L'infirmière Libérale Magazine n° 269 du 01/04/2011

 

SANTÉ PUBLIQUE

Actualité

ÉTAT DES LIEUX > Gynécologie sans frontières organisait début mars la 3e Journée humanitaire sur la santé des femmes au Palais du Luxembourg, avec pour thème les maternités adolescentes.

Chaque année, environ 18 000 grossesses concernent des mineures en France. 30 % sont menées à terme – soit 4 500 naissances par an – et 70 % font l’objet d’une interruption volontaire de grossesse (IVG)(1). Qu’elles soient désirées ou non, ces grossesses étaient l’objet de la 3e Journée humanitaire de l’ONG Gynécologie sans frontières(2).

« Depuis les années soixante-dix et la mise en place de politiques de prévention, les cas sont de moins en moins fréquents. On dénombrait encore 11 000 naissances en 1980, c’est presque trois fois plus qu’aujourd’hui », relève Florence Francillon, sage-femme à l’hôpital Poissy-Saint-Germain-en-Laye (78) et vice-présidente de Gynécologie sans frontières. À titre de comparaison, elles sont quatre fois plus fréquentes en Grande-Bretagne et dix fois plus aux États-Unis.

Enfanter pour se tester

Certains facteurs psycho-sociaux expliquent pour beaucoup un passage à l’acte. « On constate ainsi qu’il y a dix fois plus de jeunes filles enceintes hors du système scolaire, relève Florence Francillon. En l’absence de rite scolaire de passage, la grossesse leur permet d’espérer accéder à quelque chose et de passer à l’âge adulte, comme un diplôme le ferait. » À noter aussi l’angoisse de certaines adolescentes qui vont jusqu’à provoquer une grossesse pour tester leur corps et vérifier qu’elles sont bien capables d’être enceintes. Sans forcément mesurer les conséquences de l’IVG qui s’en suivra.

Avant la grossesse, nombre de facteurs de risques peuvent être détectés. Carence affective, absence de projet personnel, mais aussi incestes et viols répétés poussent certaines jeunes filles à l’acte. Pour le personnel soignant, ces situations peuvent parfois passer inaperçues.

Sur le plan obstétrical, une enquête réalisée au CHU de Nantes montre que les grossesses de femmes mineures ne présentent pas de risques supérieures à celles de femmes adultes(3). « Le seul risque à surveiller est le tabagisme, qui concerne une jeune fille sur deux », relevait Véronique Carton, qui dirige l’unité de gynécologie-obstétrique médico-psycho-sociale du CHU de Nantes. Mais gare aux répercussions au plan psychologique. Après l’accouchement, des signaux d’alerte sont à observer, notamment en ce qui concerne l’isolement de la mère (cf. interview). En présence d’une maternité adolescente, on observe en effet que 75 % des unions parentales se terminent par une séparation au bout de cinq ans.

(1) Rapport de l’Igas de février 2010.

(2) Organisation non gouvernementale engagée dans la promotion de la santé des femmes dans le monde.

(3) Enquête réalisée de 2003 à 2007 sur 146 dossiers admis à la maternité du CHU de Nantes.

3 questions à…

Jacques Michel, psychologue clinicien au centre éducatif Anjorrant* à Nantes (44)

Quand elle est voulue, qu’est-ce qui motive une grossesse précoce ? Je distingue plusieurs cas de figure. Certaines de ces grossesses peuvent relever d’une envie d’intégration. Il s’agit d’acquérir un statut social. Dans ce cas, c’est souvent une décision réfléchie avec le partenaire. Il y aussi des grossesses que j’appelle “identitaires”, comme pour trouver un point d’ancrage dans une errance, sortir de l’ennui de l’adolescence. Enfin, il y a les grossesses initiatiques, pour devenir adulte. Elles découlent souvent d’une confusion entre le désir de grossesse et celui d’avoir un enfant.

Vous suivez aussi des grossesses issues de viols ? En effet. Certaines sont des “grossesses SOS”. Elles font souvent l’objet d’un déni et résonnent comme un message pour les proches, comme par exemple pour dénoncer un abus sexuel dans l’entourage. Pour le personnel soignant, ces situations ne sont pas toujours faciles à repérer.

Sur le plan psychologique, quels sont les risques d’une parentalité précoce ? Après l’accouchement, beaucoup de jeunes filles sont confrontées à une rupture de formation, à l’endettement et donc à une certaine vulnérabilité sociale. Face au départ ou à l’absence du père, il peut y avoir un isolement familial et social important à surveiller.

* Centre qui accueille une trentaine de jeunes mères adolescentes et leurs enfants.