retrouve seul. Depuis un an et demi, mon épouse est grabataire. Elle a complètement perdu la parole et elle est dans un état un peu absent. Au départ, on ne comprend pas tout, on s’isole. Puis vient la phase d’apprentissage. Jusque-là, rien n’était fait pour les aidants : les neurologues ne s’occupaient que des malades. Pourtant, si on laisse l’agressivité se développer entre le malade et son proche, cela peut devenir très dommageable. C’est pour cela qu’à Aix Alzheimer, nous organisons des sessions de formation dédiées aux aidants. Pour ma part, j’ai aussi beaucoup appris grâce aux infirmières qui se sont occupées de mon épouse et ont pris le temps de me donner des conseils très simplement. »

Témoignage
« Les proches ne sont pas toujours des aidants »

Christine Reymond, Idel à Nice (06)

« Je pense à cet homme grabataire. Il vivait avec son fils, qui souffrait d’un gros trouble psychiatrique. Même si une présence était nécessaire, la sienne était véritablement dangereuse pour son père : il lui infligeait des sévices de toutes sortes. À tel point qu’il a fallu demander une hospitalisation d’office pour le fils. Malheureusement, le père est décédé dans l’année qui a suivi. J’ai rencontré une situation similaire avec une autre patiente grabataire. Sa fille vivait la nuit et se comportait étrangement jusqu’au jour où elle a laissé le gaz ouvert. Dans l’urgence, il fallait trouver une solution. La fille a alors été hospitalisée d’office. Quant à la mère, elle n’a pas eu d’autre choix que de partir à l’hôpital… J’ai également souvenir d’une de mes patientes qui souffrait d’escarres. Son mari était caractériel : il lui collait un patch de morphine dès que nous partions puis l’enlevait avant notre passage. Ce n’était pas prescrit par le médecin. Sans doute pour aider, mais l’effet inverse à celui escompté se produisait… »