L'infirmière Libérale Magazine n° 269 du 01/04/2011

 

POLITIQUE DE SANTÉ

Actualité

RÉFLEXION > Quelques jours avant la date anniversaire de la loi du 4 mars 2002 s’est tenu à Paris un colloque “fin(s) de vie” rassemblant juristes, médecins, philosophes et anthropologue. Reconnaissant des progrès en matière de fin de vie depuis sa propre loi de 2002, Bernard Kouchner ne trouve toutefois pas que des avantages à la loi Leonetti.

« On continue de mal mourir en France », a constaté en ouverture d’un colloque pluridisciplinaire sur la fin de vie(1) l’ex-ministre Bernard Kouchner. « Bien sûr, les progrès sont flagrants depuis 2002. La morphine n’est plus assimilée à de la toxicomanie et on l’utilise dans les services, les soins palliatifs se sont multipliés, on dispose de professionnels de soins palliatifs, de chaires sur ce thème : c’est un succès majeur. Mais il faut quand même se dire qu’en matière de réponse au “mal mourir”, le soin palliatif n’est pas toute la réponse… Pas d’automatisme en la matière, chaque fin de vie est différente. » Et à celui qui aura été ministre de la Santé de revenir sur les cas Vincent Humbert (2003) et Chantal Sebire (2008) auxquels “sa” loi n’aura été d’aucun secours. Le père de la loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades, a déploré le débat avorté sur l’aide active à mourir, en début d’année : « Le débat n’a pas eu lieu, sur intervention du premier ministre. Que craignait-on de ce débat ? C’est un blocage français, idéologique. Pourtant, il doit avoir lieu : le suicide n’est pas interdit en France, la réflexion doit pouvoir se faire. Une loi sur le suicide assisté ou l’euthanasie n’est peut-être pas nécessaire, mais le débat, lui, l’est. » Et de poursuivre : « Si la loi Leonetti(2) représente un grand pas, je regrette qu’elle ait redonné le dernier mot au médecin plutôt qu’à la personne malade, c’est le contraire de ce que je voulais… Le droit des malades, c’est la position inverse. En dépit du savoir incontesté des médecins, le dernier mot devrait rester à la personne, malade ou pas. »

Absence de stat’

Lucas Morin, de l’Observatoire national de la fin de vie, a pointé « l’absence de données sur le nombre de personnes qui, chaque année, auraient eu besoin d’une prise en charge simple ou lourde en fin de vie ». De même, si l’on est aujourd’hui en mesure de comptabiliser le nombre de séjours, le nombre de lits et d’équipes mobiles déployés en soins paliatifs, « c’est sans prendre en compte les médecins et les paramédicaux exerçant en ville, en maisons de retraite ou en HAD et qui ont parfois les compétences nécessaires ». Les aides étant distribuées en fonction “d’évaluations”, Lucas Morin a invité à s’interroger sur les bases de calcul.

Si les besoins des malades restent méconnus, leurs droits le semblent tout autant. Une opinion partagée par le Pr Jean-Claude Ameisen, saisi au titre de membre du Comité consultatif national d’éthique, lorsque Jean Leonetti a mené l’an dernier une mission d’évaluation pour remédier à “la méconnaissance des textes”(3). Le Pr Ameisen se souvient s’être « demandé si ce n’était pas la T2A qui freinait son application. Alors oui, ce système nous freine mais, comme souvent, les résistances sont plus profondes. L’accompagnement et les soins palliatifs ne souffrent pas seulement d’une méconnaissance de la loi, mais de leur absence des actes et de la discipline “médecine” ». Et de remarquer que la société s’alerte lorsqu’il y a suspicion d’euthanasie : « Là, on légifère. En revanche, quand un patient n’a pas eu d’accès aux soins palliatifs, qui penserait à poursuivre ? »

Une concertation

La mort, cette “finitude”, est difficile à appréhender dans les équipes de soignants. Patrick Vespieren, responsable du département d’éthique biomédicale de la faculté jésuite de Paris, invite d’ailleurs à préférer la « concertation dans l’équipe médicale au consensus. Le médecin n’a pas à se décharger sur l’infirmière ou l’aide-soignante… ». Imaginer que « l’équipe qui a pris en charge la personne en curatif soit la même que celle qui assure le palliatif, afin de pouvoir dire “on est avec vous, on continue” » est le rêve de Thierry Petit, chef du département d’oncologie médicale au centre de lutte contre le cancer Paul Strauss. Mais combien d’organisations et de personnels suffisamment formés sont en mesure de l’appliquer ?

(1) “Fin(s) de vie”, organisé à Paris le 1er mars, à l’initiative de la fondation d’entreprise Eisai, laboratoire pharmaceutique japonais.

(2) Votée en avril 2005, la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, qui porte le nom du député UMP des Alpes-Maritimes Jean Leonetti, instaure un droit au “laisser mourir”, sans toutefois dépénaliser l’euthanasie.

(3) Rapport rendu le 2 décembre 2010.