Éducation thérapeutique
Dossier
Devant le nombre croissant de malades chroniques, les pouvoirs publics misent de plus en plus sur l’éducation thérapeutique. Par leur proximité avec les patients et la régularité de leurs visites, les infirmières libérales s’imposent aux avant-postes de l’éducation. Même si les experts ont tendance à les oublier.
Plus qu’une expression à la mode, l’éducation thérapeutique est une vraie lame de fond avec laquelle il faut désormais composer, en lien avec l’évolution de la société. La prise en charge des pathologies s’améliore, les personnes vivent plus longtemps, les maladies s’étirent dans le temps. Au point que la France compte à ce jour 15 millions de personnes atteintes de maladies chroniques, au premier rang desquelles le diabète, l’asthme, l’insuffisance cardiaque, l’obésité… Il n’y a pas de rémission possible pour ces malades, il leur faut apprendre à vivre avec leur pathologie, pour éviter des décompensations ou des hospitalisations encore plus coûteuses pour la société et leur bien-être.
Aussi, pour la première fois, la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) donne un cadre à cette démarche (cf. encadré p.26), qui a pour objectif de « rendre le patient plus autonome en facilitant son adhésion aux traitements prescrits et en améliorant sa qualité de vie ». Orchestrés par des équipes multidisciplinaires (médecins, infirmières, kinésithérapeutes, psychologue, diététicien, etc.), les programmes d’éducation thérapeutique ont montré leur efficacité. « Je suis toujours agréablement surprise : à l’issue d’un parcours éducatif, le patient a souvent appris quelque chose de positif, témoigne Élisabeth Guenneugues, infirmière libérale qui intervient dans un réseau de santé centré sur l’asthme, dans le Bas-Rhin. En se penchant sur sa façon de vivre, on peut toujours apprendre au patient à modifier son comportement pour qu’il vive mieux avec sa maladie. »
Mais la France n’est pas en avance : « La plupart des malades chroniques ne bénéficient d’aucun programme d’éducation thérapeutique », déplorait la Société française de santé publique en 2008. Dans l’Hexagone, l’offre de programmes se concentre essentiellement à l’hôpital. En ville, c’est surtout via les réseaux de santé qu’on peut accéder à des programmes d’éducation thérapeutique du patient (ETP). C’est dans ce cadre que nombre d’infirmières libérales apportent leur pierre à l’édifice de l’ETP depuis des années. Même si leur rôle semble oublié par les experts.
Député et médecin, Denis Jacquat a signé un rapport en juillet 2010 contenant une série d’orientations
Ce qui justifierait un rôle pivot, selon l’Ordre des infirmiers. « Dans d’autres pays, l’infirmier joue un rôle majeur dans la gestion des programmes ; le cadre réglementaire français le lui permet aussi. Il faut lui donner toute son application », indique l’instance ordinale, dans une prise de position publiée en décembre 2010.
Premier ingrédient de l’éducation thérapeutique : du temps ! « Il y a beaucoup de choses à expliquer pour que le patient comprenne sa maladie et le traitement, qu’il devienne responsable, acteur de sa prise en charge, estime Marguerite Costa, infirmière tabacologue (cf. témoignage page ci-contre). Tout cela est très chronophage. » Les infirmières, elles, s’adaptent et ne comptent pas leur temps. Elles passent pour faire une piqûre et restent finalement trois quarts d’heure au chevet du patient ! « Si je vois qu’un diabétique est totalement déséquilibré, je vais rester plus longtemps pour lui expliquer l’importance du respect du protocole de soins », témoigne Élisabeth Guenneugues. « Il m’est arrivé de passer près de deux heures avec un patient hémophile, relate Régine Dessoubret, qui a été infirmière libérale pendant seize ans. Quelle que soit la maladie chronique en question, les infirmières libérales ont toujours fait de l’éducation thérapeutique, même si cela ne portait pas ce nom-là auparavant. » Après avoir suivi un stage d’autotraitement à l’hôpital, les patients hémophiles de Régine Dessoubret bénéficiaient de ses conseils lors de ses passages au domicile, et ce, jusqu’à ce qu’ils deviennent autonomes…
Le malade a également besoin d’écoute. Les experts soulignent souvent l’importance du volet psychosocial inhérent à l’éducation thérapeutique : « Nous, infirmières, avons moins la déformation “technicienne” que d’autres professions purement médicales, commente Éve-Marie Cabaret, infirmière libérale qui intervient au sein du réseau Diabolo (Orléans). Dépourvues de l’arme de la prescription, nous devons être à l’écoute, dans une attitude empathique. »
Non seulement les infirmières prodiguent beaucoup d’écoute, mais elles recueillent également une foule de données cliniques précieuses. « Les contrôles de glycémie et les fiches patients que nous établissons chez les diabétiques sont des informations très utiles pour les médecins libéraux ou pour les urgences, indique Chantal Coussières. Nous effectuons un véritable suivi, qui fait partie du dossier médical. Mais ce temps doit être reconnu et rémunéré, car nous sommes déjà surbookées… »
Il y aurait un véritable enjeu pour la collectivité, selon Philippe Tisserand, à déléguer l’éducation thérapeutique aux libérales : « 20 % des patients chroniques sont à l’origine d’un tiers des dépenses de l’Ondam, selon l’observatoire conventionnel de l’Uncam. Les infirmières pourraient suivre ces patients. D’ores et déjà, nombre d’entre elles assurent un travail de suivi, d’alerte, de coordination des soins. Il faudrait structurer les prises en charge par des protocoles individualisés de suivi, menés par des infirmières, en partenariat avec un médecin. »
Pourquoi ne pas aller plus loin en permettant aux libérales de monter de véritables consultations d’éducation ? La FNI plaide clairement dans ce sens, de même que l’Ordre, qui appelle de ses vœux une « consultation infirmière, reconnue et codifiée comme telle ». « Nous prenons toujours le temps de parler, d’accompagner, de faire émerger un ressenti pendant les soins… Mais cela se fait petit bout par petit bout. L’idéal serait une vraie consultation d’éducation, de 45 minutes », estime Isabelle Courtin, ancienne infirmière libérale qui vient de créer sa société de conseil baptisée “ÉducTher”
En donnant de nouvelles responsabilités aux infirmières libérales, il s’agit aussi de leur apporter un levier de motivation : « On aide les patients à être leur propre vigie et à améliorer leur qualité de vie. Pour une libérale, cela donne une autre dimension au métier, c’est plus gratifiant. Et cela peut soulager les aidants au domicile », commente Isabelle Courtin.
Pour autant, pas question pour les infirmières d’être lâchées dans la nature… Un pré-requis pour une ETP de qualité, c’est un travail d’équipe, en lien avec un médecin, en réseau. « On ne fait pas de la santé publique en courant chacun de son côté après les actes, considère Annick Touba, présidente du Sniil (Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux). Il faudrait se réunir entre professionnels de santé et travailler ensemble, en interdisciplinarité, au sein de groupements – qu’il s’agisse de pôles ou de maisons de santé. » Autre intérêt du travail en groupe : « L’éducation thérapeutique nous fait côtoyer des malades chroniques en souffrance : nous entendons et “recevons” des choses pas faciles à porter. Il est indispensable de partager et de « déposer » cela dans une équipe », avertit Ève-Marie Cabaret.
Une question : la formation dispensée à l’Ifsi est-elle suffisante ? Pas si sûr. Pour Annick Touba, « la formation initiale des infirmières a intérêt à être complétée par une formation continue ». Isabelle Courtin a passé un DU d’éducation thérapeutique spécialisée en rhumatologie, ainsi qu’un DU sur les thérapies comportementales et cognitives (TCC). Parcours similaire pour Marguerite Costa : DU en tabacologie et DU en TCC. « En plus de disposer de connaissances en éducation thérapeutique, il faut surtout bien connaître la pathologie concernée », estime l’infirmière tabacologue. Hors université, des formations existent, mais elles sont payantes. « Aucune d’entre elles n’est conventionnée », regrette Eve-Marie Cabaret, qui a suivi plusieurs sessions avec l’Ipcem, organisme basé à Paris et spécialisé dans l’éducation thérapeutique. Pour elle, une formation solide est d’autant plus pertinente que les notions fondamentales doivent être clarifiées. « On a trop souvent tendance à confondre information et éducation thérapeutique. Dire par exemple “il faut manger équilibré”, c’est un propos trop vaste, et formulé comme un ordre, de surcroît. Ce n’est pas un discours éducatif, mais un objectif fixé par le soignant et non par le patient… »
Outre les freins financiers et institutionnels, ne faut-il pas craindre des freins culturels ? Les médecins, qui plaident haut et fort pour une nouvelle répartition des tâches, ont souvent du mal à déléguer, dans les faits. Par ailleurs, former des patients autonomes, n’est-ce pas s’exposer à voir disparaître une partie de la clientèle ? Cette question effleure parfois l’esprit des professionnels de santé…
1. Rapport de Denis Jacquat remis au Premier ministre en juillet 2010 : “Éducation thérapeutique du patient : propositions pour une mise en œuvre rapide et pérenne”. Lire l’actualité de L’ILM n° 263.
2. Rapport d’Élisabeth Hubert remis au Président de la République en novembre 2010 : “Mission de concertation sur la médecine de proximité”. Lire le Dossier de L’ILM n° 266.
3. ÉducTher, société de conseil créée par Isabelle Courtin, démarre à peine son activité. Son objectif est d’apporter une expertise en ETP aux hôpitaux, aux assureurs, aux industriels, aux maisons de santé, aux professionnels de santé, etc.
« Depuis la création de Resedaa (Réseau d’éducation des asthmatiques et des allergiques) en 2008, j’assure des sessions d’éducation pour les personnes asthmatiques ou leurs parents. Je réalise quatre modules qui durent d’une heure à 1 h 30, sur prescription du médecin traitant. J’ai pour cela été formée par Resedaa. C’est en général sur mes jours de repos que je fixe des rendez-vous aux patients. Ceux-ci sont contents de réfléchir sur leurs comportements et d’essayer de les modifier, par exemple en revoyant les habitudes alimentaires, en supprimant les plantes allergisantes du domicile… Notre profession est en train d’évoluer. Nous sommes amenées à faire autre chose que du soin pur, à être plus proches du patient. Je suis favorable à une véritable consultation d’éducation thérapeutique menée par les infirmières. Mais avant de réclamer un nouvel acte de nomenclature, nous devons être formées et véritablement opérationnelles sur le terrain. Pour moi, il y a vraiment un moyen de se former via les réseaux, qui sont évalués et reconnus par les ARS. Il existe une vingtaine de thématiques représentées par les réseaux en Alsace. Sans compter que les réseaux permettent de créer du lien avec d’autres professionnels de santé. »
« Je consacre mon activité au suivi du sevrage tabagique. Le tabagisme peut être considéré comme une maladie chronique. Mes patients sont souvent envoyés par leur médecin traitant ou leur pneumologue. Lors d’une première consultation, je réalise un bilan des trois dépendances (physique, psychologique, comportementale). Puis le patient revient pour plusieurs séances de 30 minutes. Il paie de sa poche (48 euros pour la première, 35 euros les suivantes) et peut percevoir 50 euros de la part de l’Assurance maladie, au titre de la prévention du tabagisme, et parfois des aides de sa mutuelle. J’envoie un compte rendu au médecin, partenaire indispensable pour que les patches de sevrage tabagique soient remboursés. L’éducation thérapeutique demande beaucoup de pédagogie. Je donne un plan d’actions et une liste de conseils. Les personnes apprécient l’écoute, la compréhension, l’accompagnement, les solutions que je propose, toujours adaptées à leur quotidien. »
• 200 000 nouveaux patients chroniques sont diagnostiqués chaque année en France – dont 150 000 diabétiques. En moyenne, 28 % de ces patients ne suivent pas leur traitement à la lettre dès la première prescription. Au bout d’un mois, ce sont 50 % d’entre eux qui ne prennent pas leurs médicaments correctement
*Données issues d’une synthèse réalisée par Grant Corbett, spécialiste canadien des “programmes patients”, présentée lors de la conférence Eduthera, le 28 septembre 2010 à Paris.
Les infirmières libérales devraient-elles s’impliquer davantage dans l’éducation thérapeutique ? Tout à fait, puisqu’il s’agit d’un de leurs champs de compétences. C’est l’une des premières professions à avoir intégré l’éducation thérapeutique dans la formation initiale. Les libérales ont intérêt à suivre une formation de 40 heures, comme le préconise la loi, ou plus, pour assurer une fonction de coordination. Le mieux est qu’elles rejoignent des programmes existants, autorisés par les ARS. Elles doivent sortir d’une certaine logique de pratique individuelle et s’associer avec médecins, kinésithérapeutes, diététiciens, au sein de maisons médicales ou de réseaux de santé, lesquels reçoivent des financements du Ficqs
Êtes-vous favorable à la création d’une consultation infirmière en éducation thérapeutique au sein de la nomenclature ? Si cette consultation est un acte effectué de manière isolée, il s’agit de “posture éducative”. L’esprit de la l’éducation thérapeutique, selon la loi HPST, est de construire un programme pluridisciplinaire, en équipe, ou d’y participer. Ce qui n’empêche pas d’avoir une posture éducative avec ses patients, officialisée ou non par un acte précis.
*Ficqs : Fonds d’intervention pour la qualité et la coordination des soins.
L’article 84 de la HPST se décline dans les articles L.1161-1 à L. 1162-1 du Code de la santé publique.
→ Trois types de programmes
– Les programmes d’éducation thérapeutique sont des ensembles d’actions destinées à favoriser l’autonomie du patient, menées par une équipe pluridisciplinaire. Ils doivent obtenir une autorisation auprès de l’Agence régionale de santé (ARS). La coordination est assurée par un médecin, un autre professionnel de santé ou un représentant d’association de patient. La mise en œuvre est confiée à deux professionnels de santé, de profession différente (dont au moins un médecin, si le coordinateur n’est pas médecin).
– Les programmes d’apprentissage visent à s’approprier des gestes techniques pour la prise d’un traitement (injection en autotraitement…). L’industrie et les entreprises de santé peuvent élaborer de tels programmes, en passant par un opérateur tiers. C’est un médecin ou un pharmacien qui est responsable.
– Les actions d’accompagnement apportent un soutien et une assistance aux malades et à leurs proches (groupes de parole, d’entraide…).
→ La formation requise
Au moins un des intervenants du programme doit justifier de compétences en éducation thérapeutique ou disposer d’une expérience d’au moins deux ans dans un autre programme. L’acquisition de compétences requiert une formation minimale de 40 heures.
« Au sein du réseau de santé Diabolo (Diabète Orléans Loiret), consacré à la prise en charge des personnes diabétiques, je réalise des diagnostics éducatifs. J’y travaille un jour par semaine en tant que vacataire. Le diagnostic éducatif ou “bilan” vise à faire le point avec le patient sur ses demandes et à l’aider à formuler ses propres objectifs. L’entretien est semi-directif : je pose des questions ouvertes, je m’accorde 10 % du temps de parole. Savoir se taire fait partie de “l’éduc’ attitude”. Je ne porte pas de blouse, je ne suis pas derrière un bureau, mais à côté du patient. Ce n’est plus une relation descendante. À l’issue du diagnostic, plusieurs ateliers sont proposés : diététique, reprise d’activité physique, podologie… Je suis indemnisée par le réseau à hauteur de 150 euros bruts par jour. Financièrement, j’y perds car je dois faire appel à une remplaçante pour mon activité libérale. Mais j’aime l’éducation thérapeutique : les solutions viennent du patient, et on rencontre moins d’échecs… Une alchimie réelle apparaît. C’est apaisant. »
→ Positions syndicales : www.sniil et www.fni.fr
→ Position de l’Ordre : www.ordre-infirmiers.fr
→ Documents de la HAS : www.has-sante.fr