FINISTÈRE (29)
Initiatives
Menue, les yeux rieurs, Joëlle Tous-Madec déborde d’énergie. Et elle en a bien besoin ! À la tête d’un cabinet d’infirmiers libéraux, elle est également adjointe à la jeunesse, l’enfance, la vie scolaire et périscolaire aux côtés du maire de Saint-Pol-de-Léon, dans le Finistère.
Joëlle voulait que les choses changent dans la petite ville bretonne qui l’a vue naître. Mais la politique de la ville ne répondait pas à ses attentes. Déterminée, elle décide de s’engager en politique lors des municipales de 2002, sur la liste d’opposition, pour faire bouger les choses. « Avec 47 % des voix, nous avons failli remporter les élections », souligne-t-elle fièrement. L’engagement politique de Joëlle aurait pu s’arrêter à cette seule expérience, d’autant qu’avec son métier d’infirmière, elle n’avait pas le temps de faire de la politique.
« Puis, aux élections de 2008, l’opposition me sollicite de nouveau pour être sur la liste électorale », se rappelle-t-elle. Elle refuse la proposition, mais les membres d’une autre liste lui font une demande similaire et, après réflexion, elle se laisse finalement convaincre, enthousiasmée par les idées qui circulent. L’équipe mène une campagne électorale « courte mais fructueuse » car sa liste remporte les élections au premier tour avec 57 % des voix. S’ensuit la prise de fonction. « Je leur ai dit que je ne voulais pas faire la potiche : je voulais des responsabilités », indique cette femme de caractère. Le maire lui propose alors l’action sociale ou la jeunesse. Son choix se porte sur la jeunesse car, dit-elle, « je suis née ici, j’ai grandi ici tout comme mes trois enfants et puis, surtout, je fais déjà du social toute la journée. J’ai eu envie de changer. »
« Il m’a fallu dix-huit mois et beaucoup de travail pour maîtriser mon sujet, être à l’aise en réunion, savoir comment fonctionne la mairie, comment travaillent les autres adjoints, explique Joëlle. Et j’en apprends encore tous les jours ! »
Pour assurer son rôle d’adjointe, Joëlle puise dans ses nombreuses compétences d’infirmière, notamment dans le domaine de la nutrition. Un savoir qui a d’ailleurs fait d’elle la référente locale du Plan national “nutrition santé”. Et, dernièrement, elle a instauré le principe d’“un fruit pour la récré”. Cofinancée par un fonds européen et une subvention communale, cette action permet aux écoliers de manger un fruit de saison une fois par semaine pour leur goûter. « J’ai également lancé la semaine de la fraich’attitude », une semaine entièrement dédiée aux fruits et légumes frais qui a pour vocation de faire découvrir ces produits auprès d’un large public.
« Sachant que nous vivons dans une zone légumière productrice, il me semble important que les enfants connaissent les légumes produits chez nous », rapporte-t-elle sur la place du marché, entre un passage chez le maraîcher et le crêpier.
Il lui arrive également d’intervenir dans les établissements scolaires pour faire connaître les actions communales. Récemment, la municipalité a réalisé un film dans le cadre de la semaine de la lutte contre le cancer. La conseillère municipale en a profité pour rencontrer les directeurs d’établissements afin de déterminer comment intégrer les élèves à ce combat. Et pour mettre en œuvre l’ensemble de ses actions, Joëlle apprécie de travailler avec un maire qui est également médecin : « Nous parlons le même langage, nous connaissons les problèmes de santé. Il est donc plus facile pour moi de l’interpeller sur certains points. »
Que pensent ses patients de sa fonction d’adjointe au maire ? « Je ne pense pas en avoir perdu avec ma prise de fonction ; j’en ai plutôt eu des nouveaux. » Lors de sa tournée, certains d’entre eux en profitent d’ailleurs pour lui parler de la politique de la ville. « Un patient me pose des questions sur l’exercice de ma fonction dans les quartiers, un autre sur la fermeture d’une classe dans le village. » Mais l’adjointe cherche le plus possible à séparer ses deux métiers. « Lorsque des patients ont des griefs sur la politique de la ville, je les invite à venir me voir à la mairie, lors de mes permanences. » En effet, tous les mardis après-midi, Joëlle tient une permanence et enchaîne avec les réunions du bureau municipal le soir. « La majorité des adjoints exerce un autre métier. Nos réunions se déroulent donc souvent de 19 à 20 heures. De fait, je ne travaille plus beaucoup le soir en tant qu’infirmière libérale. Mais je me rattrape le matin ! »
Avec sa prise de fonction en 2008, Joëlle a dû adapter son emploi du temps afin de concilier son métier d’adjointe avec celui d’infirmière. À la tête d’un cabinet libéral depuis une vingtaine d’années, elle ne parle pas pour autant de vocation. Bien au contraire : « Cela me fait rire quand on parle de vocation. Lorsque j’ai passé le baccalauréat, je savais ce que je ne ferais pas : infirmière », confesse-t-elle en éclatant de rire.
C’est un concours de circonstances qui l’a menée vers ce métier. À l’origine, elle voulait être orthophoniste, mais un défaut de prononciation met un terme à ce choix. Elle s’oriente alors vers la psychomotricité et quitte pour la première fois sa région natale pour faire ses études à Lyon. « Quand je suis revenue m’installer en Bretagne, mon diplôme n’était pas connu dans ma ville », se souvient-elle. Sans travail, elle décide d’aller frapper à la porte de la maison de retraite de Saint-Pol-de-Léon qui l’embauche comme agent hospitalier pendant plusieurs années. « Je faisais un peu le même travail que les aides- soignantes mais je ne pouvais pas en avoir le statut car je n’avais pas le diplôme. » Le directeur de la maison de retraite lui suggère alors de faire des études d’infirmière et de revenir le voir une fois son diplôme en poche : « Je l’ai pris comme un défi », reconnaît la Bretonne. En 1983, la maman de deux jeunes enfants décide donc de reprendre le chemin des études pour devenir infirmière. Direction l’Ifsi de Morlaix, à vingt minutes en voiture de Saint-Pol-de-Léon. « À cette époque, j’ai hésité avec kinésithérapeute, mais les études se déroulaient à Rennes : trop compliqué pour une maman. »
De retour dans sa ville natale, l’infirmière travaille un an à la maison de retraite, puis en tant que salariée d’un cabinet en libéral. Mais le chômage pointe son nez après quelques années d’exercice. Joëlle décide alors de se lancer et de fonder, en 1990, sa propre clientèle. « J’ai commencé par travailler seule, le matin et le soir. » Puis, petit à petit, le bouche-à-oreille fonctionne et les coups de téléphones affluent. Fatiguée et surchargée de travail, elle embauche une infirmière au bout d’un an d’exercice, et deux autres par la suite. « L’une des infirmières vient de partir en retraite, mais nous allons retrouver quelqu’un d’autre », affirme-t-elle en précisant que l’équipe a trouvé un confort de travail en fonctionnant à quatre.
Au volant de sa voiture, avant de se rendre chez sa prochaine patiente, Joëlle téléphone à Sébastien pour savoir voir si tout se déroule bien. Il y a trois ans, Joëlle s’est associée avec Sébastien qui lui a racheté une partie de sa clientèle. « J’ai voulu garder la majorité des parts pour les revendre plus facilement si je le souhaite un jour », explique-t-elle. Au sein de l’équipe, un troisième infirmier est remplaçant et un quatrième devrait devenir collaborateur.
Financièrement, Joëlle a décidé de rémunérer chaque membre du cabinet sur la quantité de travail effectué. Les membres de l’équipe sont deux à travailler par jour, l’un faisant la “petite” tournée auprès d’une dizaine de patients nécessitant des soins importants (mise en route de pompes, patients algiques, pansements étendus), et l’autre se consacrant à la “grande” tournée auprès de patients plus nombreux (une vingtaine) et dont les soins sont moins longs (prises de sang, pansements suturés postopératoires). Les emplois du temps et les jours de travail sont adaptés, autant que possible, aux exigences de chacun. L’équipe essaie également de satisfaire les demandes des patients. « Lorsque nous pouvons envoyer un infirmier “homme” chez ceux qui le souhaitent, nous le faisons. »
D’après Joëlle, il est maintenant plus compliqué, pour les infirmiers, d’exercer ce métier. « Les patients sont plus exigeants avec eux, ils n’ont pas le droit à l’erreur. » Et de poursuivre : « J’aime bien travailler avec les hommes car ils n’ont pas la même façon de voir les choses que les femmes : ils tranchent plus facilement leurs décisions et se laissent moins guidés par les émotions. » L’équipe se réunit tous les jeudis pour évoquer le cas des patients, les difficultés auxquelles ils sont confrontés et coordonner leurs soins.
Ce métier est une vraie passion pour Joëlle. « Je le trouve polyvalent et j’ai acquis un savoir-faire qui agit immédiatement sur le patient. Ce dernier peut visualiser mes actes, avec les injections, la préparation des seringues, les perfusions. » Un métier qu’elle n’arrêterait pour rien au monde. En effet, bien que sa fonction d’adjointe au maire l’intéresse fortement, « ce nouveau travail demande beaucoup de disponibilité et un réel engagement, au détriment de ma vie personnelle ». De fait, Joëlle est incapable de savoir si elle se réengagera dans quatre ans…