Télécommunication
Dossier
Le temps où l’on se contentait d’un papier et d’un crayon est révolu. Internet et les appareils communicants ont bouleversé la circulation de l’information, qu’il s’agisse de la coordination des soins ou de la gestion du cabinet. En attendant la généralisation du DMP, les libérales expérimentent de nouveaux outils. Et elles aiment ça !
Fini le planning de chaque tournée griffonné à la main, le classeur des prescriptions pour chaque patient, le cahier de suivi à remplir au domicile de chacun, les constantes à reporter ici ou là, les actes à noter et à télétransmettre, les infos à récupérer auprès du Dr X, entre 15 heures et 16 h 30, celles à donner au Dr Y entre 12 h 45 et 13 h 25 ou encore la collection de recommandations sur post-it pour la remplaçante et la carte routière déchirée sur le siège passager de la nouvelle recrue. Tout cela appartient-il déjà au passé ? Pas tout à fait encore.
Certes, il existe de nombreux outils et technologies qui facilitent ou pourraient faciliter le quotidien des infirmières libérales, celui des patients, la coordination et donc la qualité des soins en général. Les technologies de l’information et la communication (Tic), c’est-à-dire Internet, l’informatique et les télécommunications, ont ouvert de nouveaux horizons à la prise en charge des patients et aux conditions d’exercice des métiers du soin. Tandis que le dossier médical personnel (DMP) semble en passe de démarrer (cf. Actualité p. 14), les Tic sont déjà entrées dans les mœurs de certains infirmiers libéraux, dont certains passent pour des “geeks”, ces bidouilleurs passionnés d’informatique. Ils glanent des informations sur Internet, échangent sur des forums avec des confrères et consœurs qu’ils n’ont jamais vus, utilisent leur téléphone portable et leur ordinateur pour faciliter les transmissions et réduire le travail de paperasse…
Vanessa Luciani fait partie de ceux-là, si l’on en croit ses proches. « Je me sers beaucoup d’Internet pour la pharmacologie, commence-t-elle. Dès que j’ai un doute sur la compatibilité de certains médicaments, plutôt que de chercher la notice des boîtes, qui n’est plus avec en général, je vais vérifier sur le site du Vidal ou d’autres. Je fais aussi des recherches à propos de prises en charge qui me posent problème ou lorsqu’un malade souffre d’une pathologie que je ne connais pas bien, comme les maladies orphelines. J’ai besoin de comprendre le mécanisme mais aussi les comportements que ces pathologies peuvent impliquer. » L’infirmière se rend aussi sur des forums de malades où elle trouve des témoignages de personnes atteintes de certaines pathologies et de leur entourage ainsi que sur des forums professionnels.
« Je suis inscrite sur tous les forums d’infirmiers libéraux et j’ai tendance à beaucoup répondre, explique-t-elle. Comme j’ai fait de nombreuses recherches, quand une question se pose, j’ai souvent la réponse. » Elle navigue avec aisance entre les forums de syndicats, souvent houleux, les forums très fréquentés et un peu impersonnels et ceux où tout le monde se connaît plus ou moins. Et reconnaît qu’ils permettent de pallier la solitude naturelle de l’infirmière libérale. « On n’a plus de collègues pour vider son sac pendant les pauses, comme à l’hôpital », souligne l’infirmière. Alors, sur les forums, note-t-elle, « on recrée un peu une équipe hospitalière qu’on n’a plus ».
Arnaud Colin, 36 ans et nouvellement installé, rompt lui aussi son isolement sur les forums où il partage ses expériences, interroge des confrères plus expérimentés sur des cotations, la télétransmission ou des techniques de soins peu familières. Conseil, soutien, complicité professionnelle… « Je peux être demandeur mais je me suis aperçu que je pouvais aussi apporter conseil et soutien aux autres qui se sont installés après moi », observe-t-il.
Ces échanges sur Internet lui permettent aussi d’affiner ses gestes sur certains sujets pointus. À l’aise, donc, avec les Tic, il continue pourtant d’écrire sa tournée à la main le matin alors que son logiciel lui permet de l’imprimer ou de l’envoyer par mail… À Vigneulles Les Hattonchâtel, dans la Meuse, Hubert Pilloy, dispose d’un agenda en ligne partagé avec les différents professionnels de son pôle de santé qui peut être imprimé ou envoyé par mail et qui peut donc être lu sur leurs smartphones. Un outil qui leur permet aussi de localiser facilement une adresse… Dès qu’un nouveau patient appelle, ses coordonnées sont entrées dans le système informatique qui « met à jour l’agenda et génère automatiquement un mail vers le professionnel concerné (qui peut le lire sur son ordinateur ou son mobile) », explique l’infirmier.
Vanessa, comme Arnaud, suit sur le Web l’évolution de la réglementation, la création de l’Ordre infirmier, etc. « C’est une mine d’informations ! », reconnaît l’infirmière, qui suit en outre une formation en ligne sur les cancers de la peau. De chez elle, à n’importe quelle heure. Elle s’est également constitué un dossier de soin informatisé mais ne le partage pas avec ses collègues du cabinet. Grâce à son mobile, Vanessa est connectée toute la journée. Il lui permet aussi de dicter les transmissions et de les envoyer à la fin de la journée par SMS ou mail.
Arnaud Colin s’est lui aussi constitué un dossier, sous forme de tableau basique, qui reprend les prescriptions de chaque patient, la date de la dernière ordonnance et son échéance, les cotations, l’entente préalable, etc. Il le partage avec ses deux collègues. Cela leur prend un peu de temps mais facilite les choses, en particulier quand un remplaçant vient se greffer sur la tournée. Il utilise aussi beaucoup le Web pour communiquer par mail, « même si nous faisons les transmissions par téléphone, précise-t-il. Nous scannons toutes les ordonnances et nous nous les envoyons par mail ». Même chose si une démarche de soins infirmiers ou une entente préalable doit être faite.
En dehors de ce réseau, Hubert Pilloy dispose, sur son ordinateur mais aussi sur son smartphone, et donc pendant sa tournée, de la liste de tous ses patients, actifs ou non, de leur adresse, de leur numéro de téléphone, des derniers soins donnés, des ordonnances en cours, des horaires de passage… Des informations qu’il peut mettre à jour de n’importe où et à n’importe quel moment.
Si cette application ne lui permet pas de facturer en direct, elle lui rappelle cependant lorsqu’il doit le faire. Les applications “santé” (pour Iphone, le smartphone d’Apple étant en pointe dans ce domaine) sont légion mais peu sont spécialement dédiées aux infirmières libérales et elles ne sont pas interopérables avec les logiciels installés. La société CBA propose aux libérales abonnées à son logiciel de télécharger gratuitement une application Iphone de ce genre depuis la mi-octobre. Elle permet de visualiser la tournée d’une journée ou d’une semaine, de géo-localiser les patients, de calculer les itinéraires et les kilométrages, de mettre à jour les actes effectués en direct, de prendre des photos et des notes et de les synchroniser avec le logiciel, de visualiser le chiffre d’affaires du jour et également de communiquer entre infirmières associées. Les données se synchronisent avec le logiciel en quelques secondes au retour de la tournée et, plus tard, en temps réel.
Depuis 2007, la Belgique expérimente un système de recueil d’informations patient à leur domicile sur un dispositif mobile (tablette ou autre), par les infirmières dites “indépendantes”, des données qui alimentent leur dossier patient informatisé au chevet des malades.
En France, le dossier médical personnel a longtemps patiné avant de voir enfin le jour mi-décembre et en priorité dans les cinq régions qui l’ont expérimenté. Les infirmières libérales ont vocation à y accéder et à l’alimenter… à condition de disposer de la carte de professionnel de santé (CPS) et donc, au préalable, d’être inscrit au répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS), ce qui prendra du temps (cf. interview de Jeanne Bossi, secrétaire générale de l’Asip santé).
Les représentants des libérales, notamment l’Ordre national des infirmiers (ONI) et la Fédération nationale des infirmiers (FNI, dont le dernier congrès, en décembre, a porté sur ces questions) se sont fortement positionnés pour assurer aux libérales une place importante, non seulement au sein du DMP mais aussi dans les projets de télémédecine ou télésanté (deux domaines aux frontières encore mal définies).
Pour Dominique Le Bœuf, présidente de l’Ordre des infirmiers, la mise en place du DMP doit amener à créer de manière réglementaire une véritable équipe de soins composée de médecins et d’infirmiers et habilitée, comme la dernière Conférence nationale de santé a pu la définir, à échanger des informations. Mais ce dossier doit s’accorder avec des règles déontologiques claires, ce qu’elle n’estime pas, pour l’heure, être le cas. Selon la président de l’ONI, le DMP devra être particulièrement ergonomique, complètement sécurisé, et apporter une valeur ajoutée aux libérales pour qu’elles s’en emparent.
Il s’inscrit en tout cas dans une évolution plus large, celle de la télésanté et de l’utilisation des techniques d’information et de communication au profit d’une meilleure prise en charge des patients. Et, pour Yannick Motel, ces « Tic sont un axe stratégique d’évolution de la profession infirmière ». Geek ou pas, il faudra donc forcément s’y mettre !
Parmi les sites préférés des infirmiers et infirmières geeks
→ www.espaceinfirmier.com : le site de votre magazine, entièrement relooké ce mois-ci ! Actu, petites annonces, lexique des sigles, etc. Il répertorie aussi les meilleurs blogs infirmiers et propose des serious games… Une véritable mine d’or ; )
→ www.ameli.fr : le site de la Caisse nationale d’Assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Incontournable. Permet d’accéder à vos relevés de paiements, vos virements, vos relevés d’activité mensuels, de contacter votre caisse, etc.
→ www.msa.fr : le site de la Mutualité sociale agricole, lorsqu’on prend en charge des patients affiliés à ce régime. Les professionnels de santé disposent d’un espace personnel.
→ www.mgen.fr : le site de la Mutuelle générale de l’éducation nationale, avec là aussi un espace pro.
→ www.carpimko.com : la Caisse de retraite des auxiliaires médicaux. Pour suivre l’évolution de sa carrière sur le plan des cotisations et retraite.
→ www.ordre-infirmiers.fr : le site de l’Ordre national des infirmiers.
→ http://annuaire.gip-cps.fr : pour le jour où disposerez de la carte CPS.
→ Des forums avec d’autres libéraux sur www.espaceinfirmier.com, www.l-idel.fr, www.ide-liberal.com, www.infirmiers.com.
→ Les sites des associations de gestion, les sites des banques pour suivre ses comptes en direct, les sites de fournisseurs de matériel de soin pour commander en ligne, les sites de formation en ligne et les sites des syndicats d’infirmières libérales.
Ces sites permettent en outre aux infirmières libérales de glaner des informations ou contacter chacune de ces structures au moment où elles le peuvent et pas seulement par téléphone aux heures ouvrables…
* Lire aussi notre portrait “Initiatives” sur l’infirmier-créateur du site www.infirmiere-liberale.com, paru en avril dans le ILM n° 258.
Quel accès les infirmières libérales auront-elles au DMP ? Dès lors qu’elles participeront à la coordination des soins, elles auront accès à la matrice d’habilitation du dossier, c’est-à-dire à toutes les données, sauf certaines d’imageries médicales. Le DMP ne peut être créé qu’avec l’autorisation du patient et l’infirmière libérale ne pourra le consulter que si elle possède une carte de professionnel de santé, la CPS, et donc être inscrite au répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS). Pour y figurer, elle devra être inscrite au Conseil de l’Ordre des infirmiers ou auprès de l’Agence régionale de santé.
Quelle pourra être l’articulation entre le DMP et le dossier de soins infirmiers informatisé (DSII) ? Le DMP n’a pas vocation à se substituer aux dossiers métier. Il revient aux infirmiers de décider de ce qu’ils mettront dans leur DSII et le comité de liaison et de coopération de l’Asip [ndlr : qui associe les différents professionnels de santé concernés par le DMP] vient de décider la constitution d’un groupe de travail sur ce sujet. En tout état de cause, la partie de ce dossier infirmier nécessaire à la coordination des soins ira naturellement nourrir le DMP.
Et avant la généralisation du DMP ? Nous travaillons sur la sécurisation des données de santé et l’interopérabilité des dispositifs. Quant à la participation des infirmières libérales, il faudra d’abord procéder à leur enregistrement au RPPS, ce qui est lourd.
*Asip : Agence de systèmes d’information partagés de santé.
→ Le site de l’Agence des systèmes d’information partagés en santé, l’Asip santé : http://esante.gouv.fr/
→ Le site du Lessis (Les entreprises des systèmes d’information sanitaires et sociaux) : www.lesiss.org
→ Le site du Syndicat national de l’industrie des technologies médicales, Snitem : www.snitem.fr
→ Le site de l’association Interop’santé : www.interopsante.org
La FNI a planché avec Lessis (Les entreprises des systèmes d’information sanitaires et sociaux) sur un projet de dossier de soins infirmiers informatisé (DSII) intégrable au DMP. Une idée bien accueillie lors du dernier congrès de la FNI en décembre dernier. Ce dossier « permettrait de valoriser tout ce qui gravite autour des actes et reste invisible aujourd’hui : le suivi, la surveillance, le dépistage, l’alerte, tout ce qui fait l’observation clinique. Des données recueillies par les infirmières libérales au quotidien et qui ne sont pas exploitées aujourd’hui », considère Philippe Tisserand, président de la FNI. Mais les protocoles et les “dispositifs de mobilité” (tablette type Ipad, mini-ordinateur ou smartphones) que les libérales pourraient employer, n’ont pas encore été définis. En tout état de cause, « il faudra prévoir un financement », estime Yannick Motel, délégué général de Lessis. D’autant que, si les infirmières libérales ont largement adopté la télétransmission, leurs cabinets sont peu informatisés. Au-delà du DMP, c’est la place des libérales dans la télésanté qu’il s’agit à présent de déterminer.
Le décret sur la télémédecine paru au Journal officiel du 21 octobre 2010 en définit les modalités et les contours : téléconsultation, télé-expertise, téléassistance et télésurveillance médicale. C’est surtout dans ce dernier domaine que les libérales devraient apparaître en première ligne, de par leur proximité avec les patients. Pour Philippe Tisserand, « les infirmières seront le ciment de la télésanté ». Reste à faire prendre le mortier. La FNI s’est fortement engagée dans les travaux sur les systèmes d’information : commission Galien, association Interop’santé, réflexion commune avec le Lessis puis avec l’Asip. « Si on n’intervient pas en amont, poursuit-il, on ne fera que subir les choses et on revivra ce qui s’est passé avec la carte vitale, pensée uniquement pour les médecins et deux actes. »
L’Asip vient de lancer “Télémédecine 1”, un appel à projet, en direction des régions : à charge pour celles qui répondront de définir les conditions d’association des libérales à ces projets. Il ne concerne pas la télésurveillance, un marché « pas encore mature », estime Jean-Bernard Schroeder, directeur TicSanté et équipements du Snitem (Syndicat national de l’industrie des technologies médicales).