L'infirmière Libérale Magazine n° 267 du 01/02/2011

 

Cahier de formation

Savoir faire

Denis, 7 ans, se plaint de ne pas pouvoir jouer avec ses copains. En effet, sa maman, redoutant une crise douloureuse, le lui interdit. Que dire ?

Un enfant drépanocytaire ne doit pas être exclu des activités partagées avec les autres. Cependant, certaines précautions s’imposent, que vous pouvez lui conseiller. Vous en profitez pour rappeler les facteurs favorisant les crises vaso-occlusives.

Si les crises vaso-occlusives peuvent survenir sans cause évidente, elles sont cependant souvent déclenchées par certaines circonstances qu’il faut connaître, et éviter.

LES FACTEURS

→ Une hypoxie : effort excessif et inhabituel, altitude, vêtements trop serrés, obstruction des voies respiratoires supérieures, avion mal pressurisé, espace mal aéré, etc.

→ Des changements de température, un refroidissement, logements mal chauffés.

→ La fièvre, les infections.

→ Une hydratation insuffisante ou une deshydratation (vomissements, diarrhée, etc.).

→ Une prise de corticoïdes par voie générale.

→ Les stress physiques et psychiques.

→ Le manque de sommeil.

→ La prise d’excitants, d’alcool, de tabac ou de drogues illicites (chez les adolescents).

L’ACTIVITÉ PHYSIQUE ET SPORTIVE

Il ne faut pas exclure l’enfant des activités partagées avec les autres. La pratique d’un exercice physique est même conseillée. En revanche, certaines précautions s’imposent. Il faut éviter les efforts intempestifs avec sueurs ou grand essoufflement. L’enfant doit pouvoir boire pendant et après l’effort. D’une manière générale, il doit toujours avoir une bouteille d’eau sur lui et pouvoir l’utiliser, même en classe. Il faut respecter son rythme d’effort : il doit pouvoir s’arrêter quand il se sent essoufflé et reprendre quand il le peut, et penser à changer de vêtements lorsqu’il a transpiré… Il faut connaître la technique de la “pelure d’oignon” : plutôt qu’un gros pull, l’enfant porte plusieurs couches de vêtements légers qu’il peut ôter ou remettre en fonction de la température. Les pratiques du sport de compétition, du sport en apnée et de la plongée sous-marine sont contre-indiquées.

LE FROID

→ Le froid est connu comme un ennemi naturel de l’enfant drépanocytaire. La baignade en eau froide, par exemple, est contre-indiquée. Elle est autorisée dans une eau dont la température est supérieure à 25°C, à condition que l’enfant sorte du bain au moindre refroidissement et qu’il soit réchauffé dès sa sortie de bain.

→ Au quotidien, il faut être attentif aux changements de température qui peuvent provoquer une crise drépanocytaire, et ils sont nombreux. Par exemple, en hiver, passer sans transition d’une pièce chaude à la rue ou, en été, de la rue au rayon froid des supermarchés. Même à cette saison, l’enfant doit enfiler un gilet. L’avion est également un piège fréquent. L’air y est frais et déshydraté et le contraste avec l’air du pays d’arrivée est souvent fort.

LA FIÈVRE

Il faut surveiller la température de l’enfant, et donc se servir d’un thermomètre. La prise de la température peut être un sérieux problème chez des familles ayant peu de ressources, qui n’ont pas les moyens d’en acheter.

L’HYDRATATION

Il faut insister sur la nécessité d’une hydratation abondante (l’enfant doit garder les urines aussi claires que possible). Cette hydratation abondante doit encore être majorée en cas d’effort sportif, de réchauffement du climat, d’infection, de vomissements ou de diarrhée, et dès les premiers signes évocateurs d’un début de crise douloureuse.

L’ALTITUDE, LES VOYAGES

→ Avant le voyage, il est recommandé de rappeler aux parents la nécessité de consulter le médecin spécialisé dans la prise en charge de la drépanocytose et le médecin du voyage, au moins trois mois avant leur départ pour la réalisation des vaccins nécessaires et les conseils adaptés. Le médecin spécialiste peut indiquer le nom d’un correspondant sur place, quand il existe. Et rappeler aux parents la nécessité d’emporter avec eux le carnet de santé de l’enfant, la carte de soins et d’information, et la carte de groupe sanguin.

→ Au-dessus de 1 500 mètres, l’altitude est fortement déconseillée. Les voyages en avion de ligne pressurisés sont possibles, à condition de s’habiller chaudement pour ne pas avoir froid à cause de l’air conditionné à bord, d’éviter des vêtements trop serrés (blocage circulatoire), boire abondamment et bouger autant que possible.

→ En bus, ou train, prévoir des temps de repos et des boissons abondantes.

→ Les séjours dans les pays avec accès problématique aux soins doivent être limités. Penser à la protection médicamenteuse contre le paludisme qui reste indispensable.

LES ADOLESCENTS

→ Pour que cette période “à risque” soit réussie, l’adolescent doit avoir acquis une capacité à gérer sa maladie en dehors de ses parents et de son équipe de soins. De ce fait, la préparation doit débuter bien en amont de cette période.

→ Les adolescents peuvent considérer leur médecin traitant comme trop proche de leurs parents et se sentent gênés dans leur liberté d’expression. Il peut être nécessaire d’orienter ces patients vers des médecins habitués à la prise en charge des adolescents.

→ Le rôle des facteurs déclenchants des crises vaso-occlusives tels que les excitants, l’alcool, le tabac ou les drogues illicites peuvent être réexpliqués aux adolescents.

→ Les thèmes de la sexualité, de la protection contre les maladies sexuellement transmissibles, de la contraception et du conseil génétique peuvent être abordés. Les modalités de la contraception pour une adolescente drépanocytaire sont les mêmes que pour toute adolescente. Beaucoup de femmes ont des crises vaso-occlusives rythmées par les règles, et la contraception orale peut les diminuer.

LES RISQUES LIÉS À LA GROSSESSE

Les filles doivent être informées des risques particuliers liés à la grossesse chez une femme drépanocytaire.

La grossesse en règle général n’est pas contre-indiquée, mais il faut se soucier du génotype de l’hémoglobine du conjoint. Dans la plupart des cas, il n’y a que peu, ou pas, d’interférence entre la grossesse et la drépanocytose jusqu’à la fin du 4e mois d’aménorrhée. Ensuite, les femmes doivent être prises en charge dans une maternité de type 3 (qui dispose d’un service de réanimation néonatale et spécialisée dans le suivi des grossesses pathologiques ou multiples, celles dont on sait, dès la conception, qu’elles présentent un risque pour l’enfant à naître). En effet, la mortalité maternelle reste voisine de 2 %, et les pertes fœtales tardives sont fréquentes.

L’ANXIETÉ

Un accompagnement est souvent nécessaire pour permettre aux enfants et à leurs parents de ne pas se laisser déborder par les crises douloureuses anxiogènes et pour pouvoir utiliser au domicile sans panique les médicaments antalgiques prescrits, ou pour faire face aux situations d’urgence.

Point de vue…
La précarité

Christian Godart, président d’honneur de l’association SOS Globi

« Aujourd’hui, la grande précarité se retrouve essentiellement chez les drépanocytaires sans papiers. Vous avez un certain nombre de patients qui sont soignés en France depuis plusieurs années et qui se retrouvent sans papiers, parce que les préfectures jouent la montre, et tardent à renouveler les papiers. Ce “seul” stress suffit à provoquer des crises. Vous avez aussi certains drépanocytaires qui viennent d’Afrique, qui ont un visa, entrent en France, et qui restent, parce qu’ils savent que leur survie dépend des soins, et que dans leur pays ils n’y auront pas accès. Ceux-là entrent dans une précarité terrible, où nous nous sentons très impuissants. Bien sûr, en Afrique, il y a des médecins compétents et des infrastructures, mais ces drépanocytaires n’y auront jamais accès, faute de moyens. »

Point de vue…
Le conseil génétique, une pratique complexe et délicate

Pr Frédéric Galactéros, service de médecine interne, hôpital Henri-Mondor, centre de référence des syndromes drépanocytaires majeurs de l’adulte

« Plus de 90 % des naissances d’enfants drépanocytaires en France sont des “surprises” pour les parents. Dans les rares couples où le risque de donner naissance à un enfant drépanocytaire est repéré, son identification survient dans deux tiers des cas quand la grossesse a au moins cinq mois, ce qui génère des situations d’extrême angoisse chez les parents. Le conseil génétique a pour but d’identifier les couples qui risquent d’avoir des enfants atteints de drépanocytose et de leur expliquer tous les aspects de ce risque. Si les parents acceptent, en connaissance de cause, de prendre le risque d’une grossesse, ils doivent être informés de l’existence possible d’un diagnostic prénatal à effectuer entre la 12e et la 17e semaine de gestation et la possibilité de demander une inerruption de grossesse si le fœtus est homozygote S/S. Ils peuvent dans certains cas demander à bénéficier d’un diagnostic pré-implantatoire. Le conseil génétique est donc une pratique complexe et délicate, qui doit être confiée à des généticiens très avertis. »