L'infirmière Libérale Magazine n° 269 du 01/04/2011

 

Cahier de formation

Savoir faire

Chez les personnes affaiblies, l’anémie aggrave une santé déjà précaire et pénalise le pronostic vital.Bien connaître les principales formes d’anémies et leurs pathologies associées aide le professionnel de santé à prendre en charge les patients et à les informer, afin d’améliorer la vigilance face aux symptômes et de prévenir les effets indésirables.

Mme D., 38 ans, qui ne présente pas de pathologie particulière, se sent fatiguée, frileuse. Elle est vite essoufflée et vous la trouvez un peu pâlotte…

Interrogez Mme D. : si elle a tendance à manger peu de viande, de légumes secs, de fruits et légumes, et si, de surcroît, elle a des règles abondantes, il est fort probable qu’elle souffre d’une carence en fer qui a généré une anémie. Pour vous en assurer, une simple analyse de sang, avec dosage de l’hémoglobine, de l’hématocrite, de la ferritine et une NFS.

La carence en fer est très fréquente, même dans nos sociétés d’abondance. Il s’agit de la principale cause d’anémie : environ un cas sur deux lui est imputable.

ÊTRE ATTENTIF AUX SYMPTÔMES

Les symptômes caractéristiques de l’anémie par carence martiale sont la fatigue, la pâleur de la peau et des muqueuses, l’essoufflement au moindre effort accompagné de tachycardie, des ongles et des cheveux cassants, une perte d’appétit, des maux de tête, des étourdissements… Chez l’enfant tout comme chez l’adulte, l’anémie a des conséquences négatives sur l’état de santé général du malade.

Chez les enfants

L’anémie par carence martiale affecte la croissance. Elle a aussi des répercussions sur leur comportement et leurs performances intellectuelles. En cas de difficultés scolaires ou de fatigue chronique, l’hypothèse d’une déficience en fer doit être explorée, en particulier chez les adolescents en pleine poussée de croissance, et a fortiori chez les filles dès qu’elles sont réglées. Du fait de la moins bonne fourniture d’oxygène aux différents organes et tissus, l’anémie provoque une diminution des capacités physiques et une faiblesse du système immunitaire, qui rend les personnes plus sensibles aux infections. Face à des enfants sujets à des rhumes ou gastro-entérites à répétition, la question de l’anémie et des apports alimentaires en fer doit être soulevée.

Chez la femme enceinte

Les répercussions de l’anémie touchent la future mère, mais aussi son bébé. Les complications liées à l’accouchement sont augmentées chez les femmes anémiées. Les accouchements prématurés sont plus fréquents, et les bébés ont des poids de naissance inférieurs. L’hémorragie qui accompagne l’accouchement majore le déficit en fer. Il faut être vigilant face à une jeune mère qui a perdu beaucoup de sang lors de l’accouchement et qui a du mal à récupérer. Cependant, la réduction du volume sanguin et l’absence de règles pendant la période post-partum permettent aux nouvelles mères de reconstituer leurs stocks de fer de manière physiologique en 3 à 4 mois. Même si le lait contient du fer, la quantité ainsi perdue par les femmes qui allaitent reste inférieure aux pertes menstruelles. Attention aux femmes qui enchaînent les grossesses sans avoir le temps de reconstituer leurs réserves martiales, ou aux grossesses gémellaires très gourmandes en fer. Attention également aux grossesses chez les très jeunes filles, qui cumulent les risques des adolescentes et des femmes enceintes vis-à-vis de la carence en fer.

Les personnes âgées

Elles constituent également un groupe à risque. L’irritation des muqueuses œsophagienne ou gastrique par la prise d’anti-inflammatoires, conjuguée à la fluidification du sang en cas de prise d’anticoagulants, peut se traduire par des hémorragies digestives à bas bruit. Ajoutez à cela une perte d’appétit responsable d’une légère dénutrition et tous les éléments sont réunis pour obtenir une anémie par carence martiale, doublée d’une déficience vitaminique B dans les plus mauvais cas. Or chez ces personnes fragiles, les répercussions de l’anémie et du manque d’oxygène sont amplifiées. Une étude américaine a montré que les risques d’hospitalisation et de décès étaient majorés de 40 % et 50 %, respectivement, chez des personnes de plus de 70 ans atteintes de carence martiale, indépendamment de tout autre facteur. Veiller à ce que l’alimentation d’une personne âgée lui fournisse du fer en abondance permet d’améliorer son confort de vie et d’éviter des facteurs de morbidité. Il faut également se montrer vigilant face à des troubles cognitifs, comme une lenteur d’idéation, qui peuvent refléter un état anémique d’origine nutritionnel ou médullaire.

ÉQUILIBRE ENTRE BESOINS ET APPORTS DE FER

L’équilibre entre besoins et apports en fer n’est pas toujours respecté. Pourtant, notre organisme fait preuve d’un grand sens de l’économie dans sa gestion des stocks, puisqu’il recycle totalement le fer des globules rouges, qui représente la majeure partie du fer de l’organisme. Il n’existe pas de mécanisme d’excrétion du fer : seules d’infimes quantités sont perdues quand les cellules de surface se renouvellent (peau, voies digestives, aériennes, urinaires et génitales). Les besoins en fer correspondent donc aux pertes physiologiques et aux quantités requises par la croissance.

Au quotidien, l’équilibre entre les besoins et les apports est difficilement assuré pour les jeunes enfants et les femmes adultes. Pour les femmes, les menstruations représentent une perte non négligeable de fer. En effet, alors que les pertes sont estimées à 1 à 2 mg par jour, les règles ajoutent en moyenne 0,5 mg. Mais chez certaines femmes, cette valeur peut atteindre 2 mg. Un changement de mode de contraception, qui influe sur l’abondance du flux menstruel, peut être à discuter en cas de pertes importantes. En effet, les règles sous pilule contraceptive ou sous stérilet hormonal sont généralement plus légères que sous stérilet au cuivre.

Chez la femme enceinte, les besoins sont énormément augmentés (cf. schéma page précédente) et ne sont pas toujours couverts par l’alimentation. Les conseils diététiques doivent donc souvent être accompagnés d’un complément alimentaire. Une supplémentation en fer au cours de la grossesse et en suite de couches aide les femmes à récupérer plus rapidement de l’anémie et à mieux faire face à la fatigue, ce qui n’est pas négligeable au cours de cette période agitée où le manque de sommeil se fait souvent cruellement sentir.

Cependant la supplémentation systématique en fer n’est pas recommandée en France. Elle se fait au cas par cas, lorsque la déficience ou la carence est objectivée par un dosage biologique. La prévention de l’anémie passe également par des conseils diététiques relatifs aux apports en folates (vitamine B9) : levure alimentaire, foie, jaune d’œuf, champignons, cresson ou noix sont à mettre au menu de la femme enceinte.

CORRIGER L’ALIMENTATION

Avant d’être anémique, on passe par une phase où les stocks de fer diminuent. C’est là que des conseils alimentaires peuvent être utiles à la prévention. Dans les aliments, le fer existe sous forme héminique, c’est-à-dire lié à un groupement hème identique à celui de l’hémoglobine ; ou sous forme non héminique (oxydes, sels ou complexes ferriques ou ferreux). Le fer héminique, le mieux absorbé, est fourni par des aliments d’origine animale alors que le fer non héminique se trouve dans les aliments végétaux. La biodisponibilité du premier est bien supérieure à celle du second et dépend peu des autres composants du régime alimentaire. À l’inverse, le taux d’absorption du fer végétal, beaucoup plus faible, est sujet à variations : il sera augmenté en présence de vitamine C (kiwi, orange, fraise, citron, pamplemousse) et de protéines animales, et abaissé en présence de calcium, tannins (thé, café, chocolat, vin) et acide phytique (présent dans les céréales complètes). Les lentilles et les épinards ne méritent donc pas leur réputation de bons fournisseurs de fer. Mieux vaut se reporter sur la viande rouge, les abats, les œufs ou les fruits de mer, qui comportent également de la vitamine B12.

Concernant la vitamine B9, les apports nutritionnels conseillés sont de 300 à 400 µg par jour pour les adultes, ce qui peut se trouver assez facilement dans une alimentation variée. Les salades (cresson, épinard cru, mâche, scarole ou laitue) en sont très riches. D’autres légumes verts, comme le poireau, le brocoli, les petits pois ou les épinards cuits, en contiennent en bonne quantité. Enfin, les folates sont également présents dans les graines (noisettes, châtaignes) et le foie.

Anémie et cancer : des relations multiples

On estime que 40 % des patients cancéreux sont anémiques avant tout traitement. Cette fréquence monte à 60 % après deux cycles de chimiothérapie, voire 70 % s’ils sont traités avec des sels de platine qui présentent une toxicité rénale. L’anémie peut avoir plusieurs causes : atteinte de la moelle par la tumeur ou par la toxicité des traitements, séquestration du fer par les macrophages, faible sécrétion d’EPO en cas d’atteinte du rein, saignements de tumeurs digestives, hémolyse due aux agents alkylants, chimiothérapies antagonistes des folates, dénutrition… En retour, l’anémie retentit sur l’état général. Elle conduit parfois à diminuer le rythme et l’intensité des traitements. Certaines études suggèrent que le manque d’oxygène favoriserait la progression tumorale et le développement de métastases. Conséquence de ces effets cumulés : un pronostic global pénalisé.

Les végétariens : des cibles pour l’anémie ?

L’absorption de fer peut représenter un problème pour les végétariens, puisque la biodisponibilité du fer végétal est bien plus faible que celle du fer animal, lié aux groupements hèmes. Les marqueurs de l’anémie doivent donc être surveillés avec attention, en particulier pendant la grossesse. D’après les adeptes de ce régime, les carences en fer ne semblent pas plus fréquentes chez les végétariens que dans le reste de la population, probablement car ces derniers sont plus attentifs à la diversité de leur alimentation et recourent fréquemment à des compléments alimentaires. De plus, notre corps compense les déficits en optimisant l’absorption du fer alimentaire : plus les stocks sont faibles, plus l’intestin en laisse entrer. Côté folates, le régime végétarien n’est pas un souci, puisque les végétaux à feuille en sont riches (salades, épinards). Quant à la vitamine B12, elle n’existe que dans les produits animaux : les végétaliens stricts sont donc dépendants d’une supplémentation.