Terminologie
Le débat
Comment parler des addictions aujourd’hui et quel vocabulaire utiliser ? En toile de fond de cette question purement sémantique se pose un autre débat : celui des salles de consommation à moindre risque (SMCR) qui, pour l’heure, sont encore loin d’ouvrir en France.
Parmi les professionnels spécialisés en addictologie, deux courants de pensée semblent émerger. Les uns parlent de “toxicomanes” quand les autres préfèrent utiliser l’expression “usagers de drogues”. À votre avis, quel est le terme le plus approprié ?
Dans les années 1980, on employait plus le mot “drogués”. Lors de la prise en charge de ces personnes, on se plaçait beaucoup dans le jugement. On les accueillait en services de psychiatrie ou on les considérait comme des délinquants. Le terme “toxicomanes” est venu plus tard. Puis l’épidémie du VIH est arrivée. Elle a poussé les professionnels à réfléchir à cette question. C’est ainsi qu’est née la réduction des risques. On a alors commencé à parler “d’usagers de drogues”. Aujourd’hui, on utilise de plus en plus le terme “addictions”, voire “personnes addictes”. Pour ma part, je préfère parler d’usagers. Je trouve le terme “toxicomane” péjoratif. Il renvoie au mode de pensée des années 1980.
Refuser de parler de “toxicomanie” vous paraît-il relever du politiquement correct ?
Non. Cela reflète davantage un changement de mentalité. Avant, la seule réponse que l’on pouvait apporter aux usagers de drogues était de leur proposer l’abstinence. Avec la notion de réduction des risques, on accompagne les personnes, même si ces dernières sont encore dans la consommation. Le but est de préserver leur capital santé. Cette démarche a eu du succès. En 1992, 60 % de la population toxicomane était atteinte du VIH. Grâce à la politique de réduction des risques, ce chiffre est tombé à 2 %.
En quoi le vocabulaire employé par les professionnels de santé peut-il avoir un impact sur les patients concernés ?
Tout dépend des personnes, de leur chemin dans la prise de produits, de l’image qu’on leur renvoie d’elles-mêmes… Pour certains, le fait d’être séropositif devient même une identité. Ils avaient une telle mésestime d’eux-mêmes que le fait d’être malade leur rend une forme de dignité personnelle. D’autres, en revanche, peuvent dire « je suis tox, et alors ? ». Cela n’empêche que, dans la majorité des situations que j’ai rencontrées, le mot “toxicomane” a fait plus de mal que de bien.
Parmi les professionnels spécialisés en addictologie, deux courants de pensée semblent émerger. Les uns parlent de “toxicomanes” quand les autres préfèrent utiliser l’expression “usagers de drogue”. À votre avis, quel est le terme le plus approprié ?
Ce sont des toxicomanes. Le mot “usager” signifie que ce serait tout a fait autorisé. Je suis totalement opposé à l’emploi de ce terme quand il s’agit de drogues. L’un de mes frères, François Debré, a eu sa vie quasiment fichue par la toxicomanie. C’était un brillant journaliste qui a reçu le prix Albert Londres. Dans son dernier livre, intitulé Trente ans avec sursis, il raconte toute l’histoire de sa toxicomanie. Il est toujours en vie et va bien maintenant… J’ai aussi été président de la Fondation santé des étudiants de France, où nous avions 50 % de toxicomanes dans seize cliniques. Donc je connais bien ce sujet.
Refuser de parler de “toxicomanie” vous paraît-il relever du politiquement correct ? Pourquoi ?
En parlant “d’usager de la drogue”, on minimalise la toxicomanie. Oui, c’est du politiquement correct. On veut ouvrir des salles shoot en les appelant “salles de consommation”. Et, vu qu’il s’agit de consommation, on va y mettre des usagers… Dire “toxicomanie” est politiquement incorrect ! Pourtant, quand le toxicomane vient voir un professionnel de santé, il sait qu’il est toxicomane. Il ne comprend pas qu’on l’appelle « usager ». Il lance un appel à l’aide à la médecine, au psychiatre ! Et va-t-on lui répondre « ce n’est pas grave, vous êtes un usager, on va vous placer en salle de consommation » ? On ne va pas le jeter à la vindicte populaire en disant toxicomane. C’est une réalité et il faut essayer de l’en sortir.
En quoi le vocabulaire employé par les professionnels de santé peut-il avoir un impact sur les patients concernés ?
Ce sont les bien portants qui font de la sémantique, pas les toxicomanes. Ils demandent la vérité. Pas seulement le vocabulaire, l’attitude aussi, le suivi. Ils ne demandent pas la compassion mais une aide. Ce n’est pas en disant “usagers de drogues” qu’on leur rendra leur dignité. La dignité, c’est la vérité dans le regard que l’on porte sur le drogué et l’empathie que l’on peut avoir pour l’accompagner.