LE CONTINENT AFRICAIN PARTICULIEREMENT TOUCHÉ - L'Infirmière Libérale Magazine n° 266 du 01/01/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 266 du 01/01/2011

 

Trafic de faux médicaments

Le débat

Un an après “l’appel de Cotonou” lancé par Jacques Chirac contre les faux médicaments, le colloque organisé par la Mutualité française* révèle une situation inchangée. Le trafic reste de taille et nécessite une mobilisation internationale.

Philippe Bernagou, directeur général de la Fondation Pierre Fabre

Un an après l’appel de Cotonou, où en est-on sur le trafic des faux médicaments ?

Le soufflé est retombé. J’ai sillonné le continent africain ces derniers mois : que ce soit à Kinshasa, Lomé ou à Bangui, on me rapporte la même chose. Il y a probablement eu un mieux pendant les deux ou trois mois qui ont suivi l’appel de Cotonou mais cela s’est arrêté très vite. Il y a eu une double démobilisation : celle des chefs d’État qui sont passés à d’autres priorités et celle des professionnels de santé qui ne se sentent plus soutenus et n’ont pas les moyens d’agir. Et puis, de nombreux pays vont avoir des échéances électorales dans les mois qui viennent. Les politiques sont en pleine campagne. Ce sujet n’est donc pas d’actualité. L’initiative de Jacques Chirac était fabuleuse mais elle n’a pas suffi. Il faut multiplier les actions. Ce doit être rémanent et permanent. Il ne doit plus y avoir de sommet international où cette question ne soit pas traitée.

Quelles sont les conséquences de ce trafic en termes de santé publique ?

Ce n’est pas simple à déduire. Il y a des médicaments en circulation sans principe actif, d’autres qui en contiennent peu et d’autres encore faits avec des substances toxiques. Aujourd’hui, 50 % des anti­paludiques sont faux. Plus de 900 000 personnes meurent chaque année du paludisme sur le continent africain. Plus de 150 000 auraient été sauvées si elles avaient été traitées avec les bons comprimés.

Comment agir ?

Il faut, d’une part, éduquer la population et, de l’autre, mettre en place des actions concrètes. Au Bénin, nous avons réalisé une dizaine de spots télévisés pour dire que le médicament de la rue est dangereux, que les génériques sont contrôlés et sont de bons médicaments, etc. On a aussi fait un documentaire de cinquante minutes que l’on a diffusé dans tous les collèges du pays. Des enquêtes ont montré que notre message est passé. Mais on ne peut pas uniquement faire de la sensibilisation. C’est pourquoi nous avons aussi ouvert un laboratoire national de contrôle du médicament au Bénin. Très peu de pays disposent d’un tel outil. Il y a huit ans, ce laboratoire ne savait contrôler que les comprimés de paracétamol. Aujourd’hui, il contrôle des antipaludiques et des antirétroviraux.

Il faut malgré tout changer les mentalités.

Oui. Les gens vont acheter leurs médicaments sur le marché pour une question de culture plus que d’économie. Il faut donc travailler sur cette question. Mais aussi développer l’accès aux soins, par la création de mutuelles qui pourront rembourser tout ou partie des soins. C’est la concomitance de toutes ces actions qui peut réduire le marché des faux médicaments.

Idrissou Abdoulaye, directeur général du Centre national hospitalier universitaire de Cotonou, au Bénin

Vous considérez que les pays d’Afrique sont une cible privilégiée pour ce trafic et parlez de frontières trop poreuses.

Tout d’abord, je voudrais insister sur le fait qu’il existe des textes réglementaires au Bénin qui régissent le circuit du médicament, de sa fabrication jusqu’à sa consommation par le patient. Toute action qui déroge à ces dispositions doit donc être sanctionnée. Mais, parce qu’il y a la crise économique et financière, parce qu’il y a la pauvreté ambiante, il se trouve qu’un commerce illicite de faux médicaments a proliféré, avec des embranchements au niveau international. On estime que 25 % des médicaments qui circulent dans mon pays sont issus du circuit informel.

Quelles sont les conséquences en termes de santé publique ?

La conséquence, c’est beaucoup de toxicités diverses, hépatiques, rénales, cardiaques, etc., qui peuvent être immédiates ou non. On découvre l’origine de ces pathologies au cours de l’interrogatoire des patients qui disent avoir pris ce type de médicaments. On observe également le développement de résistances multiples aux différents traitements avec, au bout du compte, une augmentation de la mortalité et de la morbidité. Et puis, il faut aussi dire que ce commerce entraîne une perte de rentrée de devises pour les États parce qu’un tel circuit échappe aux douanes.

Comment agir ?

L’offre est là. Il faut tarir les sources, en renforçant l’autorité de réglementation, le cordon douanier. Il faut aussi contrôler tous les médicaments, renforcer l’inspection. Et, face à cela, il faut aussi agir sur la demande, éduquer la population, sensibiliser au niveau des écoles.

Philippe Bernagou regrette que la situation soit revenue au point mort, que le volontarisme politique ait disparu.

C’est vrai, une priorité chasse l’autre. La volonté politique n’est pas suffisante. Cependant, au Bénin, nous avons quand même mis en place un comité interministériel qui réunit entre autres la santé et la justice. Peu à peu, nous ferons bouger les choses.

* organisé à Paris le 15 octobre par la Mutualité française et la fondation Pierre Fabre.