Laurence Manzano, socio-esthéticienne
La vie des autres
Que ce soit à l’hôpital, en centre psychiatrique ou en maison de retraite, les socio-esthéticiennes aident les usagers, par des soins de beauté, à se sentir mieux dans leur corps. Et donc dans leur tête. Laurence Manzano exerce à Paris et à Orléans. Passionnée par son métier, elle l’assimile à « une magnifique aventure humaine ».
Faire du bien quand ça va mal, tel est l’art de la socio-esthétique. C’est en effet auprès de personnes fragilisées par une maladie, un accident, la vieillesse, une pathologie psychiatrique, ou de populations en détresse sociale (au chômage, en prison), que les socio-esthéticiennes interviennent, apportant, par une manucure, un modelage du corps, un soin du visage ou des pieds ou encore l’usage subtil de parfums, un peu de réconfort et d’apaisement, voire un nouvel élan. Aborder de tels publics impose cependant une solide spécialisation.
« Pour le respect des usagers, on se doit d’acquérir des connaissances adaptées, d’être sensibilisé à certaines valeurs, telle la neutralité. On peut faire beaucoup de mal en voulant faire du bien, explique Laurence Manzano, qui exerce à titre indépendant. Et il faut savoir rester à sa place : nous sommes des artisans, pas des médecins ou des psychologues. » Pour elle, le virage a eu lieu en 2005. Avec un CAP d’esthétique en poche et près de vingt ans d’expérience, notamment chez Dessange ou Massato, elle a eu envie de réorienter sa carrière. Une grand-mère hémiplégique « qui a su rester belle et élégante jusqu’à la fin », la conscience que « la douleur est physique mais aussi sociale », la nécessité de « donner un sens à sa vie » et de se mettre autrement au service des autres… Tout ceci a tracé son chemin vers la socio-esthétique. Quant à ses premiers pas, ils l’ont conduite au Codes (cf.encadré) car, de suite, elle a senti le besoin de se former. En effet, se souvient-elle, « des clientes hospitalisées m’avaient demandé de venir les voir pour une manucure. Je m’étais retrouvée avec plein d’interrogations : puis-je utiliser du dissolvant, bouger la personne, comment ? ».
Le travail des socio-esthéticiennes s’inscrit dans les projets de soins ou de vie établis par les équipes pluridisciplinaires des structures. Ainsi, une fois la mission définie et après recherches, Laurence Manzano propose une formule adaptée à la demande, au public ciblé, à ses difficultés. « On sait que telle ou telle technique est profitable à telle pathologie ou à tel moment particulier de la vie. En cancérologie, par exemple, les infirmières peuvent nous solliciter pour relaxer une patiente angoissée et faire en sorte que sa chimiothérapie soit moins douloureuse », révèle-t-elle. Dans tous les cas, c’est le souhait du patient qui guide l’intervention. « Pas question d’aggraver sa souffrance. Notre simple présence, notre toucher, peuvent être insupportables si la personne n’en a pas envie. Je l’ai vu en soins palliatifs », souligne-t-elle. En gériatrie, la socio-esthétique peut être une précieuse alliée pour remobiliser une personne âgée qui se laisse glisser. « On peut l’inciter à quitter son lit en invoquant le fait que c’est plus pratique pour réaliser un soin du visage, on peut aussi réveiller toute une sensorialité qui s’efface. La cosmétique, ce n’est pas si futile que cela. » Laurence Manzano œuvre auprès de publics variés, sur des problématiques multiples, en individuel ou en collectif. Ainsi, en psychiatrie, à la Maison de Solenn (hôpital Cochin, AP-HP), anime-t-elle un atelier maquillage pour améliorer l’estime de soi des jeunes patients, ou, à Orléans, mène-t-elle, avec le réseau ville-hôpital Hepsilo (Hépatites-sida Loiret), un programme visant « à s’appuyer sur l’outil esthétique pour aborder ensuite les soins médicaux, adapter les soins de beauté aux effets secondaires des traitements, aider les personnes à retrouver du confort dans leur corps… », résume Laurence Manzano.
La dimension d’équipe est primordiale pour les socio-esthéticiennes. Cela suppose donc de parler la “même langue” que les soignants, de comprendre les informations données dans le cadre d’un secret partagé, de rendre régulièrement compte, par des transmissions orales ou des rapports écrits, du vécu avec les usagers. « De par notre métier, nous avons une lecture du non-verbal, du corps, qui diffère de celle des infirmières. Il y a une intéressante complémentarité », analyse Laurence Manzano. Échanger peut d’ailleurs éviter des incidents. « Un usager peut me demander un soin du corps et la psychologue s’y opposer car, dans certaines psychopathologies, le toucher peut se révéler dangereux », remarque–t-elle. Enfin, le travail d’équipe permet aussi de partager la charge émotionnelle et de conserver l’indispensable regard bienveillant. À l’inverse, la socio-esthétique a également pour vocation « d’oxygéner les équipes. Notre formation nous permet d’accueillir l’usager tout comme l’autre professionnel », assure Laurence Manzano.
« Développer les collaborations entre socio-esthéticiennes et infirmières libérales, qui ont la chance de connaître l’environnement des gens, pourrait se révéler très fructueux. D’autant que l’avenir est à l’ambulatoire. Généralement, nous allons peu au domicile des usagers, mais, en cancérologie, des collègues réalisent des soins chez des patients sortant de l’hôpital à la demande des équipes. Nous pourrions faciliter la tâche des infirmières libérales en intervenant en tandem avec elles, et en amont. Par exemple, quand elles constatent qu’un patient se délaisse et refuse la toilette, nous pouvons le stimuler par l’esthétique. Nous pouvons également faciliter les soins en allégeant la détresse liée à la maladie, en rompant l’isolement. Nous accomplissons en outre des gestes que personne n’a le temps de faire, comme hydrater la peau. Mais reste à trouver un mode d’organisation adapté car, pour assurer la gratuité de nos soins, nous intervenons par le biais d’une association ou d’une équipe mobile. »
La socio-esthétique est née en 1978 avec la création du Codes (Cours d’esthétique à option humanitaire et sociale). Soutenue par des médecins du Centre hospitalier régional universitaire de Tours, qui l’héberge, cette école délivre le seul titre reconnu pour ce métier. Plus de 700 élèves, titulaires d’un DE en esthétique-cosmétique et pouvant justifier d’au moins deux années d’expérience professionnelle,ont suivi ce “cours d’esthétique à option humanitaire et sociale”. La formation, de 547 heures, mêle théorie et pratique (hygiène, dermatologie, gérontologie, addictologie, cancérologie, psychiatrie et psychologie, handicap, secteur médico-social, législation) et permet aux stagiaires de se préparer à la relation avec les patients et de bien s’intégrer aux équipes. Le Codes est notamment soutenu par l’hôpital national de Saint-Maurice, le Conseil régional du Centre, le Fonds social européen et L’Oréal.